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La sortie de crise viticole par Gérard Bertrand
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"Ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain"
La sortie de crise viticole par Gérard Bertrand

Face à la violence de la crise actuelle, le charismatique négociant languedocien plaide pour une union des gens du vin en Occitanie : interprofession unique, investissements massifs sur la communication, aides exceptionnelles pour sauver les vignobles en voie de désertification et les irriguer, développement de la contractualisation, création et partage de valeur ajoutée... Entretien à l’occasion de la publication de son troisième ouvrage, "le Vin multidimensionnel" (éditions Origine nature, 200 pages pour 19,90 €).
Par Alexandre Abellan Le 01 octobre 2024
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La sortie de crise viticole par Gérard Bertrand
Vigneron ? « Si c'est un métier facile, ça se saurait » glisse Gérard Bertrand. - crédit photo : DR
V

otre troisième livre place le vin comme un produit de transcendance et de vibration. Vous êtes donc en accord parfait avec la communication actuelle des AOP Languedoc parlant de "vins vivants, vins vibrants".

Gérard Bertrand : Ce livre fait le bilan de 40 ans de millésimes. Il permet de retracer le parcours et les épreuves surmontées, de partager la vision ce ce qui a été mis en place au niveau de la production des vins mais aussi de la commercialisation. C’est-à-dire comment mettre en place le savoir-faire et le faire savoir : parce que si vous faites de bons vins mais que vous ne les vendez pas c’est comme vendre des vins de qualité moyenne : ça ne dure pas. Notre métier a beaucoup changé, il demande de plus en plus d’attention. C’est une quête d’excellence. Je raconte ma passion pour le vin, pour les terroirs et que l’on peut être chef d’entreprise tout en ayant une vocation et un vrai engagement pour la qualité de produits. En France, on vous met toujours dans des cases. Lui, il est entrepreneur, mais pas vigneron. Comme disent les Bourguignons, un négociant est un vigneron qui a réussi, parce qu’il n’avait plus assez de vin et est allé en acheter à côté de chez lui. Ce livre trace mon parcours dans la durée sur la révélation des terroirs, la biodynamie et l’esprit d’équipe.

 

Dans une filière en quête de segmentation, vous proposez de distinguer le bon vin du quotidien, le très bon qui "passe du goût à l’arrière-goût", l’excellence pour les "émotions rares" et l’exceptionnel pour "un millésime de légende". Mais peut-on encore parler de vin du quotidien quand la déconsommation remet en cause la consommation régulière ?

Le vin du quotidien n’est pas forcément bu quotidiennement. C’est le vin de tous les jours pour ceux qui veulent accompagner leur repas d’un verre de vin. Cette consommation effectivement diminue.  Mais honnêtement, les vins du quotidien n’étaient pas très bons il y a 20 ans. Aujourd’hui, il n’y a plus de mauvais vins grâce aux vins de cépages qui permettent de donner une identité de goût. Se passer de vin à midi ou le soir, c’est dommage, c’est un acte manqué parce que ces 10 à 15 cl permettent d’accompagner le repas, de mieux digérer. Les gens confondent aujourd’hui le vin et l’alcoolisme. Mais ça n’a rien à voir, tout simplement parce qu’un verre de vin c’est bon pour la santé, c’est démontré scientifiquement par le French paradox.

La consommation a baissé en France, mais elle reste l’une des plus importantes au monde. Et partout ailleurs on s’est mis à consommer du vin, grâce au développement des hôtels de groupes internationaux avec des cartes de vin. Et quand il n’y a pas de contre-indication liée à la religion, il se boit du vin dans 180 pays dans le monde. Nous avons beaucoup de possibilités. Plus qu’il y a 30 ans en arrière où 90 % de la production française était consommée en France. Ce sont des marchés à conquérir. Il faut développer la destination : on a fait Sud de France, il faut pousser le Languedoc,  mettre en place des équipes structurées et des moyens plus importants pour regagner des parts de marchés.

 

Ayant réussi sa mue qualitative avec des opérateurs comme vous, le Languedoc semble revenir au constat des surplus quantitatifs. Dans votre ouvrage vous faites pourtant une distinction entre « la flexibilité » du Languedoc et la « crise profonde » de Bordeaux ou la « souffrance » de la vallée du Rhône. Les situations sont différentes pour vous ?

