on scénario était bien ficelé : Éric Etienne, 60 ans, était prêt à « tout arrêter ». Propriétaire de 40 ha à Cleyrac, (son père détenant de son coté 20 ha, idem pour son frère Franck), il vend 3600 hl de rouge et 369 hl de blanc au négoce. Le partenariat qu’il a depuis 20 ans avec un négociant pour son rouge, n’a pas été reconduit pour le millésime 2020, du fait d’un déréférencement en grande distribution. Or ce marché représentait un gros tiers de sa production de Bordeaux rouge.
Pour ne rien arranger, sur sa récolte 2021, reste 20% qui ne trouve pas de débouché. Des vins médaillés qui vont partir à la distillation. Sans compter la demi récolte 2022 qui reste dans le chai. Alors Éric Etienne se dit qu’il faut arrêter les frais et profiter du plan d’arrachage acté le 5 juin dernier par le ministre de l’agriculture.


Sauf que lorsqu’il découvre la réalité du plan, il déchante : « La prime d’arrachage de 6000 €/ ha n’est pas suffisante lorsqu’on enlève 2000€ de frais d’arrachage. Avec le collectif VITI 33 nous avions tablé sur 10 000 €/ha » indique-t-il. Ce n’est pas tout : les 2/3 des crédits du plan consacrés à la renaturation avec un boisement sur 30 ans ou de la jachère sur 20 ans, ne passent pas : « Cette solution de la renaturation n’est absolument pas intéressante. Il n’est pas question que mes terres soient bloquées pendant 20 ans. Qu’est-ce que je vais transmettre à mon fils » s’interroge-t-il.
Alors il se débrouille. D’abord il compte bénéficier de la prime d’arrachage de 6000 €/ha pour 8 ha qui seront dédiés à de la reconversion, à savoir la location de ces hectares à un céréalier. Le viticulteur a fait ses comptes : « cela me ramènera 100€ de l’hectare, soit 800€ par an. Ça payera le foncier ».
Autre scénario envisagé : la location de 12 ha à EDF ENR pour l’installation de panneaux photovoltaïques, sachant que c’est EDF qui prend à sa charge le coût de l’arrachage des vignes. Il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Entre les différentes études environnementales, les autorisations à décrocher, l’obtention du permis de construire, il faut compter entre 3 et 5 ans pour que le projet se concrétise et que le viticulteur signe le bail définitif avec EDF. Il n’empêche, Éric Etienne voit là une façon de rester propriétaire. « Je ne demande pas de prime et je reste maitre de mes terres » confie-t-il.
Au final il lui resterait donc 20 ha qui pourraient être regroupés avec les 20 ha que détient son frère. Pour autant Éric Etienne garde une amertume : « Je suis la quatrième génération. Je me suis installé en 1985 avec 20 ha. Mon ambition était de conserver et de transmettre mes vignes ».


A Pujols, Fréderic Arino, 65 ans, à la tête de 19 ha, une production de 1400hl vinifiés en cave coopérative, AOC Bordeaux, lui aussi, refuse la renaturation du plan d’arrachage. « Si je lègue à mes deux enfants une terre sur laquelle ils ne pourront rien faire pendant 20 ans, on se tire une balle dans le pied ». Et d’expliquer : « J’ai 45 ans de cotisations, j’étais prêt à tout arrêter car je travaille à perte. Le revenu agricole versé par la coop paye tout juste les frais de production. 2022 est la première année ou je suis déficitaire ».
Face à ce plan d’arrachage qu’il réfute, sa décision est prise, il entend arracher à ses frais, quelques 5 ha. « Cela me permettra de garder la liberté d’une petite partie de mon bien sans l’aliéner pendant 20 ans ». Question : que faire pour ces 15 ha restants ? « Je n ‘ai pas de solution. C’est catastrophique » lâche-t-il. Et de confier « Il me reste à crever ». …