’abus de cool est-il dangereux pour la santé ? Clairement pour l’association Addictions France, qui martèle que « l’influence et la promotion de l’alcool sont incompatibles au regard de la loi Evin » dans un récent communiqué qui s’appuie sur trois décisions rendues en mars par le tribunal correctionnel de Paris. La juridiction sanctionnant trois collaborations entre des personnalités et des marques de boissons alcoolisées : le rappeur SCH avec la marque de ready-to-drink Féfé pour une collaboration (un cocktail au cognac), l’actrice et chanteuse Lady Gaga pour une cuvée avec les champagnes Dom Pérignon (groupe LVMH), l’influenceuse Anna Rvr pour un kit de dégustation et une campagne en 2022 pour la marque Cote des Roses des vins Gérard Bertrand. Cette dernière affaire étant la seule des trois évoquées dont le délibéré a pu être consulté à date, c’est elle qui permet de tirer des enseignements pour la communication des vins.
Rendue par le tribunal correctionnel de Paris le 4 mars dernier, cette décision tient du rappel à l’ordre : elle condamne « pour publicité illégale pour une boisson alcoolique » à 3 000 euros avec sursis l’influenceuse lyonnaise Anna Raverat (500 000 followers sur ses réseaux sociaux, casier judiciaire vierge) et à 20 000 € avec sursis le groupe de négoce Gérard Bertrand (182 millions € de chiffre d’affaires en 2022 pour 11 millions de cols vendus/an à 90 % à l’export, jamais condamné) pour un contrat de partenariat de « 20 à 25 000 € » (selon Anna RvR à la barre).


Une condamnation symbolique par ses sursis*, mais une condamnation quand même. Le jugement soulignant que le « délit de publicité illicite pour une boisson alcoolisé » constitue une « atteinte à l’ordre public économique et à la santé publique ». Mais la juridiction note que l’influenceuse Anna Raverat et le négoce Gérard Bertrand « ont, tous deux, veillé à mettre fin aux agissements illicites qui leurs étaient reprochés », avec la fin annoncé des partenariats concernant l’alcool pour Anna Raverat, alors que le groupe Gérard Bertrand « a réagi rapidement en supprimant les contenus litigieux, en apposant les messages de prévention requis et en mettant en œuvre des mécanismes internes de formation et de contrôle ». D’où des « peines d’amendes assorties dans leur intégralité du sursis, qui constitueront pour eux un avertissement et les dissuaderont de commettre de nouveaux délits » indique le délibéré.
N'ayant par retenu l’argument de Gérard Bertrand sur son activité centrée à 90 % sur l’export (« les contenus litigieux étaient accessibles sur l’intégralité du territoire national, qu’ils n’étaient pas uniquement rédigés en langue anglaise et qu’ils mettaient, pour certains d’entre eux, en scène une influenceuse de nationalité française demeurant à Lyon » réplique le jugement), la juridiction s’appuie sur l’article L. 3323-4 du Code de la santé publique pour condamner ce partenariat vin et influenceuse puisqu’« un contenu tend à créer un lien entre une boisson alcoolisée et une personnalité populaire ou porteuse de valeurs reconnues, en ce que ce lien est susceptible d’influencer le consommateur, dans l’esprit duquel les attributs de la boisson s’associent aux attributs de la personne qui en vante la consommation ».


Cette grille de lecture de la loi Évin s’applique donc à toute la filière des vins français, ce qui n’est pas sans effet sur leur compétitivité. Que l’on pense au vigneron-réalisateur Francis Ford Coppola actuellement à Cannes ou l’acteur Ryan Reynolds et son gin, « les célébrités étrangères font la promotion de leurs boissons alcoolisées, souvent des spiritueux, auprès de leurs communautés de plusieurs centaines de millions de followers en France et dans le monde » relève Véronique Braun, la directrice de la communication de Gérard Bertrand. « Nous ne jouons donc pas à armes égales alors que les réseaux sociaux jouent un rôle majeur aujourd’hui dans les dispositifs de communication. Nous serions prêts à travailler avec les parlementaires pour envisager une réforme de la loi Evin et donc répondre à cette problématique afin que la filière vins retrouve une dynamique » indique-t-elle à Vitisphere, soulignant que « la loi Evin est subjective et porte à interprétation, notamment en ce qui concerne les réseaux sociaux et l’influence qui n’existaient pas au moment où elle a été rédigée » (en 1991), alors qu’« en juin 2023, les parlementaires ont d’ailleurs précisé le cadrage des collaborations avec les influenceurs. Notre action avec Ana RVR était antérieure. »
Ayant poursuivi ce partenariat, France Addictions souhaite également une révision de la loi Evin, mais pour la durcir. L’an passé, « le législateur n’a pas profité de la loi encadrant les pratiques des influenceurs pour formuler un interdit clair quant à la promotion de l’alcool sur les réseaux sociaux. La loi rappelle juste que la loi Evin s’applique aussi aux influenceurs » pointe un communiqué de l’association, où Franck Lecas, responsable Loi Evin de France Addictions estime : « entre influence et incitation, la frontière est plus que poreuse : dans les deux cas, cela revient à stimuler un comportement, et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de consommation d’alcool. Or, la jurisprudence sanctionne depuis 30 ans les publicités alcool attractives et incitatives à la consommation. Elle condamne aussi systématiquement toute association de l’alcool avec des célébrités. » Comme en témoigne la fameuse condamnation de Paris Match pour des photos de l’actrice Scarlett Johansson avec des champagnes Moët & Chandon (groupe LVMH).


En l’état, quels enseignements la filière vin peut-être tirer de ces affaires récentes ? « Les juges considèrent l'influence comme une publicité et à ce titre, si elle concerne des boissons alcoolisées, elle doit respecter la loi Evin » résume maître Olivier Poulet. Spécialiste du sujet, l’avocat au barreau de Rennes explique à Vitisphere que concrètement, « cette décision n'empêche nullement des producteurs et des distributeurs de boissons alcoolisées d'avoir recours [à l’influence], mais dans le respect de la loi Evin. Et c'est là que surgit la difficulté, car cette loi et son application sont éminemment subjectives. »
Pour objectiver son délibéré du 4 mars, la juridiction estime que « des contenus publiés sur FB relèvent de la loi Evin, dès lors qu’ils sont accessibles sur tout le territoire français, qu’ils ne sont pas entièrement rédigés en anglais, et qu’ils mettent en scène une influenceuse de nationalité française » rappelle maître Olivier Poulet, pointant que « des contenus sont illégaux dès lors qu'ils lient une activité de création artistique à une boisson alcoolisée sont illégaux. En revanche un conditionnement issu de cette création n’est pas illégal en soi mais sa reproduction dans une publicité l’est. » L’avocat note ainsi qu’« il est dangereux d'initier une collaboration avec une célébrité en leur demandant d'intervenir sur le conditionnement, si cela s'accompagne d'une communication sur les réseaux sociaux de la célébrité, car cette association avec la marque d'alcool revient à contourner l'interdiction des "ambassadeurs de marques". » Au final, « ma recommandation, si on souhaite poursuivre de telles collaboration, est d'éviter de communiquer sur la célébrité et d'éviter la reprise par la célébrité de sa collaboration sur ses réseaux sociaux » conclut maître Olivier Poulet. Fanzone interdite donc…
* : Auxquels s’ajoutent 8 000 € de préjudice moral et frais irrépétibles pour la partie civile : Addictions France.