Marc Fesneau : J’entends et je comprends. Les crises se cumulent sur la viticulture, reconnaissons-le. Nous avons commencé par les taxes Trump, puis la Covid, puis l’inflation générée par la guerre en Ukraine, puis la sécheresse, ou le gel, ou la grêle… Bref, c’est une filière qui est particulièrement affectée par les dérèglements économiques, géopolitiques et climatiques. Rappelons déjà ce que nous avons fait : le soutien aux viticulteurs après le gel important de 2021, les dispositifs Ukraine, la couverture des besoins de l’aval. Depuis qu’il y a des crises, nous avons été au rendez-vous. Sur 2023, nous sommes dans une phase demandée par la profession, grâce à laquelle nous avons pu construire des dispositifs robustes qui essaient de répondre à la crise, à la fois conjoncturelle et structurelle. 2023, c’est l’année de la distillation en trois tranches pour 200 millions d’euros qui permettent, on peut l’espérer, de retirer du marché des volumes pour augmenter les cours de manière significative. 2023, c’est un plan d’arrachage sanitaire ciblé sur la Gironde, 30 millions € avec un engagement à 38 millions € selon les besoins. Le dispositif vient d’ouvrir, ça va permettre à un certain nombre de gens de retirer des parcelles et d’éviter des sujets sanitaires.
Nous avons trois mesures complémentaires. D’abord l’étalement des Prêts Garantis par l’État (PGE). Nous avons réussi à mettre en place un dispositif de prêts bonifiés ciblés : sur les vitis qui ont contracté et consommé un PGE pour allonger la dette sur 10 ans. Nous allons maintenant nous rapprocher des banques pour qu’elles jouent le jeu du dispositif qui leur est offert, conformément à l’engagement pris par le président de la République au printemps dernier. Deuxième élément sur les zones touchées en particulier par la sécheresse, je pense à l’Aude et aux Pyrénées Orientales, nous avons mis en place un dispositif d’allégement des charges pour couvrir les difficultés (environ 4 millions € sur ces deux départements, l’essentiel sur la viticulture). Troisième élément, le fonds d’urgence annoncé dans le cadre budgétaire, qui permet d’alléger les trésoreries à hauteur de 20 millions €. Qui pourra couvrir des besoins de natures différentes : le mildiou (moins élevé que ce que l’on pouvait penser cet été) et d’autres difficultés (y compris pour ceux qui vont manifester de manière importante ce week-end).
Nous travaillons aussi sur un accompagnement de l’aval, qui est en fragilité. Est-ce que ce sera un dispositif comme pour l’Ukraine ? Nous travaillons avec la profession pour trouver des solutions. Car l’aval peut se répercuter sur l’amont pour les sujets de rémunération compte tenu de la structure d’organisation, en particulier dans l’ex-région Languedoc-Roussillon. Il y a un travail prospectif sur la viticulture à horizon 10 à 15 ans mené par la filière, qui vise à travailler sur les questions de résilience, d’évolution de la consommation, de dérèglement climatique… Ce qui permet de se projeter à plus long terme. Des financements de la planification écologique seront consacrés à la question de l’adaptation des systèmes territoriaux en particulier aux transitions liées au dérèglement climatique. Évidemment, on va travailler avec la filière, on a déjà commencé avec Jean-Marie Fabre et Jérôme Despey [NDLA : président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer], sur toutes les mesures qui permettraient de flécher une partie de ces crédits dans les zones qui ont besoin de s’adapter beaucoup plus rapidement, parce qu’elles sont dans une situation d’impasse.
Ce sont des éléments que nous travaillons depuis le début de l’année avec la profession et la crise s’est plutôt amplifiée. Il faut voir le résultat que peuvent avoir la distillation, le plan d’arrachage sanitaire… Je signale que nous sommes sur une année de production viticole qui est plutôt en baisse au niveau mondial, ce qui a eu comme effet rebond que la France retrouve son premier rang mondial, et que l’on peut espérer des prix qui se tiennent mieux, même si la situation inflationniste peut poser des problèmes de consommation.