Non, quand on regarde bien, il y a en fait des crises structurelles et conjoncturelles. La crise structurelle est liée à la surproduction mondiale. Ça n’échappe à personne qu’il s’arrache 20 000 hectares au Chili, 10 000 ha à Bordeaux, que l’Australie est dans une crise profonde avec 3 ans de stock, que de nombreuses wineries font faillite en Californie… Cette crise structurelle est aussi liée à des changements climatiques. On le voit bien chez nous [en Languedoc] la bande littorale est en grande souffrance : il n’y a pas de rentabilité quand on perd 30 % de sa récolte, parce qu’il n’y a pas d’équilibre économique.

Pour la partie conjoncturelle, il y a eu ces deux dernières années une augmentation spectaculaire des taux d’intérêt supplémentaire. Quand on est à 5 ou 8 % de taux d’intérêt aux États-Unis, les gens se stockent moins et cela crée des déséquilibres à la production et au négoce. Ensuite, il y a l’inflation. Quand cela se cumule, cela veut dire que les consommateurs font des arbitrages à la fin. Et c’est violent. Quand vous cumulez conjoncturel et structurel, tout le monde se dit que c’est la fin de l’histoire. Mais ce n’est pas le cas. Il faut rester optimiste. Mais il y a un vrai travail de fond à mener pour se remettre en question. Le mode de gouvernance des différentes structures portant les messages dans la région [Occitanie] ne fonctionne plus. Quand on voit que trois appellations (Corbières, Minervois et Fitou) ont quitté le Conseil Interprofessionnel du Vin du Languedoc (CIVL), c’est une erreur fondamentale. Même si le CIVL n’est pas parfait, ces appellations n’ont pas la taille critique pour produire les études économiques et avoir les budgets nécessaires pour la promotion du territoire sur le terrain.

Aujourd’hui, on a un émiettage de la communication de notre région qui n’est pas au niveau des enjeux. C’est pour ça que j’appelle depuis longtemps à une interprofession unique. Les metteurs en marché ont besoin d’un soutien plus important en termes de communication pour promouvoir la région dans le monde. Aujourd’hui on a des budgets de troisième division alors qu’il faut jouer la Champions League. Aujourd’hui, on est en compétition avec les vignobles du monde entier, mais aussi les marques de spiritueux. Si l’on ne s’organise pas pour avoir une démarche jusqu’au point de vente, on va laisser les grands groupes faire le boulot et prendre la place. À la fin, le consommateur a le choix, qui est le plus large possible. La première région viticole au monde [l’Occitanie] doit avoir le premier budget de communication au monde. Cherchez l’erreur.

 

Vous appelez à l’union, mais souvent on voit des divisions persister entre signes de qualité et métiers (notamment metteurs en marché direct et négociants).

Depuis quarante ans que je fais tour du monde 150 jours par an, je peux dire que les petites guéguerres d’ici font rire tout le monde. Il est temps de se serrer les coudes. Plutôt que de regarder les 10 % qui nous séparent, regardons les 90 % qui nous réunissent. Il n’y pas de guerre entre le négoce et les producteurs, parce que sans producteur, il n’y aura pas de négoce, et que les négociants sont souvent des producteurs. Il faut un peu élever le débat. La solidarité doit s’exercer, c’est évident. Mais ce qui est important, c’est de tirer les leçons des deux à trois dernières années et de voir comment rebâtir une organisation pour les vingt prochaines années. Pour réussir collectivement, on doit accentuer la segmentation et la hiérarchisation

Il y a des exemples de succès quand on voit la progression de Pic Saint-Loup, Picpoul de Pinet et terrasses du Larzac, mais aussi le succès ces vingt dernières années de Pays d’Oc qui est passé de 500 000 à 6 millions hl. On a su fédérer, maintenant, il faut inventer le monde de demain parce que tout a changé : le e-commerce est arrivé, l’Intelligence Artificielle va challenger le monde du vin, il y a tout le monde des cocktails qui a fait beaucoup de mal aux vins… Il faut aller conquérir de nouveaux moments de consommation en dehors des repas. Et ça, ça ne se fera pas sans moyens et sans vision partagée à long terme avec un plan d’actions adapté aux marchés. Il n’y pas de fatalité de destin, il faut se remettre en cause.

