’est une action inédite pour les vins de Bordeaux : l’assignation de deux négociants de poids* devant le tribunal de Commerce de Bordeaux pour des prix d’achat de vin en vrac jugés trop bas par leur fournisseur, le vigneron médocain Rémi Lacombe. Propriétaire de 138 hectares de vigne à Civrac (notamment le château Bessan-Ségur), le vigneron revendique une « action d’utilité publique pour le partage de la valeur ajoutée dans la filière ». Révélée par Jacques Dupont dans Le Point, cette « action en responsabilité » s’appuie pour maître Louis Lacamp, l’avocat de Rémi Lacombe, sur l’article L. 442-7 du Code de Commerce, qui sanctionne « le fait pour un acheteur de produits agricoles ou de denrées alimentaires de faire pratiquer par son fournisseur un prix de cession abusivement bas ».
Se basant sur des factures allant de juin 2021 à juillet 2022, les vignobles de Rémi Lacombe ont vendu des vins à des prix allant de 1 150 à 1 200 € le tonneau sur les millésimes 2019, 2020 et 2021, alors que les prix de revient de l’AOC Médoc s’élèvent à 2 000 €/tonneau pour les millésimes 2019 et 2020, et même 2 500 € pour le millésime 2021 d’après les dernières données du Centre de Gestion Agricole et Rural d'Aquitaine (CEGARA). Définissant un juste cours à 10 % au-dessus du prix de revient, Louis Lacamp demande des dédommagements de 574 000 € au premier négociant et de 536 000 € au deuxième. « Le fondement juridique est simple : il est interdit d’acheter à un prix abusivement bas » résume l’avocat, qui note que cette réglementation, issue de la loi Egalim en 2019, n’a encore jamais été appliquée.


Face aux principes de la loi du marché équilibrant l’offre et la demande par des prix consentis de part et d’autre, Rémi Lacombe est catégorique : « il est interdit de faire pratiquer à son fournisseur des prix abusivement bas ». Recevant des offres à prendre ou à laisser, parmi les vignerons « il y en a toujours un qui craque : à force de dire non au courtier, c’est le banquier qui appelle » souligne Rémi Lacombe. « Je ne veux pas faire du vin du Médoc » ajoute-t-il, s’indignant que « le négoce achète à perte et vende sans marge, ce qui porte préjudice à l’image de l’appellation, [pour vendre des volumes à bas prix donnant accès à d’autres marchés]. Nous sommes un produit d’appel par le bas, à l’inverse des allocations de grands crus qui sont des produits d’appel par le haut… »
Si son avocat souligne qu’il faut être courageux pour agir contre ses acheteurs, le vigneron ajoute qu’« il ne pas oublier que la rupture brutale d’approvisionnement existe aussi et se sanctionne aussi… » Alors que les cours des vins de Bordeaux restent bas (du moins d’après les dernières cotations officielles, désormais suspendues), cette action pourrait inspirer d’autres opérateurs. C’est du moins le souhait de Rémi Lacombe, qui espère « ouvrir des itinéraires d’espoirs et rappeler que l’on peut toujours prendre son propre destin en main. Ce sera merveilleux si ça fait jurisprudence… »
* : Rémi Lacombe et son avocat ne souhaitent pas communiquer les noms des deux négoces, ne souhaitant pas cibler des entreprises en particulier, mais s’attaquer à un système de dévalorisation.