Ce sont des éléments sur lesquels nous avons interrogé la Commission. Force est de constater aujourd’hui que nous n’avons pas de texte pour porter ces demandes, qui ne sont pas inintéressantes. C’est une voie qu’il faut creuser : ce n’est pas parce que nous n’avons pas de texte qu’il ne faut pas porter la demande. Nous n’avions pas de disposition pour la distillation, et nous l’avons trouvé. Nous allons regarder avec la filière. Ce type de mesures permet de faire sortir ceux qui le souhaitent, pour des raisons diverses, sans perdre de droits à produire à terme quand le marché serait stabilisé. Évidemment avec la filière nous allons explorer les voies qui peuvent l’être. Je n’aime pas dire des choses qui ne sont que du rêve pour faire plaisir. Oui pour y travailler, mais cela demande un temps plus long que les autres dispositifs.
À Narbonne, les manifestants souhaitent aussi une visite de la première ministre, Élisabeth Borne, pour échanger sur leurs difficulté concrètes : soutenez-vous cette demande ?
Elle a été transmise et il appartiendra à la première ministre d’y donner suite. Je peux vous dire que la première ministre est particulièrement vigilante et mobilisée. Cette année le montre par les moyens budgétaires déployés.
Et par ceux qui n’ont pas été activés, comme l’abandon de l’augmentation des droits d’accises sur les boissons alcoolisées, évoquée un temps.
Cela correspondait en effet à un arbitrage de la première ministre. Nous avions convenu que du fait de la crise que traverse la filière, la non-augmentation de fiscalité était un signal vers la filière en complément de la distillation, la mesure d’arrachage...
Pour l’arrachage sanitaire à Bordeaux, l’accès au volet de renaturation des aides d’État est interdit aux entreprises en liquidation judiciaire, mais aussi à celles en état d’observation, ce qui pourrait exclure certains demandeurs.Si jamais le plan sauvegarde ou de redressement est adopté, l’entreprise peut bénéficier des aides spécifiques. Nous regardons dans le détail les conséquences pour ceux qui seraient dans un plan non-formalisé. Nous essaierons de répondre. Il y a des règles européennes qui s’appliquent à toutes les entreprises dites en difficulté. Nous regarderons ces demandes.
Au final, quel sera le périmètre du fonds d’urgence pour la viticulture votée par surprise à l’Assemblée Nationale…
Si c’est une surprise pour certains, on ne peut pas considérer que cela soit une mauvaise surprise.
On entend que le vignoble demandait 60 millions € et craint que 20 millions € ne soient pas suffisants…
Comme vous le savez, depuis des années avant moi et depuis que je suis au ministère, nous avons toujours essayé de calibrer les dispositifs pour répondre aux besoins. Et nous l’avons fait grâce aux professionnels. D’abord, le fonds d’urgence est soumis à la règle du minimis. Deuxièmement, c’est un élément qui a été posé sur la table par le rapporteur général du Budget, Jean-René Cazeneuve [NDLA : député Renaissance du Gers], et nous avons fait en sorte que cela puisse s’ouvrir à l’ensemble de la crise et pas seulement au mildiou. Nous allons regarder le périmètre avec la filière. Je peux entendre que 20 millions ne soit pas grand-chose, mais quand vous cumulez avec 200 millions € de distillation plus ce que l’on fait sur les exonérations PEC ou TNFB… Je reconnais la désespérance, que cela n’obère pas, mais reconnaissons que nous avons fait un effort significatif sur le budget de l’État.
Quelles sont les modalités d’accès et le calendrier de mise en œuvre que vous souhaitez pour ce fonds d’urgence ?
Nous avons une procédure budgétaire en cours, en attendant qu’elle soit finie nous allons travailler avec les professionnels sur le périmètre. Plutôt pour une application 2024. Avec un avantage que je souligne au passage : ça fait sortir du calcul sur le plafond des minimis ce qui a été fait pour le gel en 2021.
Au niveau parlementaire, que pensez-vous de la proposition du Sénat d’exonérer les cotisations patronales, auquel votre collègue, le ministre au Budget Thomas Cazeneuve, s’est opposé ?
Il faut regarder les dispositifs au mieux pour les calibrer, mais on ne peut pas additionner les outils pour les additionner. Nous mettons beaucoup de moyens sur la filière viticole, et c’est bien normal. C’est une filière d’excellence très présente sur les territoires et dont on a besoin. Dans cette période de crise, il est normal d’être aux côtés des viticulteurs.