 

Faut-il entendre dans vos analyses et propositions un acte candidature pour fédérer la filière languedocienne, pour être un capitaine d’équipe du XV des vins du Midi ?

Non, j’ai été pendant 25 ans dans les syndicats et interprofessions (CIVL, Intersud…), je n’y vais plus depuis dix ans parce que je considère que tant qu’il n’y a pas de plateforme commune on ne réussira pas de manière collective. Il y a des succès individuels, mais pour un succès collectif il faut passer à l’étape d’après. Je suis toujours disponible et prêt à prendre ma part pour aider à prendre les bonnes décisions et solutions, mais il faut que les nouvelles générations prennent leur bâton de pèlerin.

 

Dans votre livre vous prenez en exemple les vins de Champagne pour avoir gommé le millésime et développé des marques fortes : « quand une appellation devient une marque, elle porte en elle le fruit du succès durable ». Vous croyez dans l’AOC comme outil de réussite, mais avec des contraintes réduites, comme avec Châteauneuf-du-Pape qui propose « 13 cépages sans aucune limitation, voilà bien le cahier des charges du libéralisme absolue ».

Pic Saint-Loup a trouvé le bon équilibre : les gens achètent d’abord du Pic Saint-Loup et ensuite le propriétaire. Il y a des exemples de réussite ici : il faut de la constance et de la persévérance avec des gens d’accord sur essentiel. Mais quand on regarde bien, la région produit entre 11 et 13 millions hl, mais quand on cumule Pic Saint-Loup et Picpoul de Pinet, cela fait 150 000 hl : ça représente 1 % de la production, c’est trop rare. Je crois beaucoup aux AOP parce que c’est la pointe de la pyramide, la dimension liée au terroir. Un vin monocépage doit avoir une identité de goût, alors qu’un vin AOP doit avoir ne identité de terroir : ce sont deux approches très complémentaires.

Il faut être offensif maintenant, pour conquérir la Chine mais aussi l’Amérique du Nord en créant une destination, en accueillant des délégations. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, il y a quand même des structures solides. On prend de plein fouet cette crise structurelle et conjoncturelle. Et quand il y a surproduction, cela veut dire que des compétiteurs font des offres de prix qui sont totalement ridicules. C’est pour ça que le marché de l’entrée de gamme n’est pas là où notre pays a le plus de chance de succès. Il nous faut développer la valeur ajoutée et ce que l’on met autour : la désirabilité. C’est un travail de communication, de réceptif, de destination… La Bourgogne l’a bien compris avec le même message consistant. Ce n’est pas le modèle similaire au nôtre, ils ont 1,5 million hl quand nous en avons 8 fois plus. Notre vraie force dans notre région, c’est la diversité de notre production (vins rosés, blancs, rouges, orange, doux naturels, effervescents…) et le nombre de nos cépages (70). Mais la segmentation n’est pas facile à mettre en place. Et la hiérarchisation prend du temps.

 

L'enjeu de la valeur ajoutée est plus pour vous un enjeu de construction sur la durée de la reconnaissance des marchés que la mise en place d’un prix minimal calculé par des indicateurs interprofessionnels, selon une nouvelle loi Egalim ?

D’abord, c’est très compliqué une loi Egalim quand on a autant de signes de qualité. Deuxièmement, on peut mettre tous les prix que l’on veut, s’il n’y a pas de demande, il n’y a pas de marché. Le vin n’est pas un produit de première nécessité avec un marché mondial comme le sucre, le cacao ou le blé. Nous ne sommes plus à l’époque où le degré hecto faisait la transaction. Nous sommes sur de la valeur ajoutée, ce n’est pas la loi Egalim qui va la régler. Il faut des acheteurs en face. Et il faut retrouver de la dynamique en répondant à la problématique des producteurs de la zone sinistrée de la bande littorale [des Pyrénées-Orientales, de l’Aude et de l’Hérault]. Pour moi, cela doit passer par des mesures exceptionnelles régionales, françaises et européennes.

