ise en place sans transition ce vendredi 11 octobre, l’obligation de caution douanière de 34,8 % en moyenne sur les eaux-de-vie européennes pour les importateurs chinois se fait déjà lourdement sentir à Cognac. Mesure évidente de rétorsion au conflit commercial avec l’Union Européenne sur les véhicules électriques chinois, cet avant-goût de taxation antidumping a un impact immédiat sur l’activité des maisons charentaise (la Chine représentant pour les eaux-de-vie charentaises la deuxième destination export avec 23 % des volumes et 38 % de la valeur). En cette période de préparatifs pour le nouvel an chinois (29 janvier 2025), « quand les taxes sont tombées, deux conteneurs ont été annulés. Cela représente plusieurs centaines de milliers d’euros. Nous sommes déjà pénalisés à court-terme » témoigne Thibaut Delrieu, le directeur général de la maison Hine (Jarnac) qui commercialise 18 % de ses volumes et 25 % de sa valeur en Grande Chine.
Ne sachant pas s’il était concerné, un acheteur pour le duty-free a mis en pause une commande de cognacs Hine… « Le problème est que les distributeurs ne sont pas bien informés. Ils ne savent pas ce qui va se passer et comment » indique le négociant, pointant qu’il lui est inenvisageable de prendre en charge le cautionnement pour débloquer la situation : « on ne prendra pas 38 % sur nos marges, on ne peut pas. C’est une situation très compliquée pour une PME comme nous. »


« Il est difficile d’absorber la baisse d’activité et de répondre aux besoins de trésorerie supplémentaire. Cela va avoir un impact sur toute la filière et son emploi » prévient Charles Boinaud, le président de la maison Boinaud (Angeac-Champagne, Charente) commercialisant la marque de cognacs De Luze (700 000 bouteilles/an, dont un quart en Asie). Ayant pour sa part « concrètement des annulations de commandes de partenaires commerciaux, par crainte, d’autres reportent, par défaut d’information, d’autres attendent, selon les évolutions », le négociant rapporte qu’« un conteneur allait partir en Chine, mais notre importateur devait être capable de sortir 50 % de la valeur du cognac (avec la caution et les frais). La commande a été annulée. »
Faute de visibilité, toutes ses réservations de bateaux ont été suspendues, en attente de précisions pour savoir comment et qui va payer la caution douanière. « Dans un moment où l’accès aux liquidités n’est plus ce qu’il était, aller trouver des garanties bancaires pour payer des droits de douane hypothétiques sur un marché où l’on est en vigilance… C’est faramineux ! » s’exclame Charles Boinaud. Pour les PME du Cognac, très présentes sur un marché chinois demandeur de belles carafes et vieilles eaux-de-vie, la question de la caution douanière reste entière, entre flou réglementaire et petites capacités financières.
Nouvel an déjà loupé
Il faut dire que « le délai a été très court entre l’annonce le mardi et la mise en place le vendredi : très peu de temps pour se retourner » rappelle Stanislas de Foucauld, le directeur général de la maison Camus (Cognac), commercialisant plus 2 millions de cols (pour 100 millions d’euros de chiffre d’affaires) dont plus de 30 % en Chine (où son président est basé, Cyril Camus). Faute de trésorerie disponible pour l’importateur ou le négociant, aucune caution n’a été déposée pour les cognacs Camus attendant le dédouanement à quai. Sèche, la perte de tout ce qui n’est pas vendu pour le nouvel an ne pourra être rattrapée.


Et l’évocation d’une aide exceptionnelle par la Commission Européenne n’est pas pour satisfaire le négoce charentais. « On ne cherche pas de compensation ! On veut continuer à vendre » réagit Stanislas de Foucauld, qui « ne veut pas être dépendant des subventions. On veut un vrai appui diplomatique pour suspendre les taxes. À Cognac, nous proposons la mise en place d’un prix minimum d’exportation vers la Chine. » Une solution diplomatique qui n’empêche par la filière cognac de réfuter l’accusation de dumping porté par le ministre chinois du commerce extérieur (MOFCOM), mais permet de trouver une porte de sortie honorable sans passer par un long contentieux devant l’Organisation Mondiale du Commerce (OCM).
« Il n’y a aucun intérêt à aller sur un long contentieux devant l’OMC : il faut trouver un système différent, pour équilibrer la relation » plaide Stanislas de Foucauld. L’exemple en étant le vin australien, taxé par Pékin de 116 à 218 % de mars 2021 à mars 2024 (à cause de propos de Canberra sur l’origine de la crise covid) et ayant perdu leur leadership sur le marché chinois (passant de 1,21 million d’hectolitres en 2020 à 14 000 hl en 2023). Quant à l’idée que le cognac étant un produit de luxe, les consommateurs aisés ne sentirent pas d’augmentation de taxe et que les ventes se poursuivront, le fait est qu’en Chine même les milliardaires ne s’afficheront pas avec des produits pointés du doigt par leur gouvernement.


