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Après la déconsommation, la destruction et la déproduction de vins français ?
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Millésime 2023
Après la déconsommation, la destruction et la déproduction de vins français ?

Les signaux commerciaux de la filière vin vont de l'orange au rouge d’après les courtiers réunis en congrès. Face aux difficultés de mise en marché sur de plus en plus de segments, la stratégie de réduction des volumes est de sortie : distillation de crise, arrachage sanitaire, baisse des rendements, mise en réserve…
Par Alexandre Abellan Le 28 juin 2023
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Après la déconsommation, la destruction et la déproduction de vins français ?
La réunion annuelle des courtiers de France et de Navarre permet de faire le tour de France des marchés du vin en vrac, thermomètre de la santé économique de la filière vin. - crédit photo : FNSCVSF
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e tableau de bord du vin en vrac français passe à l’orange, quand ça ne vire pas au rouge cramoisi nous apprend le tour de France des syndicats régionaux de courtiers, réalisé ce vendredi 23 juin lors du congrès de leur fédération nationale dans le Beaujolais (au Hameau Dubœuf, à Romanèche-Thorins en Saône-et-Loire). En résumé, « une partie non négligeable des vignobles de France est en crise de production, en manque de consommateurs, en manque d’objectifs clairs face à la réalité de la transformation rapide du monde d’aujourd’hui » pose Jérôme Prince, le président national des courtiers en vins et spiritueux.

Vignoble le plus exposé actuellement dans ses difficultés, « Bordeaux est en crise. Aujourd’hui, quand on parle de Bordeaux, on parle d’arrachage et de distillation » résume Cédric Roureau, le président du syndicat régional bordelais, rappelant la prédominance des vins rouges dans la production girondine (85 % des volumes) et la dépendance à une grande distribution française qui dévisse (la GD absorbant le quart des commercialisations totales). Alors que la distillation de crise pourrait concerner 800 000 à 1 million d’hectolitres, le courtier pose la question du succès du plan d’arrachage sanitaire en cours. Visant 9 500 hectares, « sera-t-il souscrit ? » laisse planer Cédric Roureau, rappelant les contraintes de la renaturation (20 ans de jachère ou reforestation pour un arrêt total d’activité agricole) et les risques d’une diversification (comme la production d’olives en Gironde). « On est dans situation compliquée, malgré la succession de petites récoltes » ajoute le courtier, faisant état d’une forte sortie de grappes, actuellement mise sous pression par le mildiou. La maladie serait presque un agent régulateur.

Très compliqué sur les rouges et rosés

Bordeaux n’est le pas seul grand malade du vignoble français, loin de là. Dans le Languedoc-Roussillon, l’inquiétude domine d’après Louis Servat, le président du syndicat régional. « Le marché a mis temps à se mettre en place, à part les IGP Oc très dynamiques en blanc. Le reste est très compliqué sur les rouges, les rosés, les AOP régionales et les bio saturés par une offre trop importante » dresse-t-il, notant que si les prix restent fermes sur les cépages blancs (100 à 120 €/hl), pour les rouges et rosés il y a désormais des baisses notables (après un démarrage à 80-90 €/hl). « La distillation de crise est très attendue, et devrait en partie résoudre les volumes excédentaires qui ne trouveront pas preneurs et faire un peu de place pour les vendanges 2023 qui arrivent à grand pas » se projette Louis Servat, qui rapporte des impacts limités de la sécheresse littorale sur la production régionale, avec des perspectives conséquentes de production sur le millésime. Ce qui a de quoi inquiéter dans le Midi : que faire d’un nouveau flot de volumes quand les marchés tournent au ralenti ?

Réduction des rendements

La Vallée du Rhône répond à cette interrogation par une réduction des rendements de son appellation régionale. Les Côtes-du-Rhône vont les baisser de 51 à 41 hl/ha rapporte Christophe Pasta, le président du syndicat rhodanien. « Malgré [le titre d’]appellation la plus vendue sur les linéaires, nous sommes en surproduction » résume le courtier, relevant la volonté de la vallée du Rhône de résister avant d’envisager de devoir arracher (enterrant la demande de retirer 2 à 3 000 ha). 200 à 300 000 hl pourraient être distillés sur le bassin ajoute Christophe Pasta, relevant la mise en place d’une réserve de 10 % des volumes en 2022 pour réduire les surstocks. « On est en difficulté, surtout en appellations rouges après une stratégie de 20 ans [sur cette couleur]. Les blancs fonctionnent bien, mais on en a peu » ajoute-t-il, notant que les crus fonctionnent très bien pour leur part (exemple de succès : 70 ha sont plantés chaque année en AOC Crozes-Hermitage).