Le court terme c'est de régler la problématique de l'eau entre Béziers et la frontière espagnole, sur une bande littorale de 30 km où l’on assiste à une semi-aridification du territoire. La présidente de région, Carole Delga a dit qu'elle allait faire des annonces fortes au mois d'octobre, on les attend. On espère qu'elle sera à la hauteur des enjeux, parce qu'il faut que le Bas Rhône puisse arriver rapidement dans cette partie du Languedoc qui souffre trop de la de la sécheresse. Il est urgent de mettre un dispositif en place pour redonner de l'espérance à toute une zone qui est aujourd'hui sinistrée. Ensuite, sur le reste de l'Occitanie, il y a d'autres problématiques qui sont liées à des problèmes de ventes. Il faut renforcer les processus de destination, renforcer la communication territoriale et segmenter chaque appellation. Ce qui demande des moyens humains et financiers. Ça ne se fera pas par incantation, ça demande de la performance économique.

 

On sent que le petit millésime 2024 réouvre les tensions et les invectives entre le vignoble et le négoce. Est-ce que les négociants peuvent aider la production à mieux connaître les marchés et gagner en visibilité avec des contrats pluriannuels ?

Il n’y a pas de guerre entre production et négoce, c’est une chimère. La crise n’épargne personne aujourd’hui. Il faut se serrer les coudes. Quand vous allez à l’export et que vous avez face à vous des offres de prix ridiculement basses du Chili et de l’Australie, vous voyez que la compétition est mondiale. Le négoce de la région n’a pas la puissance pour changer ça. Le négoce s’adapte et peut développer la contractualisation. C’est ce que l’on fait dans notre groupe [Gérard Bertrand] ce qui assure une garantie de sourcing pendant 3, 5 ou 10 années. Le développement de la contractualisation est une solution qui intensifie le gagnant-gagnant.

Le marché libre est très violent aujourd’hui du fait de pas avoir de partenariat. Ça met toute une partie de la production sous tension quand on ne sait pas à qui on va vendre son vin, ça devient angoissant et on est prêt à le céder à n'importe quel prix. Il y aura toujours un marché libre, mais à moyen et à long terme la contractualisation est vraiment nécessaire.

 

Mais dans le court-terme, on sent un mal-être de plus en plus fort dans le vignoble où l’on parle d’arrachage, de surcapacité… N’êtes-vous pas inquiet de revoir les tensions du début d’année revenir encore plus exacerbées ?

Il faut distinguer ceux qui n’ont pas accès à l’eau et les autres. Sur la bande du littoral, la principale problématique, c'est que la vigne ne pousse pas et qu’il faut apporter de l'eau. Soit par captation, soit, ce qui est le plus important, par le doublement ou le triplement du bas Rhône. Sur les autres vignobles, l’année a été exceptionnelle avec une forte pression mildiou dans l’Hérault et le Gard en particulier. Ce ne sont pas les mêmes problématiques. Mais quand vous cumulez le tout, on peut comprendre que certains soient au bord du désespoir. Comme les entreprises de notre région n’ont souvent pas assez de fonds propres, c'est compliqué parce qu'il faut en même temps négocier des garanties avec les banques. Ce qui n'est jamais facile à obtenir. Il faut une démarche collective pour passer ce cap.

 

Dans cet esprit de filière, des demandes d’augmentation des cours ont été portées par la coopération pour que le négoce fasse sa part et soutienne la production. Cela vous semble-t-il cohérent ou déconnecté des marchés que vous évoquiez ?

La demande est cohérente. Honnêtement, c’est recevable. Je pense que le négoce fera les efforts qu’il pourra pour que tous les partenaires avec lesquels ils travaillent puissent avoir une valeur ajoutée supplémentaire. Il faut qu’il y ait aussi une logique de marché. Il y a dans la filière la volonté d’une meilleure rémunération et d’augmentation des volumes vendus. Il n’a échappé à personne qu’il reste du stock de la dernière récolte, donc il faut voir quelles sont les priorités. La mise en place d’une réserve qualitative a aussi été évoquée. Il y a plein de chose à faire et à mettre en place. Il n'y a pas de fatalité, mais on part de loin. Ça demande peut-être de se mettre tous autour de la table pour se poser les bonnes questions et essayer d’avoir les bonnes réponses.

