lors qu’une baisse de récolte générale est annoncée ce millésime 2024, quels sont les chiffres pour Pays d’Oc ?
Jacques Gravegeal : Globalement, on serait sur le même paradigme que le gel de 2021. Les dernières estimations globales tablent sur 9,6 millions d’hectolitres en Languedoc-Roussillon en 2024, nous avions produit 9,4 millions hl en 2021. La coopération annonce des chiffres similaires. On peut extrapoler que la région produira le même volume qu’en 2021, voire un peu en dessous au doigt mouillé. Tous les vignobles n’ont pas été touchés comme en 2021. Le fief de production de Pays d’Oc, l’Hérault avec 43 % des volumes a été peu impacté ce millésime et devrait rester un bastion fort. L’Aude a été très impactée par la sécheresse et dans les Pyrénées-Orientales c’est une catastrophe. Au contraire, le Gard a plutôt été impacté par un excès d’eau et du mildiou. En 2021, le commerce avait pris des mesures sécuritaires et s’était approvisionné tant qu’il avait pu. C’était une valeur refuge pour la production. Cette orientation pourrait s’exercer de nouveau en 2024 : je ne suis pas dans le secret de l’alcôve de chacun des producteurs pour sa déclaration de récolte. Je ne me fais pas de souci, l’expérience me laisse penser qu’il y aura le même réflexe de valeur refuge qu’en 2021. Dans tous les cas de figure, c’est un millésime exceptionnel en qualité sur les rouges et les blancs. Les attaques de mildiou n’obèrent pas la qualité, le déficit de récolte non plus.
Après un millésime de nouveau très marqué par le climat, dans les excès comme le manque d’eau, comment rendre la vigne plus résistante aux aléas climatiques ?
Nous portons la demande récurrente d’approvisionnement en eau. C’est un élément primordial pour savoir si oui ou non on veut des cultures méditerranéennes. Je dis cultures volontairement, le sujet dépasse la vigne. Le changement climatique que nous subissons, et qui amène des aléas climatiques, nous dit qu’il faut de l’eau. L’eau c’est la vie. Aujourd’hui, nous avons réussi à faire partager aux collectivités territoriales (conseil régional et conseils départementaux, dont l’Hérault) ont pris le problème à bras le corps pour nous soutenir dans les demandes d’eau, qui doivent être partagées par tous.
Les vendanges achevées, les perspectives marché attisent les tensions, alors que les augmentations de cours ne sont pas assurés pour le vin en vrac vendu au négoce (concernant 85 % des volumes de Pays d’Oc).
Je comprends le commerce, qui est spectateur et se demande : "est-ce qu’il y a un déficit ou un équilibre ?" Je considère qu’un équilibre sera certainement au rendez-vous par rapport à l’antériorité vécue. Je dis au commerce qu’il y aura un équilibre d’approvisionnement qualitatif indiscutable. Ce n’est pas la peine d’aller chercher des volumes ailleurs.
Vous demandez aux acheteurs de garantir a minima un SMIC aux producteurs viticoles en augmentant de 15 centimes le prix d’achat ramené à la bouteille (soit +20 €/hl). Est-ce votre façon de demander un prix rémunérateur minimum comme c’est actuellement évoqué pour une nouvelle version d’Egalim ?
On peut aller s’égayer sur les prix minimums, les prix planchers, Egalim… Je préfère regarder les paramètres qui nous amènent à la défense d’un prix, comme les estimations de disponibilité : elle était de 17,1 millions d’hectolitres en 2021 (stock 7,4 millions hl et récolte 9,7 millions hl). Cette année, nous avons moins de stocks (7 millions hl), on serait à 16 millions hl de disponibilité. Une fois que l’on a dit cela, demander une revalorisation c’est pertinent, ce n’est pas ubuesque. Nous avons déjà vécu cette réalité, quand il y a un déficit la balance repart à la hausse en ce qui concerne la rémunération. Nous revendiquons une augmentation de 15 centimes, sachant que si elle peut aller au-delà c’est mieux. Cette hausse a une incidence sur le prix proposé au consommateur qui est infime. Quand en fond de rayon le prix de la bouteille passe de 3,38 à 3,57 €, je ne crois pas qu’il y ait d’incidence sur la consommation, mais on sauve la viticulture.