Face aux dégâts de mildiou de ce millésime, où en sont les discussions avec les assureurs pour la prise en charge de ces dégâts ?
Nous avons fait pression sur les assureurs pour qu’ils se positionnent et je regrette qu’ils déclarent que ce n’est pas conforme à leurs cahiers des charges. Ils ont refusé d’activer quelque chose sur les conséquences de la pluviométrie sur l’impossibilité de traiter contre le mildiou. Reconnaissons qu’en juillet nous pensions que le mildiou touchait toute la France et au final cela s’est restreint : c’est plutôt une bonne nouvelle. Maintenant, il faut attendre les déclarations de récolte pour savoir les dégâts de mildiou et pouvoir agir sur ces endroits avec le plus de célérité.
Cette impasse ternit-elle votre bilan de la première année d’application de la nouvelle assurance climatique, le contrat MutiRisque Climatique (MRC) ?
Pas du tout. Cela a bien couvert les autres risques. Le risque mildiou n’est pas un risque qui relève de l’assurance-récolte. Je disais qu’il fallait couvrir les conséquences d’impossibilité de traitement liée aux évènements climatiques. Le bilan reste bon. Et Le taux de souscription a légèrement augmenté en viticulture.
Les situations de fragilité s’aggravent dans l’ensemble du vignoble, où l’on parle de 30 à 40 000 ha de vignes à arracher sous 5 ans à Bordeaux, Cognac réduit ses plans d’expansion, la Vallée du Rhône attend une restructuration différée, la Provence réduit ses rendements, le val de Loire fait face à des vignes en friches… Comment aider autant de vignobles face à autant de difficultés ?
C’est la seule filière que je connaisse qui a vécu autant de crises qui ne sont jamais arrêtées. À force, la crise succédant à la crise, ça vient fragiliser les systèmes. Quand on fait le cumul de ce qui a été mis sur la viticulture, on dépasse largement le milliard d’euros. Des moyens ont été mis. Il faut donc continuer à répondre à l’urgence, ce que l’on fait là. Je tiens à saluer les professionnels qui se mettent tous de bonne foi autour de la table pour trouver des solutions. Même si je comprends la colère, l’impatience, la désespérance, c’est franchement une filière qui n’a pas été abandonnée. Et c’est normal.
Il faut ensuite se mettre en prospective sur l’export. Je ne suis pas fermé à ce que l’on mette des moyens en communication ou d’une autre nature pour reconquérir des parts de marché. Nous avons une consommation française et européenne plutôt stable ou en baisse. Si nous voulons garder notre potentiel, il faut que nous allions plus encore à l’export sous une bannière France. Nous devons le faire, nous avons la viticulture la plus exemplaire au plan environnemental, des vins les plus reconnus en termes de qualité et qui porte une image patrimoniale, culturelle... Il faut que nous partions à l’assaut de la reconquête des marchés perdus, parfois au bénéfice de pays collègues et voisins, italiens et espagnols, sans même parler du Nouveau Monde. Mais cela nécessite de parler marché : comment les gens vont-ils consommer demain ?
Pour assurer la valorisation des appellations à l’avenir, que pensez-vous de l’idée d’une Appellation d’Origine Durable (AOD) portée par le professeur de droit Ronan Raffray afin de rapprocher « des normes d’origine et de la qualité environnementale, jusque-là uniquement portée par l’agriculture biologique » ?
Beaucoup de nos exploitations sont en bio ou en HVE (Haute Valeur Environnementale) : si ce ne sont pas des normes de durabilité, qu’est-ce que c’est ? Les vins italiens n’ont pas de normes de durabilité et ils gagnent des parts de marché sur nous ? Le sujet n’est pas de savoir si l’on a une agriculture durable qui ne soit pas connue des consommateurs. Le sujet est d’aller à l’export et de porter l’excellence des vins français. C’est le travail à mener. Tout ce qui peut être fait pour le développement durable est une bonne chose, mais en quoi est-ce que cela amène plus de consommateurs ? Le sujet principal est l’évolution des modes de consommation sur les marchés. Les appellations d’origine viennent célébrer la rencontre d’un savoir-faire humain, d’un terroir et d’un climat. N’essayons pas de tout mettre dans l’AOP. La baisse de consommation du vin n’est pas une question environnementale, c’est d’abord un changement de pratiques de consommation.