 

Ce tour de table serait à mener d’urgence alors que les vendanges s’achèvent et que l’on peut craindre une situation hautement inflammable dans le vignoble…

Je ne sais pas s’il faut parler comme ça. Il faudra qu’il y ait des réunions, que les responsables de la production et du négoce se mettent autour de la table avec un agenda, un ordre du jour précis et la volonté d’arriver à une synthèse. En sachant que l’on n’arrivera pas à régler les choses en cinq minutes. On a besoin d’outils qui ne sont pas forcément en place. Il y a de l’arrachage et il y en aura. Il y aura forcément des replantation, d’autres cépages que ceux plantés il y a 10 ou 20 ans. Et il y a tout l’accompagnement des jeunes qui vont s’installer dans les caves particulières, les caves particulières et le négoce.

 

On entend des vignerons déconseiller à leurs enfants de reprendre l’exploitation familiale. Votre fille, Emma Bertrand, vous a rejoint, vous croyez donc à l’avenir d’une filière florissante ?

La meilleure réponse à ça, c’est en fait de regarder ce qui a été fait depuis 30 ans en Languedoc. Il n’y a pas une région qui a fait plus d’effort au monde : qualité, segmentation, prix, internationalisation… Maintenant, il faut lancer le troisième étage de la fusée, se réinventer, regarder en face de nous le monde qui a changé, les exigences du métier, la compétition avec toutes les boissons… Et faire une destination à la fois viticole et touristique. On a beaucoup de travail à faire, il faut se renforcer sur le segment ultra premium et iconique.

Je suis content que ma fille m’ait rejoint et j’espère que mon fils Mathias me rejoindra aussi. Je crois beaucoup à l'avenir à long terme de la viticulture. Il se fait du vin dans la région depuis 2400 ans, donc des crises, il y en a eu. Et des plus sévères que celles qu'on a actuellement. C’est la violence de la conjoncture et de la crise structurelle qui fait que c'est inédit dans les 20 dernières années de voir ce que l'on voit aujourd'hui. On a une obligation, c'est d'apporter des réponses à son niveau.

 

Quelles réponses, quel soutien, attendez-vous du monde politique ?

Je pense que chez France Addictions [NDLA : ex-ANPAA] ils en font trop aujourd’hui quand ils montrent du doigt nos publicités sur les réseaux sociaux. Le monde entier en fait et nous, comme nous sommes français, nous n’aurions pas le droit d’en faire. La Loi Evin est aujourd’hui obsolète, ce sont les règles internationales qui s’appliquent et tout le monde prône la modération. Il faut arrêter de vouloir vivre dans un monde angélique où la France est un pays fermé. Les réseaux sociaux n’ont pas de frontières, la loi Evin doit être réformée pour donner plus de flexibilité et de solutions pour que l’on puisse communiquer. Il faudrait une volonté politique de dire les choses telles qu'elles sont et arrêter de voir le verre à moitié vide. Il vaut mieux le voir à moitié plein et surtout se donner les moyens de partager cette exception française qui est quand même assez exceptionnelle.

 

Pour revenir à un verre qui semble vide, la sécurisation de l’accès à l’eau est crucial pour l’avenir du vignoble languedocien ?

