’est ce qui s’appelle réussir son coup. « Cet amendement d’appel, que je retirerai, a vocation à lancer le débat » pose le député Grégoire de Fournas (Rassemblement National, Gironde) lors de la première séance du mercredi 18 janvier à l’Assemblée Nationale de la proposition de loi Egalim 2+ du député Frédéric Descroizaille (Renaissance, Val-de-Marne). Portant la proposition d’étendre aux vins « la non-négociabilité du prix des matières premières agricoles » de la loi Egalim 2 pour assurer un prix rémunérateur aux « viticulteurs français, qui font face à une crise très grave et vendent leur vin en dessous des coûts de production », le député médocain propose de répondre à la crainte des interprofessions (celle de voir un prix minimum s’établir pour les vignobles marchant bien) en appliquant cette non-négociabilité « à certaines appellations, tandis que d’autres pourraient continuer d’y déroger ».
Si jamais le député médocain mettait de l’eau dans son vin pour convaincre ses opposants, il aura surtout lancé les débats et récolté une volée de bois vert des autres groupes politiques. Se basant sur l’alinéa 2 de l’article 80-1 du règlement de l’Assemblée Nationale (« les députés veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement toute situation de conflits d’intérêts dans laquelle ils se trouvent ou pourraient se trouver »), le député Sacha Houlié (Renaissance, Vienne) reproche à « monsieur de Fournas [d’être] viticulteur et [de déposer] des amendements sur le vin, notamment pour exclure sa profession de certaines dispositions de la loi ».
Une intervention applaudie sur les bancs des groupes Renaissance, La France Insoumise, Socialistes, Écologiste « et sur quelques bancs du groupe démocrate » rapporte le compte-rendu de séance, qui note leurs exclamations face à la réponse de Grégoire de Fournas : « sur le fondement de l’article 70, alinéa 3, madame la présidente – mise en cause personnelle ». Et d’ajouter avoir consulté le déontologue de la chambre basse : « un député peut défendre un amendement qui le concerne tant qu’une large partie de la population est aussi concernée. Ne faudrait-il pas appliquer cette même logique au rapporteur, qui a été directeur général de l’interprofession des fruits et légumes frais [NDA : Interfel, dirigée de 2008 à 2012 par Frédéric Descroizailles] ? »
Ces arguments n’ont pas convaincu les autres bancs que ceux de l’extrême droite du palais Bourbon, le débat s’enflammant avec les références aux propos polémiques du député médocain le 3 novembre 2022 (« qu’il retourne en Afrique ! ») et à la promotion de vins sur ses réseaux sociaux (épinglés par le déontologue de l’Assemblée). « Monsieur de Fournas est un professionnel du racisme ! Il a une longue carrière dans ce domaine ! » lance le député Antoine Léaument (La France Insoumise, Essonne). « J’aurais aimé que M. de Fournas, après les événements de cet automne, fasse profil bas et s’abstienne d’agir en lobbyiste de sa profession » tance Julien Bayou (Écologiste, Paris).


Mettant un terme à ces échanges d’amabilités parlementaires, le député Pascal Lavergne (Renaissance, Gironde) replace le débat « sur le fond de l’amendement » (tout en précisant ne plus être viticulteur) et indique que « lorsque monsieur de Fournas a envoyé son amendement à l’ensemble des députés de circonscriptions viticoles, je me suis empressé de le transmettre aux interprofessions de la viticulture pour connaître leur position. J’avais évidemment un avis sur la question, mais je souhaitais recueillir le leur. En l’occurrence, elles sont toutes opposées à cette proposition, pour une raison simple : les viticulteurs disposent déjà de dérogations, car le vin n’est pas assimilable au blé, au lait ou à d’autres matières premières agricoles. Certains éléments, notamment immatériels, ne peuvent en effet pas entrer dans la construction du prix, car ils ne sont pas valorisables. »
Ce qui justifie le maintien de la dérogation demandée par la filière viticole rapporte Pascal Lavergne, notant que « certes, les viticulteurs bordelais vendent leur vin en dessous du coût de production, mais leur situation sera réexaminée dans de brefs délais, et cet amendement aura eu au moins ce mérite. » Dans un communiqué daté du 19 janvier, le député Grégoire de Fournas indique que « les interprofessions ayant assurés qu'elles réétudiaient la question », il a retiré « l'amendement pour leur laisser adapter la disposition aux appellations viticoles qui le nécessitent ».