résenté ce 2 octobre à la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, le plan de filière prévoit dans un premier temps la réduction du potentiel de production. Mais est-il aujourd’hui possible de savoir quelles surfaces sont à arracher, définitivement et temporairement, pour que le vignoble ne soit plus en surcapacité ?
Bernard Farges : Ce que l’on porte depuis des mois ce sont des chiffres assez simples à observer. Le chiffre de 100 000 hectares de vignes à arracher, ce n’est pas sorti au doigt mouillé ! Sur les récoltes presque normales depuis 2019-2020, on a chaque année un excédent de 5 à 6 millions d’hectolitres de vin, ce qui fait 100 000 ha au niveau global. On a distillé deux fois [NDLA : en 2020 et 2023]. Ce n’est pas de gaîté de cœur qu’il faut arracher. Avec la petite récolte en 2024 c’est moins prégnant, avec des rendements dramatiquement bas dans des zones comme les Pyrénées-Orientales, Chablis, le Jura… Si l’on regarde cette année, il n’y a pas d’excédent visuel, mais structurellement il existe. Le potentiel demeure. Il y a 100 000 ha de vignes excédentaires [en France].
L’arrachage est divisé en deux volets : un définitif et un temporaire. Pour l’instant, c’est celui définitif qui se met en place, très tardivement. Quand on alertait il y a 2 ans [à Bordeaux] pour solliciter l’arrachage qui n’existe plus dans la réglementation européenne, nous étions seuls dans notre coin et nous avons commencé à mettre en place notre propre outil financé par la filière elle-même [par un arrachage sanitaire, pour la diversification ou la renaturation]. Aujourd’hui, c’est toute la France qui demande l’arrachage pour les zones concernées. Maintenant c’est fait, grâce aux aides Ukraine, tant mieux. Pour le volet temporaire, le travail est en cours, il a été reporté au Groupe de Haut Niveau. Nous en parlons depuis 2019 à Bordeaux, nous savons qu’il n’existe rien dans les textes européens et donc le travail est en cours. On reste sur 100 000 ha à arracher.
Comment gérer les vignes en friche qui s’étendent en Gironde, dans le Languedoc, en vallée du Rhône et dans la Loire ?
C’est un volet porté par la filière dans les demandes réglementaires de capacités d’action nécessaires à mener. La CNAOC (Confédération Nationale des Vins AOC) y travaille. Dans la précédente législature il y a des propositions qui n’ont pas abouti, on espère que ça avancera rapidement. Pendant les vendanges, je reçois des coups de fil de collègues qui me disent que la récolte est catastrophique à proximité de ces parcelles abandonnées. C'est vraiment un amplificateur de risque mildiou. Nous demandons aussi la révision des moyennes olympiques [pour l’assurance climatique].
Le plan de filière mise également sur l’innovation : quelles sont les pistes évoquées ?
Cela concerne tous les étages, de la production (comme les vins plus frais) jusqu’aux emballages et contenants (réemploi, allégement…), l’innovation de mise en marché… Il n’y aura pas de recette magique, le travail doit être mené pour coordonner et rassembler tout ce qui existe. C’est un sujet porté par le projet Vitilience de démonstrateurs dans les différentes régions pour observer les innovations et voir comment les transférer. Le seul concept ne suffit pas, les vignerons sont comme saint Thomas, ils ne croient que ce qu’ils voient. Anticipant le retrait éventuel de molécules, le programme PARSADA (plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures) est là pour soutenir les évolutions et l’innovation. Nous avons rappelé à la ministre qu’il ne peut y avoir d’interdiction sans solution, c’est le sens du programme PARSADA voulu par Elisabeth Borne quand elle était première ministre.
Le difficile millésime 2024 illustre la difficulté du vignoble à lutter contre les ravageurs avec une boîte à outils phyto toujours plus réduite.
Nous venons d’apprendre qu’il y a encore un produit mis à l’index par l’Anses (Agence de sécurité sanitaire), le mildicut. À chaque fois que l’on perd une matière active, on complexifie la lutte contre les ravageurs, on peut moins alterner les produits, on fragilise la protection… Le mildicut n’est pourtant pas interdit en Europe. Il faut que ça cesse. Il y a quelques jours il a fallu s’expliquer devant l’Anses sur l’utilisation du cuivre. Parmi leurs propositions, ils évoquaient l’idée de couvrir les vignes de filets pour protéger les oiseaux et compenser le risque de fragilisation des coquilles d’œuf [par l’exposition au cuivre]. C’était l’une de leurs réflexions. C’est juste impossible de couvrir tout le vignoble. On parle de 790 000 ha de vignes en France, il doit y en avoir 750 000 couvertes par le cuivre. Voilà ce contre quoi on lutte, ça rend fou.
Pour innover, il faut une capacité à investir dans l’outil de production et donc à valoriser sa commercialisation. Cela passera-t-il par l’entrée du vin dans le champ d’application de la loi Egalim ?