À Cognac en somme, « on a la tête sur le billot, le bourreau lève la hache et on nous propose des pansements en nous disant que l’on aura droit à un autre procès » grince Raphaël Delpech, le directeur du Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC). Si les rendez-vous s’enchainent à Paris dans les ministères et à Matignon depuis la manifestation du 17 septembre à Cognac, concrètement « il ne s’est rien passé du tout », à part les annonces de possibles soutiens financiers et de procédure devant l’OMC. « Un milliard d’euros disparaîtra de notre chiffre d’affaires tous les ans. Une aide européenne et française sera nécessaire si les taxes sont maintenues, mais ce sera une aide, pas une compensation » détaille Raphaël Delpech, ajoutant qu’une procédure de l’OMC, « c’est un résultat dans 5 ans… Cela arriverait bien après le dommage, ce n’est pas satisfaisant. »
Le lien entre le conflit à Bruxelles visant les voitures électriques chinoises et l’enquête de Pékin antidumping sur les brandies européens étant évident (chaque annonce européenne sur les véhicules étant immédiatement suivie d’une avancée contre les eaux-de-vie), les cognacs savent qu’il faut aller au plus vite pour désamorcer la machine infernale, l’Union Européenne devant se prononcer ce 31 octobre sur les dernières modalités d’imposition des voitures électriques de la République Populaire de Chine. « On attend concrètement que le premier ministre, Michel Barnier, saisisse le sujet et établisse une communication directe avec le gouvernement chinois » plaide Raphaël Delpech, pour qui « on ne peut pas imaginer être abandonnés seuls face aux taxes chinoises. »


Estimant que le vignoble de Cognac a été sacrifié, Anthony Brun, le président de l’Union Générale des Viticulteurs pour l'AOC Cognac (UGVC), espère une éclaircie. « Dans une question au gouvernement, la ministre de l’Agriculture répond par des négociations diplomatiques. Notre demande n’est pas autre chose » rapporte le viticulteur de Saint-Bonnet-sur-Gironde (Charente-Maritime). « À ce stade, la voie diplomatique doit être pleinement utilisée afin que la Chine renonce à appliquer des taux susceptibles de porter un coup fatal à une filière qui réussit – et en matière agricole, par les temps qui courent, rares sont celles qui ne connaissent pas de problèmes ! » déclare la ministre de l’agriculture, Annie Genevard, ce mercredi 16 octobre à l’Assemblée Nationale, suite à l’interpellation de la députée Sandra Marsaud (Charente, Ensemble Pour la République).
« Il faut donc profiter de toutes les occasions internationales qui nous sont données, entre autres le soixantième anniversaire de l’amitié franco-chinoise » pointe la ministre, précisant « avoir bien conscience que d’autres filières, notamment celles du lait et du porc, peuvent être concernées par ces mesures de rétorsion : il importe de considérer dans toute sa largeur le spectre des menaces potentielles. » Dans le vignoble de Cognac, « on continue à espérer que ça aboutisse dans notre sens, sans empirer pour notre filière et les autres (lait et porc sont visés, on entend parler des vins et cosmétiques) » souligne Anthony Brun. De quoi alimenter la morosité dans les campagnes, prêtes à manifester de nouveau faute d’avancées.
Fatigue vigneronne
Épuisés par une année difficile, les vignerons charentais voient également leurs coûts de production flamber alors qu’ils aboutissent à l’un des rendements les plus faibles de l’histoire de Cognac. Les producteurs pourront tenir leurs engagements contractuels dans la majorité des cas*, le rendement Cognac ayant été réduit à 8,64 hl AP/ha ce millésime 2024. Les grandes maisons tiennent leurs engagements contractuels, dans la limite du rendement 2024 et au prix maintenu de 2023. Faisant le dos rond, le négoce fait l’effort de continuer d’honorer leurs achats et de les maintenir alors que leurs stocks grossissent que les perspectives de marché rapetissent. « Ce qui démontre qu’après sa présence lors de la croissance, le négoce reste dans l’accompagnement durant cette période d’adaptation » indique Anthony Brun, qui reste mobilisé pour obtenir dès 2025 le dispositif d’adaptation des rendements de l’AOC Cognac « pour ne pas laisser la situation s’envenimer ».
Car les conditions de marchés sont compliquées pour Cognac, s’étant dégradées avant même les taxes en Chine. Épargnant plus que consommant, les marchés américains et chinois qui concentrent la consommation mondiale de cognacs restent à reconquérir. Pour les États-Unis, ce sont les prochaines élections américaines qui nourrissent les incertitudes, pouvant hâter le retour des taxes Trump (suspendues jusqu’en 2026). Cognac n’en a pas fini…
* : « Malgré les réserves climatiques, certains viticulteurs ne pourront pas respecter leurs contrats par manque de disponible » rapporte Anthony Brun, indiquant « des rendements qui descendent jusqu’à 4 hl AP. Ce qui est un gros manque à gagner pour ces viticulteurs. »