Il faut que la Grande Distribution sauve le territoire : si elle veut le faire, elle peut le faire. Ce n’est pas une hausse de 15 centimes qui fera baisser la consommation. Ce sont d’autres choses qui génèrent la baisse de consommation : pas les prix, mais les habitudes de consommation ne sont pas les mêmes. L’augmentation de 15 centimes que nous avons proposée est atteignable : faut-il encore que chacun d’entre nous y mette du sien. Que l’amont fournisse la qualité, elle est au rendez-vous, que le commerce soit à même d’acheter avec une valorisation, et que la GD accepte ce postulat. Et là, on aura sauvé tout un pan de l’économie. Il faut un geste derrière la rémunération pour conserver des vignerons. Ce n’est pas ubuesque, il faut s’entendre autour d’une table.
Vous préférez donc passer par une négociation entre gens de bonne composition plutôt qu’une réglementation pour que le prix du vin soit bien rémunérateur.
Faire par une loi quelque chose sans discussion, ce n’est pas bon, ça ne marche pas. Mieux vaut se rencontrer et parler franchement des enjeux économiques que l’on gère, plutôt de parler de loi Egalim et se regarder en chiens de faïence pendant que l’on cherche un trou dans la raquette. Progressivement ce qui est souhaitable, c’est de passer de l’invective à de la discussion positive, commerciale et constructive. La semaine dernière, Olivier Simonou, le président d’InterOc, a pris l’initiative de réunir son conseil d’administration et les présidents des deux autres interprofessions (Languedoc et Roussillon), des représentants des métiers (amont et aval), avons eu une discussion franche allant sur ce type de raisonnements. La difficulté que nous voulons voir tomber, c’est de pouvoir parler de prix : la loi nous l’interdit. C’est ubuesque dans une interprofession de ne pas pouvoir parler de prix, qui ne sera au final qu’un prix d’orientation, vous n’allez pas imposer un prix. Mais que l’on puisse au moins parler de valeur et de son partage.
Augmenter de 20 € l’hectolitre serait pour vous la façon de relancer la filière éprouvée par des années de difficultés.
Ce sont des chiffres que l’on annonce uniquement pour obtenir une réaction et ensuite affiner. Par cette augmentation dérisoire, pas sensible mais dérisoire, nous avons la capacité de redonner vie à une filière. Là, c’est complétement atone. Est-ce que vous entendez des Jeunes Agriculteurs qui veulent s’installer ? Non, c’est catastrophique. Est-ce que l’on veut la mort de la viticulture française ? On parle actuellement budget, avec nos excédents commerciaux nous avons une légitimité pour demander que nos territoires ne soient pas abandonnés, que l’agriculture et la viticulture soient soutenus par de l’achat, pas par de la subvention. La subventionnite a ses limites. Contrairement à d’autres secteurs, la viticulture a fait le choix d’une rémunération directement liée à la vente de ses produits. Cela nécessite une rémunération.
En parlant de budget, il y a actuellement le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, avec des propositions de taxes comportementales ciblant les vins.
Nous sommes hostiles à tout ce qui va concourir à diminuer les revenus par l’augmentation des charges. Ce n’est pas bienvenu. Quand on voit les charges que nous sommes actuellement obligés d’assumer, qui n’ont fait qu’augmenter (phytos, matières sèches…). Nous sommes victimes d’une inflation récurrente des charges. Au moment où l’on fait ce constat, on ne peut pas rajouter des charges. Cette équation est impossible.
La filière va se décharger de vignes avec l’arrachage définitif à 4 000 €/ha qui ouvre ses candidatures. L’IGP Pays d’Oc semble souhaiter maintenir son potentiel de production dans cette phase de réduction.