Nous avons rappelé que nous sommes engagés sur le sujet après les discours du premier ministre Gabriel Attal début février. Quelques heures après, le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) et l’interprofession des vins du Rhône (Inter Rhône) envoyaient une lettre pour dire qu’ils étaient tout à fait ouverts pour avancer sur le sujet. Nous avons fait des propositions au ministère de l’Agriculture, les travaux doivent recommencer et nous attendons une évolution d’Egalim. La ministre nous a dit qu’Egalim sera un sujet spécifique qu’elle nous invite à discuter rapidement.
Dans la filière il ne semble pas qu’il y ait de consensus sur Egalim, entre ceux qui y croient à fond et sont impatients, et puis ceux qui craignent une usine à gaz comme les situations de production et d’entreprises sont trop différentes pour réussir à calculer un coût de production socle…
Nous ne sommes pas à Lourdes, il n’y aura pas de miracle. Que voit-on aujourd’hui ? Sur certains marchés, dès lors qu’il y a des stocks importants sur un type de produit, dès lors qu’il y a un déséquilibre sur une région, on a un effet exponentiel à la baisse. Il y a des règles précises qui interdisent les reventes à perte pour les contrats aval entre le négoce et la distribution, mais pour l’amont, ça ne choque personne qu’il y ait vente à perte. Il faut arriver à construire le prix en marche avant avec un niveau de prix suffisant pour le producteur, tout en respectant les marges et coefficients des intermédiaires pour arriver à la distribution.
Aujourd’hui, on marche à l’envers. On part d'un prix proposé par le négociant ou imposé par le distributeur pour ensuite revenir chercher le vin à n'importe quel prix comme une matière première. Deux régions sont particulièrement intéressées, le projet est porté par le CNIV et nous souhaitons que ça aboutisse. Dire que la marge de chacun de 5 à 25 % sera respectée par rapport au prix de production, ça n’existera jamais. Mais si les textes donnent une référence, ça sera déjà une avancée, cela permettra d’avancer sur des indicateurs interprofessionnels. Et ça sera mieux que rien comme c’est le cas aujourd’hui. Ça ne sera pas adapté à tous les produit. Il doit y avoir de la subsidiarité, selon les régions et les appellations dans chaque zone qui se sentent concernées. Ceux qui n’en veulent pas ne rentrent pas dans le dispositif. On ne va pas régir le commerce Pauillac comme celui des Côtes-du-Rhône, ou celui de Gigondas comme l’AOP Bordeaux.
Le plan de filière souhaite également relancer la consommation : est-ce que cela passe par une révision de la loi Évin ou au moins des politiques publiques plus allantes, en France et en Europe ?
On peut toujours dire que l’on va changer la loi Évin, mais on sait que c’est un totem pour beaucoup. Il faut agir différemment dans le cadre qui existe. Il y a urgence à consacrer plus de moyens à la promotion. L’œnotourisme a été identitié, avec l’idée d’un évènement national à Paris qui soit décliné en région pour se rapprocher des consommateurs. Il faut chercher des consommateurs jeunes face à la déconsommation. Il y a un vrai problème sur les vins rouge, mais aussi de mauvais chiffres sur les blancs et les rosés. La déconsommation est spectaculaire parmi les jeunes générations.
On ne va pas soûler les Français, le sujet est de relancer la consommation en faisant des choses que l’on ne faisait pas. Certaines régions ont expérimenté de proposer du vin sur des festivals de musique, à la tireuse et dans des ecocups, c’est un vrai succès. Il n’est pas question d’une campagne de communication nationale, mais que chacun ait les mêmes cibles et les mêmes objectifs. J’espère que l’on utilisera davantage l’argent sur la promotion de nos vins que sur les investissements dans les chais ou dans les vignes. Tout ça fait partie des débats à venir sur la répartition du Plan Stratégique National (PSN). A court terme, on sait qu’il y aura moins d’appétit sur les investissements avec la situation difficile actuelle.
Dernier point du plan de filière, le soutien à l’exportation : par la sortie des vins et spiritueux des conflits commerciaux et la signature de nouveaux accords de libre-échange ?
La flière vin rappelle à chaque rendez-vous avec des responsables politiques que nous sommes favorables aux accords commerciaux équilibrés. Mais depuis dix ans, tous les arbitrages de conflits commerciaux se font au détriment de la viticulture : sur les panneaux solaires en Chine, pour le dossier Airbus/Boeing, sur ce qui se dessine en Chine pour l’automobile au détriment des cognacs et armagnacs… Tout le monde est ravi d’avoir les 12 à 15 milliards d’euros d’excédent commercial de la filière des vins et spiritueux chaque année, mais on doit le faire avec zéro soutien dans ces moments.
Il y a aussi une pression en Europe et au sein de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour rendre anormale la consommation de vin. On doit lutter fort. Il pourrait y avoir des initiatives dans le prochain projet de financement de la sécurité sociale comme chaque année. Avec les velléités de certains d’imposer un prix minimum aux consommateurs. Cela a déjà été expérimenté et c’est nul en termes de santé publique et de finances.