La stratégie de réduction des rendements 2023 concerne aussi la Provence, où le tableau rosé se révèle particulièrement contrasté. Pour les Côtes de Provence depuis deux campagnes, « le marché est à deux vitesses. De la récolte jusqu’à la mi-décembre, il est porteur avec de belles maisons varoises et champenoises. Après cette première mise en marché dynamique, il ne se passe plus rien. On est dans le dur quand le produit ne rentre pas dans des cahiers des charges et profils » explique Pierre-Jean Bertri, le président du syndicat provençal. Si ce phasage se trouve en Côteaux d’Aix, pour les Côteaux Varois : « c’est la bérézina » résume le courtier, qui rapporte que la plus petite AOC provençale se trouve en pleine remise en question stratégique (avec un cabinet d’audit). « Il va falloir prendre des positions structurantes » avance Pierre-Jean Bertri, qui dévoile que les Côteaux Varois vont baisser à 42 hl/ha leur rendement (contre 55 hl/ha), sauf pour « celui qui prouve qu’il a un marché, qu’il peut contractualiser en vrac ou bouteilles, et va pouvoir justifier 55 hl/ha. Ça va être sportif… » La distillation doit désormais éponger les stocks de « millésimes un peu ancien », restant notamment sur les bras des caves particulières, alors que les caves coopératives auraient déjà déclassé ces stocks en vin de table, « ce qui a pu déstabiliser d’autres régions » évoque sobrement Pierre-Jean Bertri, alors que des volumes conséquents de vins sans indication géographique ont été écoulés à des prix cassés (excluant le bassin Vallée du Rhône-Provence de la distillation sur VSIG, comme le vignoble du Centre Val de Loire).

Modèles charentais et champenois

Autre baisse de rendement à Cognac, avec une réduction tout juste annoncée de 10 % qui va conduire à la mise en réserve climatique. Entre la « baisse significative aux États-Unis » (pour absorber le surstock, la hausse des prix et la concurrence de la tequila) et à l’arrivée de 5 000 hectares en production (avec 87 000 ha de vignes en AOC Cognac en 2023), la filière charentaise fait face à une « période exceptionnelle qui rappelle qu’il ne faut jamais se reposer sur ses acquis » indique Bernard Guesdon, le président du syndicat charentais. Si le courtier est confiant dans la capacité de rebond commercial des cognacs, les outils interprofessionnels de gestion des rendements et des nouvelles plantations permettent d’apaiser les tensions (du moins tant qu’elles émergent et ne s’incrustent pas durablement). Une approche conjointe partagée avec la Champagne, qui connaît également « depuis le début de l’année un petit tassement des marchés (-3,4 % par rapport à l’an passé) » rapporte Franck Hagard, le co-président du syndicat champenois, relevant cependant une baisse plus forte en mai (-15 % entre 2023 et 2022, sachant que cette année de nombreux jours fériés ont ralenti les expéditions).

Après les surperformances commerciales de 2022 pour la Champagne, « on est sereins quand même. Mais toujours avec cette crainte : dès lors qu’il y a montée, on sait que derrière il y a un plateau voire une descente. On espère que la descente ne sera pas trop importante » indique le courtier. Grâce à ses outils interprofessionnels, la Champagne peut « rentrer une belle vendange (comme celle qui s’annonce en 2023), même quand il n’y en a pas forcément besoin [commercialement]. Ce qui risque d’être le cas cette année ». Pour Franck Hargard, une offre conséquente permettrait de détendre le marché : « ça nous arrange. Il y a encore des tensions sur l’approvisionnement, des prix de raisin qui vont sans doute monter, une demande très forte du négoce car on sait qu’à moyen terme ça va fonctionner [et] un renouvellement de contrat, qui créé naturellement une tension : on va resigner en moyenne pour 5 ans en 2024. »

Dynamique portée par les crémants

Porteuses sur des prix plus abordables que ceux champenois, les bulles ont le vent en poupe. En témoignent les crémants. « Ils sont porteurs. La belle dynamique des ventes d’Alsace est surtout portée par les crémants, qui se portent très bien comme toutes les régions à bulle » souligne Claude Freyermuth, le président du syndicat alsacien. Notant que les crémants représentent 30 % des volumes alsaciens note une augmentation des rendements sur crémant : +5 hl pour monter à 80 hl/ha. Pour les vins tranquilles, si les vins de riesling et de pinot noir sont « très recherchés », les « cépages aromatiques comme le gewurztraminer » sont moins demandés, semblant « moins à la mode ».