J’espère que les annonces de la présidente Carole Delga seront à la hauteur des enjeux. Ce sera la première étape pour apporter des réponses aux besoins de la bande littorale. Il va y avoir 60 milliards de mètres cubes qui vont finir à la mer cette année, l’an passé c’était 55 milliards m3. Si l’on n’en prenait ne serait-ce que 10 %, on aurait la région la plus prospère en Europe et ça permettrait toujours d’apporter suffisamment d’eau à la Méditerranée, de créer de la biodiversité parce que les milieux ont besoin d’eau et de rassurer les écologistes, dont je suis (étant en biodynamie sur 1 000 ha). Cela veut dire que quand l’eau coule, il faut savoir la stocker et l’utilise dans cette période estivale de plus en plus préoccupante où la région est en souffrance (du 15 juin au 15 août). Ce sont des structures, des moyens, des budgets à confinancer par la Région, la France, l’Europe…

 

Dans votre livre, vous indiquez que quand vous investissez dans un vignoble c’est pour les qualités de son terroir, « on ne changera jamais le sol et le sous-sol ». Vous avez acquis un domaine à Cahors, qui est un vignoble martyrisé par le changement climatique et les éléments : le regrettez-vous ?

Nous avons la chance que ce vignoble ne soit ni sur une zone ni gélive, ni sur une zone touchée par la grêle. Nous avons été épargnés. C’est la séquence des trois dernières années d’aléas climatique qui fait mal à Cahors. En aucun cas je ne regrette, parce que le Lot me plait bien, c’est le même art de vie.

 

Dans votre livre, vous faites le bilan de 30 ans d’investissements « frénétiques », avez-vous de nouveaux projets d’expansion ou l’enjeu est-il la stabilisation maintenant que vous estimez avoir créé une marque mondiale ?

Ma priorité aujourd’hui, c’est d’avoir une lecture fine du marché, qui a beaucoup changé depuis trois ans, pour bien comprendre où sont les priorités. En regardant les turbulences géopolitiques, la lisibilité sur les 3 à 5 prochaines années n’est pas évidente. Nous allons renforcer l’activité hospitality comme nous avons trois restaurants et un hôtel 5 étoiles pour continuer à développer l’expérience client et recevoir de plus en plus de monde ici. Nous avons toujours l’ambition de nous développer et nous allons nous en donner les moyens.

 

Vous avez le flair pour transformer une tendance de niche en produit de masse : vins orange, sans sulfite, rouge léger… Comment se positionner sur le coup d’après ?

Et le coup d’avance. C’est un métier où il faut toujours être sur l’action. Il y a deux types de vins : ceux intemporels où l’on fait tout pour que rien ne change à part rester dans l’excellence, et ensuite il y a les vins tendances. Les rosés ont porté la croissance de la région. Nous avons lancé des vins orange, des vins sans sulfite… Qui restent une niche, mais développée. C’est quelque chose d’excitant de lancer de nouveaux produits. Je ne pourrai pas rester sur un même domaine à faire toujours la même chose. J’aime explorer de nouveaux goûts et de nouveaux concepts, prendre des risques et lancer de nouveaux produits. Nous venons de lancer des bulles avec French cancan. C’est un métier où l’on ne réussit pas tout le temps, mais où l’on essaie pour que ça fonctionne.

 

Quelle est votre prochaine idée originale ?

On regarde pour faire un ou deux vins plus légers en alcool à 9-10 °, en particulier des vins blancs pour l’apéro, il y a un intérêt comme le montrent les vins allemands avec un peu de gaz carbonique. Je ne suis pas un fan des vins sans alcool, mais je respecte ceux qui en font. Je crois plus aux vins légers, comme pour les rouges qui ont bien pris.

Ce qui me passionne le plus, c'est l'assemblage, parce qu’en fait, c'est la création qui me plaît et dans ce métier, on aime créer. Quand j'ai commencé en France, on parlait de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne et c’était terminé. Après, les côtes du Rhône ont émergé, la Loire aussi et nous, il a fallu quand même 20 ou 25 ans pour pouvoir émerger et pour pouvoir rivaliser avec les meilleurs vins mondiaux. Donc on y est arrivé. J'aime profondément et viscéralement ma région et je pense que c'est l’une des régions au monde où il y a le plus de potentiel. Il y a encore 20 ans de travail devant nous. Parce que les cycles sont longs en viticulture. Il faut se retrousser les manches.

« Il n’existe pas de boisson équivalente qui puisse à la fois désaltérer, enivrer et réjouir le cœur des femmes et des hommes » écrit Gérard Bertrand dans son dernier ouvrage "le vin multidimensionnel" (après "le vin à la belle étoile" en 2015 et "la nature au cœur" en 2021).