Afin d’éviter que les cours des vins en vrac ne chutent pas plus, estimez-vous que le vin devrait être complètement concerné par Egalim qui interdit la vente à un prix inférieur aux coûts de production ?Ça n’a pas été le choix de la filière viticole. Je veux bien le remettre sur la table, mais je ne ferai pas contre la filière viticole. Il faut toujours se reposer les questions dans les périodes de crise. Cette idée peut être mise sur la table, Egalim pose la question de la valorisation par la marche avant du coût.
Le manque de valorisation du label Haute Valeur Environnementale (HVE) est critiqué dans le vignoble, ainsi que l’augmentation non concertée d’exigences cette année et l’absence communication positive. Comment réagissez-vous au tassement des nouvelles certifications dans le vignoble ?
La HVE est une disposition de certification qui vise à reconnaître un certain nombre de pratiques. Dans la négociation avec la Commission pour inclure le HVE dans les dispositifs de Politique Agricole Commune (PAC), tout le monde savait qu’il pouvait y avoir des effets collatéraux en embarquant l’ensemble des filières sur ce sujet. Nous avons travaillé avec les professionnels sur les spécificités de la HVE en viticulture. Les échanges se poursuivent, sur la question des apports azotés… Nous continuons à travailler sur les ajustements de bon sens qui pourraient être nécessaires. C’est un travail en cours. Sachant qu’à date, celui qui est certifié a deux ans pour atteindre la nouvelle marche HVE.
Sur la question de la valorisation, HVE est souvent la règle demandée dans les grandes surfaces pour vendre un produit. Faut-il que l’on dise mieux ce qui est derrière HVE ? Cela peut faire partie d’un travail de communication des filières.
Avez-vous de nouvelles de l’attaque de la certification HVE devant le Conseil d’État ?
Non pas pour le moment. Je trouve dommage d’opposer les modes de certification. Le bio a ses propres clients, la HVE a ses vertus aussi. On ne gagne jamais à critiquer les uns vis-à-vis des autres. À la fin dans l’opinion publique, tout le monde en pâtit : quand vous tapez l’un, vous tapez l’autre. Ce n’est pas parce que HVE se porterait moins bien que le bio irait mieux. Ce sont des produits complémentaires. Et beaucoup de bio sont HVE.
Concernant le renouvellement pour 10 ans du glyphosate au niveau européen, le maintien des restrictions actuelles en France ne tient-il pas de la surtransposition nationale alors que le gouvernement s’est engagé à ne pas imposer plus ?
Tout le monde peut se féliciter de la réduction de près de 30 % de l’utilisation de glyphosate. Je suis très fier du travail fait par les agriculteurs. Est-ce que cela a mis des gens en situation d’impasse ? Pas vraiment. En tout cas, je ne l’ai pas entendu. Revenir sur notre position pour remettre du glyphosate là où l’en s’en passe depuis 3 ou 4 ans ? Je trouverai franchement ça un peu curieux. La position française ne prend personne en défaut. Là où l’on peut réduire et se passer de glyphosate, on le fait. Là où il y a des impasses, comme certaines zones viticoles, on ne le fait pas. C’est du pragmatisme et du bon sens.
Vous serez présent au salon Sitevi de Montpellier ce jeudi 30 novembre : quel sera votre message à ceux souhaitant investir dans de nouveaux matériels ?
France 2030 et d’autres dispositifs peuvent permettre d’investir dans tout ce qui peut résoudre les différentes équations de transition. Il y a le technologique, la robotique, les drones, le variétal… Les nouvelles techniques génomiques, que nous poussons beaucoup au niveau européen, sont un élément de résistance aux maladies, au dérèglement climatique… Tous ces sujets techniques doivent concourir au fur et à mesure à la résilience de la filière. Je vois de la désespérance dans le vignoble, mais je vois aussi beaucoup d’initiatives pour essayer de passer le pas. En tout cas, je serai aux côtés des viticulteurs, qu’ils n’en doutent pas. Je le dis avec d’autant plus de sérénité que personne ne peut dire que nous n’avons pas été au rendez-vous.