Même succès pour les crémants de Bourgogne, qui sont produits à 51 % en Beaujolais note Cédric Subrin, le président de la section du Beaujolais. Voyant le crémant comme le régulateur de prix et de volumes du le Beaujolais, le courtier note que « le beaujolais a le sourire » face aux perspectives de belle récolte 2023. « On espère reconstituer les stocks après 4 millésimes déficitaires » pointe Cédric Subrin, notant des prix demeurant élevés, « à des niveaux semblant actés » depuis 2020. « Cela ne veut pas dire que tout est parfait. Avec les hausses de prix, nous perdons 40 à 50 % sur certaines enseignes de la grande distribution » prévient Cédric Subrin

Manque de bouteilles

Ce défi de gagner en valeur sans être sorti par les acheteurs taraude également dans le val de Loire. Avec le « recul depuis deux ans du rosé Anjou, chahuté pour ses prix élevés par d’autres régions de France. C’est une appellation en grande difficulté » constate Christine Touron-Lavigne, la présidente du syndicat de la Vallée de la Loire. L’autre appellation ligérienne rosée, « le Cabernet d’Anjou rentre en difficulté. Après les croissances, il y a un gros frein à cause du manque de bouteilles [en verre]. Les ventes qui ne sont pas faites ne sont pas rattrapées » ajoute la courtière. Pour les vins rouges, les appellations Bourgueil, Chino ou Saumur affichent « une situation très saine au niveau du stock, après de belles hausses des prix. Les marchés se sont faits par la peur de manquer pour les négociants. Mais en définitive il semblerait que le marché se tasse. »

Problèmes de riches

En Côte d’Or, il semble que la filière vin soit sur un autre monde. Même si le millésime 2022 a été généreux, les cours restent fermes : entre forte demande du négoce (désormais 1 600 acheteurs) et stocks bas à la propriété (qui n’hésite pas à jouer la rétention). Ce qui fait que « le négoce se trouve face à une concurrence déloyale : il achète cher du vrac et se retrouve à des prix supérieurs que les tarifs des vins de domaine » note Jérôme Prince, qui préside le syndicat bourguignon des courtiers. Si les domaines « ne savent plus où donner de la tête » pour répondre aux demandes, le négoce « ralentit fortement » ajoute le courtier.

Idem pour Chablis, le courtier Laurent Camu relevant des « domaines assaillis de demandes, mais ce n’est pas le même retour du négoce, où il y a un ralentissement ». Pour Jérôme Prince, « il y a quand même un risque : le Bourgogne bashing », alimentée par des hausses continues des prix. Appelant à faire attention à un phénomène émergent, le courtier constate qu’« avec l’inflation, on verse un peu trop dans le luxe : ce qui est gênant, il ne faut pas se couper de la base [des consommateurs]. »

Arrachage, diversification, tendance…

Au terme de ce tour de France des défis rencontrés par la filière, où trouver des solutions ? L’exemple du Beaujolais est inspirant pour Jérôme Prince : « cette région renaît de ses cendres et peut donner espoir à ceux qui déprimeraient et penseraient qu’il n’y a rien à faire sinon que d’attendre des aides et subventions de distillation et d’arrachage. » Pour atteindre cette « rémission sérieuse », le Beaujolais s’est infligé un remède de cheval relève Cédric Subrin : perte de la moitié des surfaces en appellations Beaujolais et Beaujolais villages (de 10 à 6 000 ha), diversification en Crémant (de Bourgogne) et profil répondant aux consommateurs (buvabilité et terroir).

 

 

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Tous les commentaires (2)
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Albert Le 29 juin 2023 à 16:46:47
Je voudrais bien que JM Forteresse nous explique le schéma d'agrément de lots AOP déclassés en VSIG qui se retrouveraient miraculeusement proposés à l'agrément IGP Méditerranée ! .. une explication de sa part serait intellectuellement plus acceptable que cette allégation insensée !
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Jean Michel FORTERESSE Le 28 juin 2023 à 10:10:46
Pour Les Côteaux Varois, M Bertri oublie de préciser qu'une fois déclassé en vin SIG certains se permettent de demander l'agrémént IGP Méditerranée ce qui ne devrait pas être permis par l'ODG... Ceci s'est pratiqué sur des volumes conséquents ce qui perturbe l'IGP Méd qui n'en pas besoin! Les règles ne semblent pas les mêmes pour tout le monde ! Cette pratique n'est pas tolérée dans les autres AOP de la région. Espérons que l'ODG Méd puisse faire évoluer son cahier des charges pour verrouiller et ne plus permettre ce genre de pratiques.
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