 

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Tous les commentaires (4)
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bigar Le 01 novembre 2024 à 10:57:51
belle analyse du marche. etant champenois et travaillant dans le monde du vin, je confirme qu im faut des leaders dans les appellations comme MHCS en champagne, Gerard Betrand est un leader et une tres belle reussite commerciale. meme si le vignoble est reticent a suivre le negoce, il'faut s appuyer sur ces leaders et les ecouter pour sortir de cette crise qui est bien conjoncturelle et structurelle, les 2 crises en meme temps ce qui n etait encore pas arrive. Les vins francais sont extraordinairement diversifie, quelle chance d avoir autant d approvisionnement si different a offrir aux consommateurs mais pour cela, il faut que les consommateurs aiment le vin et leur donner envie de l aimer, sans obligatoirement en abuser.
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Masson Le 12 octobre 2024 à 15:46:08
Je suis epoustouflede voir l'absence de mise en cause des prix prohibitifs dans les restaurants. Regardez une salle et comptez le nombre de bouteille de vin, de coca cola et de biere.c'est intolérable. X3,x4 quelques fois, le vin est trop cher et interdit au client de belles decouvertes. De plus le restaurateur fait son chiffre sur un service ou il n'est pour rien, seulement deboucher une bouteille!! C'est meme insultant pour lui. Cette croisade devrait devenir une veritable cause nationale. J'accepte de payer un menu plus cher sur le savoir faire du cuisinier, mais pas sur une bouteille qui represente souvent un menu supplémentaire. Merci
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VignerondeRions Le 03 octobre 2024 à 13:30:50
C'est à la fois rafraîchissant sur certains aspects et complètement dans le déni de la réalité sur d'autres. Ok, la valorisation, les marges, l'intégralité de la planète viticole ne parle que de cela (prémiumisation, monté en gamme... Et en prix), France, Espagne, Portugal, Italie, Af Sud, Australie tout le monde veut faire de la marge. Mais quid de la capacité des consommateurs à suivre cette trajectoire? Les fait sont têtus, quel pourcentage de surface ?non premium" va t il falloir arracher ? Etrangement pas un mot à ce sujet, et c'est bien à cause de cela que la planète vin mord la poussière, et le déni ne s'éteint pas malgré les faits qui s'offrent à nous chaque jour. Ne pas vouloir le voir et le traiter ne permettra jamais de régler un problème. Comment ce gars, que je respecte, peut il être aussi fermé et ne pas voir la réalité économique d'une filière? Pour moi cela reste un mystère, et sûrement pour longtemps vu la négation généralisé. On a tenu le même discours dans l'automobile, tout le monde veut faire du haut de gamme (comprendre vendre cher) mais les citoyens ne suivent pas, pas par manque d'envie, non simplement parce qu'il ne peuvent pas. Et on découvre l'écroulement des ventes (en nombre, peut être pas en valeur) avec son lot de fermeture de sites de production. Et surtout on ouvre grand la porte à la production exotique... Et aux importations.
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augustin Le 01 octobre 2024 à 05:47:13
Enfin un discours positif .Et qu il vienne d un négociant occitant est une excellente chose.Ce message de confiance et de reconquête est motivant .On peut espérer que ce livre sera lu et pris en compte par nos politiques, députés sénateurs et membres du nouveau gouvernement. La filière n est plus en effet en état de se réinventer par ses propres moyens et ceux de ses seuls partenaires classiques comme la banque l assurance ou l administration. Une vraie vision , un plan realiste tout en etant ambitieux , des moyens humains et financiers : finalement la filière vin en France ne reflète t elle pas la société du beau pays dont elle reste un des fleurons , avec son formidable potentiel tout en flirtant avec le gouffre ?...Souhaitons que les Gerard Bertrand prolifèrent un peu partout dans les differents bassins viticoles , puisque une fois encore cela va être très dependant de la qualité et de l éthique des hommes et femmes à la manœuvre...Les 6 prochains mois sont décisifspour sortir de cette crisecpar le haut , entre fin de vendanges 24 et fin de taille 25 , beaucoup de monde sur le terrain en est conscient.
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