Pays d'Oc souhaite préserver son potentiel de production des blancs et des rosés et conserver le potentiel de production des rouges répondant aux attentes du marché. L’arrachage c’est une décision qui appartient de façon individuelle à un vigneron. Ce n’est pas à moi de m’immiscer dans ce choix. On se retrouve avec une arrachage définitif déguisé (parce qu’il n’existe pas et que l’on passe par des fonds Ukraine de l’Etat) qui ouvre et dont on ne sait pas dans un mois quelle sera la demande. Pays d’Oc est surtout axé sur l’arrachage temporaire, dans la lignée de la Reconversion Qualitative Différée (RQD) qui nous a permis d’harmoniser et rééquilibrer le vignoble du Languedoc-Roussillon. L’arrachage temporaire permet de conserver le potentiel de production, de rénover un vignoble et de permettre de l’adapter à ce qui est voulu par le consommateur. Je regrette que l’on n’ait pas pu mener de manière concomitante les arrachages définitifs et temporaires pour qu’il y ait un vrai choix proposé aux vignerons. Le choix est cornélien, est-ce que j’arrache définitivement ou est-ce que j’attends un arrachage qui est en négociation ? C’est un mauvais calendrier.
Faites-vous l’analyse qu’il n’y a pas de surproduction structurelle de vin mais une sous-commercialisation conjoncturelle ?
Dans l’arrachage, que va-t-il se passer ? On va arracher des hectares et pas enlever des hectolitres alors que l’on cherche à rééquilibrer les volumes. Les gens vont arracher les vignes les moins productives, celles en désespérance (comme dans les Pyrénées-Orientales où des souches meurent faute d’eau, produisant à 5 hl/ha). Il n’y aura pas le rééquilibrage volumique attendu. On ne peut rien faire contre la perte de potentiel, on est obligé de regarder. Le système proposé va être individuellement apprécié. Au final il y aura plus d’hectares que d’hectos arrachés.
Pour vous, l’arrachage définitif aura forcément un effet réduit par rapport à ses objectifs (arracher 100 000 ha pour retirer 5 à 6 millions hl excédentaires).
Je ne peux pas rester sous silence. Je ne veux pas que mes voisins vignerons arrachent pour faire de la place aux vins d’Espagne et d’importation. Le risque est évident, il est réel. Si nos opérateurs nous laissent arracher en France, parce que notre demande de 15 centimes par col n’est pas assurée et que les gens sans rentabilité sont amenés à disparaître, que le lendemain ce ne soit pas compensé par des vins qui viennent d’ailleurs. Il ne faut pas que l’arrachage de vignes en France permette à d’autres vins, notamment d’Espagne, viennent se substituer.
Au sujet des substitutions, craignez-vous que les taxes chinoises frappant durement Cognac conduisent à une déstabilisation de l’ensemble du marché des vins blancs ?
C’est évident. J’ai dit en son temps qu’un retournement de situation est imprévisible, mais inéluctable. Cette analyse, tout le monde l’a pensée, mais certains sans courage n’ont pas osé la dire. On m’a répondu qu’au lieu de regarder dans le rétroviseur je devais regarder dans le parebrise. Je regarde dans les deux. Le retournement de situation en Chine est réel. Nous en avons déjà fait l’expérience, les Australiens et les Bordelais aussi. Qu’est-ce qui va être fait des surfaces de Cognac ? Si c’était de l’éthanol pour les mobylettes, il n’y aurait pas de souci. Mais non, ça fera du vin sans IG qui vont concurrencer les IG. C’est malheureux. Je souhaite que Cognac apporte de la richesse à la France, pas de la désolation et de la perte de revenus à la viticulture. Nous allons payer la facture.
En termes de stratégie d’avenir, comment le syndicat de Pays d’Oc travaille-t-il les sujets de diversification et de segmentation ?
Sur la diversification, j’étais jeune, mais je me souviens qu’après le gel de 1956 on plantait de la lavande et du genet. Où sont-ils passés ? On a aussi vécu la diversification de la pomme, mais il y a eu des primes à l’arrachage... La diversification est un palliatif, le sujet n’est pas le remplacement de la viticulture par la grenade ou autre chose. Pourquoi pas se diversifier, mais notre matrice c’est la viticulture.
Pour la segmentation, le postulat de base est qu’elle doit être réelle. Pour l’instant, elle ne l’est pas. Il y a une moyennisation des prix qui globalise. Il faut une rémunération qualitative réelle. Si un vigneron produit du merlot d’un certain profil à 70 hl/ha et qu’il le vend au même prix que celui à 90 hl/ha, il y a un cocu. Il faut sortir de cette moyennisation des cours selon le contexte de production : le profil et les rendements. La segmentation s’adosse forcément à la commercialisation, la contractualisation est indispensable pour produire une qualité requise par un marché donné.
