nterpelée sur les taxes chinoises ciblant cognac ce mardi 8 octobre au Sénat, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a mis en balance la protection des filières françaises de l’automobile et du cognac*.
Anthony Brun : Nous n’avons jamais demandé de mettre la filière automobile dans une situation compliquée pour sauver Cognac, ou inversement. Nous avons demandé de repousser la décision européenne sur la taxation des véhicules électriques chinois pour trouver une solution profitable aux deux filières. Le vote a eu lieu [NDLA : ce vendredi 4 octobre à Bruxelles] et la validation des taxes a eu des conséquences immédiates [NDLA : l’annonce ce 8 octobre de taxes chinoises sur les brandies dès ce vendredi 11 octobre], il n’y a pas de surprise. Aujourd’hui notre filière est sacrifiée, le compromis n’a pas été choisi.
La Commission Européenne annonce dans un communiqué soutenir ses filières d’eau-de-vie de vin avec la possibilité d’une procédure devant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et d’aides aux filières (en situation de perturbation du marché).
L’Union Européenne nous dit qu’elle va activer l’OMC, c’est très bien, mais le dernier exemple en date avec les vins australiens [NDLA : taxés par Pékin de 116 à 218 % de mars 2021 à mars 2024] montre que le conflit a mis 5 ans à se régler et que leurs vins ont disparu du paysage [NDLA : passant d’un leadership de 1,21 million d’hectolitres en 2020 à 14 000 hl en 2023]. Le temps des procédures de l’OMC est catastrophique. L’Union Européenne n’a pas conscience de l’impact sur notre filière de ces taxes. Pour les aides, est-ce que l’Europe est prête à racheter les eaux-de-vie qui ne seront pas vendues pour le marché chinois et assurer des revenus décents aux viticulteurs et négociants ? Non. Mais nous ne voulons pas d’aide, nous voulons un accès loyal au commerce international.
La seule et unique chose que nous demandons, c’est l’abandon des taxes. Nous ne demandons pas d’aide, pas d’enquête OMC. Cognac ne demande pas l’aumône, mais à continuer d’exporter. Nous sommes déjà en difficulté, si l’on ajoute des taxes chinoises, que faire ? Nous demandons à pouvoir continuer à exporter comme nous le faisons depuis 300 ans.
Stratégiquement, le choix chinois de cibler les eau-de-vie de vin en mesure de rétorsion est validé : ils appuient là où ça fait mal.
Depuis le Brexit, Cognac représente l’essentiel du secteur des spiritueux en Europe. Dès que la France est ciblée par des contentieux commerciaux, c’est la filière cognac qui va payer le prix. Et ça marche bien. La France a été moteur sur la décision des véhicules électriques chinois. L’Espagne aussi, qui est ciblée par sa filière porcine. Il n’y a aucune surprise, nous avions prévenu du risque avant même l’annonce de taxes. A notre grand regret, nous avions raison. Mais peu importe nos alertes.
La ministre de l’Agriculture a également indiqué que ses services sont en appui pour avancer sur les outils de gestion du potentiel de production charentais, le projet de rendement modulable.
C’est le système d’adaptation sur lequel on travaille activement pour gérer la situation économique actuelle. Ça ne réglerait en rien une situation qui empirerait avec l’arrivée de taxes chinoises. C’est une solution neutre en termes de budget, nous ne demandons pas de financement, mais une optimisation de la production pour mieux gérer nos charges en permettant de remettre le vignoble en place quand les marchés repartent.
L’Union Européenne ne juge-t-elle pas que la filière de Cognac peut encaisser un choc commercial comme ses marques appartiennent à des groupes internationaux de luxe ?
En effet, quand on regarde les quatre plus grandes maisons de Cognac on trouve des groupes internationaux (LVMH, Pernod Ricard, Campari et Rémy Cointreau). Pour autant, derrière ces grands groupes se trouvent 4 500 viticulteurs qui ne font pas partie de ces grands groupes. Comment vont-ils vivre ? Contrairement à LVMH ou Pernod Ricard, un viticulteur charentais n’a pas d’autre secteur d’activité en cas de difficulté et ne peut pas faire le dos rond.
Qu’attendez-vous de la réunion qui aura lieu lundi entre la ministre de l’Agriculture et la filière des eaux-de-vie françaises ?
J’attends l’arrêt de la câlinothérapie pour avoir un plan d’action concret et efficace. On a vu et revu toutes les personnes en charge de ce sujet, il faut des avancées concrètes pour supprimer les taxes. Le gouvernement a voté les taxes sur les véhicules électriques chinois, il a sa part de responsabilité.
Après la manifestation du 17 septembre à Cognac, quand prévoyez-vous de nouvelles actions si rien n’avance ?
La mobilisation pourra recommencer après la récolte, qui devrait s’achever la semaine prochaine. Il y a déjà eu des actions ce mercredi 8 octobre en soirée par les Jeunes Agriculteurs. On les soutient évidemment. Les actions de l’UGVC et des syndicats généralistes reprendront s’il n’y a pas d’avancées.
* : La ministre a déclaré que « la France est placée devant un choix des plus difficiles : il y a la préservation de sa filière automobile électrique et il y a aussi le souci de préserver l’un des fleurons de l’agriculture française, le cognac (l’armagnac étant moins exposé me dit-on). »