as de sobriété, mais de l’électricité dans l’air ce soir du 8 novembre dans la salle des fêtes de Camiran (Gironde). À l’initiative de la Communauté de communes du Réolais en Sud Gironde*, une réunion publique se consacrait à la crise économique que subissent de nombreux vignerons bordelais. « Nous sommes des mendiants au bord de la route. Nous dépendons du prix proposé en face » lance une vigneronne retraitée, atterrée par ce qui attend ses enfants. « Il va y avoir des morts par dizaines et centaines. On est dans un puits sans fin » alerte un autre producteur. « Aujourd’hui rien ne se passe sur le marché. Même à très bas prix : à 500 euros le tonneau j’ai un négociant qui m’a dit qu’à 300 €/tonneau il ne saurait pas quoi en faire » lance un troisième viticulteur. « La viticulture bordelaise est dans la même situation que la filière laitière il y a quelques années » résume Patrick Vasseur, jeune retraité qui était encore récemment vice-président de la Chambre d’Agriculture de Gironde (CA33).
Témoignant des difficultés conjoncturelles (crise covid, inflation de tous les coûts…) et structurelles (déconsommation française de vin rouge, effondrement du marché chinois, aléas climatiques récurrents…) qui pèsent sur le vignoble bordelais depuis des années, la majorité de ces producteurs se retrouvent sur une demande d’arrachage primé pour réduire les stocks (estimés à 19 mois) et rétablir les cours (suspendus par l’interprofession, voir encadré). Collectivement, le vignoble bordelais porte la demande d’une prime à l’arrachage de 10 000 €/ha de vignes (hors friches, pour éviter les effets d’aubaine), afin de permettre aux retraités sans fermiers d’en finir, aux vignerons proches de la retraite de solder leur activité et aux producteurs souhaitant rester dans le métier de recalibrer leur outil de production.


Porte-parole du collectif des vignerons de Bordeaux sur le sujet, le viticulteur Didier Cousiney indique sa divergence : « on demande l’arrachage volontaire définitif primé à 10 000 €/ha. On nous propose une reconversion, avec une prime plus importante des fonds FEADER (fonds européen agricole pour le développement rural), gérés par la Région (qui nous dit ne pas avoir de fonds à flêcher). Mais quand vous lisez entre les lignes, on vous aide pour arracher, mais vous avez une montagne de difficultés de financement à apporter pour faire une autre culture qui va vous coûter plus cher. Au bout du compte, vous êtes encore plus dans la merde que lorsque vous étiez simple viticulteur. » Si l’absence d’un représentant de la Région n’a pas permis de faire le point sur ce sujet pendant la réunion, les vignerons suivent les réticences exprimées. « On aurait le droit d’arracher, mais on ne serait pas maître de notre destin » s’inquiète une vigneronne proche de la retraite, ne se voyant pas implanter des amandiers ou bambouseraies.
Eclectique dans ses débats, l’audience d’une bonne soixantaine de participants ne soutient pas à 100 % le principe d’une aide (il serait la moitié à la demander d’après un vote à main levée). « Quand vous avez un boulanger ou un restaurateur qui investit dans une affaire et que ça ne marche plus au bout de 10 ou 20 ans, ce n’est pas aux collectivités d’aller rembourser son four à pain ou le mobilier qu’il a acheté » critique un vigneron d’Auros. Ajoutant qu’« à force de demander des primes à l’hectare, les gens, au lieu d’arracher parce que ça fait 4 ans qu’ils perdent de l’argent, repoussent la prise de décision en attendant la prime » ce qui accentue le déséquilibre entre offre et demande. D’autant plus qu’avec une carotte 10 000 €/ha, « ça fait beaucoup d’argent pour partir à la retraite » selon lui.


« Ça bouchera à peine les trous de la dette » réplique une vigneronne remontée, pointant le retour de ces fonds au territoire plutôt qu’une perte sèche pour tous. « À la différence des boulangers ou restaurateurs, nous ne sommes pas des entrepreneurs individuels. Nous sommes complétement encadrés de A à Z. On n’est pas libres » ajoute Dominique Techer, représentant de la Confédération Paysanne. « Il y a une grande responsabilité de l’État pour avoir délaissé l’agriculture » renchérit Bastien Mercier, maire de Camiran et membre du collectif de vignerons, ajoutant que « quand on fait en sorte de mettre en permanence dans les têtes que boire du vin c’est mauvais pour la santé, on incite à baisser les consommations. Quand on vous met dans la tête qu’avec des vignes à côté de chez vous vous êtes pollué en permanence, ça incite à mettre des normes qui font que les agriculteurs ont de plus en plus de charges. »
Pour Bastien Mercier, il est urgent que le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, rencontre et échange avec le collectif pour palper les tensions du terrain. Une demande qui va être remontée au ministère par l’association des maires de France annonce Daniel Barbe, le président de la Communauté de communes rurales de l’Entre-deux-Mers (Sauveterre-Targon) et conseiller départemental (Le Réolais et les Bastides) qui regrette de ne « toucher le ministre que quand il vient pour la grêle, malheureusement… »
Dans ce bouillonnement, les idées fusent pour changer la filière vin. Comme la proposition de ne plus avoir d’aides européennes de la Politique Agricole Commune (PAC) pour les aides à l’investissement mais un soutien direct à l’hectare (suivant le premier pilier) ou l’idée de réduire la concurrence des vins de France en imposant des limites (sur les volumes de bouteilles, la mention de millésimes et de cépages…) ou le développement de panneaux photovoltaïques sur les vignes (pour protéger des coups de chaud et générer un revenu complémentaire). Sans oublier la sortie du syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieurs de la fédération des syndicats AOC (FGVB) et de l’interprofession (CIVB) qu’évoque Didier Cousiney, qui appelle à renverser la table. Politiquement, « on a affaire à des gens qui n’en ont rien à foutre, qui nous roulent dans la farine. Notre salut ne viendra que de nous. Parlez-en autour de vous : un jour, il faudra descendre dans la rue pour se faire entendre » annonce le porte-parole.
Le collectif envisage une manifestation avant la fin d’année, à définir prochainement. « On n’y arrivera pas si l’on n’est pas solidaires. Il y a de la discorde. Il faut faire bloc pour avancer » souligne Bastien Mercier, qui appelle à répondre présent à la future manifestation. « Au final, on en est toujours au même point » soupire un vigneron de l’Entre-deux-Mers à la sortie de la réunion. Si ce n’est que l’impatience se mue en désespoir. « Nous sommes trop gentils, il faut aller au carton » lance un vigneron, visant des négociants de la place de Bordeaux.
* : Qui a validé à l’unanimité ce 29 septembre une motion reprenant les huit actions prônées par le collectif des vignerons de Bordeaux (via une pétition en ligne).
Cet automne, l’interprofession bordelaise indique à ses ressortissants ne plus publier de bulletin fréquent des transactions de vin en vrac. Dans les ventes de vin de Bordeaux, « le vrac devient très largement minoritaire d’années en années, au vu des faibles récoltes » explique à Vitisphere Christophe Château, le directeur de la communication du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB). Ajoutant que d’autres interprofessions font de même, il précise que ces volumes sont peu représentatifs, alors que ce sont les seuls chiffres sur lesquels le CIVB communiquait régulièrement. Passée à un rythme bihebdomadaire ces dernières années, la cotation n’est plus publiée dans les pages du quotidien Sud-Ouest.