Qu’en est-il des innovations par les cocktails, le no/low alcohol et les inévitables vins effervescents ?
On ne va rien s’interdire dans les temps viennent. Lors de la féria de Béziers nous avons testé des cocktails à base de vin qui ont très bien fonctionné. Nos tireuses ont plus attiré que celles des bières ! Pourquoi pas travailler sur le no/low en conservant une propriété du vin et le goût des cépages (avec un degré supérieur à 6°.alc). Nous devons répondre à toutes les segmentations de produit, y compris pour les vins rouges frais qui répondent à la demande de petits degrés pour ceux qui ne jurent que par les rouges.
On ne va pas sauver le monde viticole en faisant des bulles, mais c’est un élément de réponse. C’est déprimant quand je vois que nous avons été retoqué trois fois devant le Conseil d’Etat [pour une déclinaison effervescente de Pays d’Oc] et que je vois les chiffres de vente du Prosecco, qui est une réponse à la bière sans être un concurrent au Champagne et au Crémant. Nous étions en droit à Pays d’Oc de proposer un produit type Prosecco. Nous sommes capables de le faire. L’interdit a été fixé par des Français. Nos voisins nous entravent.
Les Crémants se montrent toujours aussi réticents face à la création de nouvelles IGP effervescentes…
Les Crémants sont remontés contre Pays d’Oc. J’irai plus loin, ils sont remontés contre la France, contre son économie en nous empêchant de produire des bulles. Nous pourrions apporter une réponse positive qui n’est pas en concurrence avec les champagnes et les crémants. Alors que les IGP effervescentes s’accumulent (Allobroges, Lorraine, Comté Tolosan…), la nôtre a été refusée, ça fait mal aux tripes.
Un sujet qui retourne souvent l’estomac des vignerons, c’est le coefficient multiplicateur des restaurateurs…
Quand on voit que le prix du verre arrive souvent au prix de la bouteille, il n’y a pas de quoi rire. Mais le vrai débat est sur la fiscalité indirecte qui pèse sur le prix des vins en restauration (TVA de 20 %). Quand je discute avec nos amis du CHR qui véhiculent nos vins, c’est la fiscalité qui leur est imposé qui va à l’encontre de nos intérêts. Je ne vais pas jeter l’anathème sur les établissements de la restauration, ils ont une fiscalité inappropriée et il faut revendiquer une fiscalité appropriée. Je ne cherche pas le clivage, je suis nuancé. Mais on ne peut pas accepter un prix du vin au verre égal à celui de la bouteille.
Quelle est votre vision de la fragilité des entreprises du vin languedocien ? Craignez-vous une épidémie de procédures collectives comme on peut en voir sur le grand Sud-Ouest actuellement ?
Pour l’instant, je sais qu’il y en a dans la détresse, mais je ne pense pas que ce soit globalisé. Là où j’entends le plus de détresse, c’est dans le Gard proche du Rhône, où il y a vraiment de la détresse, à cause des méventes. Dans l’Aude et le Roussillon, il y a une détresse à cause de la non-récolte. Ce sont les mêmes effets, mais pas les mêmes causes.
Les vendanges étant achevée, craignez-vous de nouvelles tensions comme au début d’année, où l’épuisement conduit-il à une forme de désespoir fataliste ?
C’est malheureux à dire, mais la baisse de récolte de cette année est un élément négatif en termes de production, mais positif en termes d’assainissement. Dans cette situation, est-ce que oui ou non on apporte des réponses que les vignerons sont en droit attendre. Il est là le débat. C’est pour ça que nous portons les 15 centimes, le partage de la valeur ajoutée, la contractualisation, le prix du vin et la fiscalité du vin dans le CHR, la segmentation, le Besoin Individuel de Commercialisation (BIC), la réserve climatique, les effervescents… On a mis des éléments sur la table. Il va falloir les mettre en application. Que l’on ne parte pas dans les dérives. Il y a des gens qui sont en recherche de reconnaissance syndicale et d’existence, qui toute leur vie ont mis de l’huile sur le feu et jamais dans les rouages. Aujourd’hui, nous avons me semble-t-il apporté des réponses pour sortir par le haut, tous ensemble, dans une situation aussi périlleuse.