octeur des fermes bordelaises, la Mutualité Sociale Agricole de Gironde (MSA 33) est aux premières loges pour diagnostiquer l’homme malade du vignoble français. « La crise est très importante, je n’en ai jamais connu d’aussi importante » pose Alain Duc, le président de la MSA 33, constatant des difficultés économiques croissantes et croisées (liées aux crises géopolitiques, covid, climatiques, commerciales, inflationnistes…). « Aujourd’hui, on assiste à un doublement des plans de paiement : la mise en place d’un échéancier des cotisations » rapporte Daniel Abalea, le directeur MSA 33, qui « mesure une situation dégradée de plus en plus tendue ».
N’ayant pas encore réalisé d’appel définitif des cotisations sociales, la MSA n’a pas de chiffres précis à communiquer, mais affirme sa volonté de trouver des solutions adaptées à l’étalement des paiements pour chaque situation. « Nous souhaitons que les gens puissent s’acquitter des cotisations dans les meilleures conditions. Nous ne souhaitons pas arriver jusqu’à des contentieux » explique Daniel Abalea, rappelant cependant que la MSA reste garante des fonds publics et doit donc les recouvrer par un moyen ou un autre. Si les trésoreries vigneronnes sont tendues (notamment avec les Prêts Garantis par l’État, PGE), des aides soulagent certaines dettes note le directeur de la MSA 33, citant la prise en charge des cotisations sociale du plan gel 2021 (avec 6,2 millions € pris en charge en Gironde pour 1 600 exploitants courant 2022). Mais « quand on a du mal à vendre son vin, que l’on prend du gel, que l’on vit la situation anxiogène covid et que vous ne voyez pas d’issue, il faut plus qu’une vision d’accompagnement des cotisations sociales » note Daniel Abalea.
En matière de soutien, la MSA 33 propose notamment un plan contre le mal-être (accompagnement social personnalisé, avec un numéro de téléphone Agri’écoute : 09 69 39 29 19), une aide au répit pour s’extraire du quotidien (week-end repos, activités…), le programme Eraf (audit et diagnostic économique sur la viabilité de l’entreprise avec la Chambre d’Agriculture de Gironde), le dispositif "Avenir en soi" (ateliers collectifs permettant d’exprimer ses difficultés avec d’autres personnes en difficulté…). « Il faut concilier des actions pour permettre aux exploitants de toucher à plusieurs leviers » indique Daniel Abalea, notant que l’enjeu ne concerne pas que les exploitants, mais aussi les employés : « quand une exploitation viticole est en péril, ça impacte tout le monde. Les salariés aussi, c’est un élément à ne pas négliger. »
« Toutes les mesure mises en place pour subvenir aux problèmes d’économie, de finance et de moral des exploitants, c’est bien. Mais le problème, je suis désolé de le dire, c’est qu’aujourd’hui les viticulteurs sont au bout d’une situation dramatique » réagit Alain Duc. Pour le vigneron de Daignac (Entre-deux-Mers), « c’est au début des années 2000 que l’on rentre dans la crise, due à la plantation de 20 000 hectares entre 1990 et 2000. Ces 20 000 ha ont pesé sur le marché et ont déclenché la crise. Depuis, toutes les mesures entreprises sont un constat d’échec. La seule mesure qui permet un peu de tenir un prix, très bas, c’est la diminution des rendements à l’hectare. De 64 hl/ha dans les années 1990-2000, on est aujourd’hui à 50 hl/ha. »


Cisaillée entre la baisse des rendements et la chute des cours du vin en vrac, la rentabilité des entreprises bordelaises chute, avec leurs trésoreries et leurs capitaux. « Depuis 20 ans, on est en crise. Depuis 20 ans les viticulteurs ont décapitalisé (vente de terrain à bâtir, vente d’une maison…). Aujourd’hui, ils n’ont plus rien à vendre. Ils ont des vignes qui ne valent plus rien, que personne ne veut acheter ou prendre en fermage » rapporte Alain Duc, qui alerte : « si des mesures rapides ne sont pas prises, nous allons vers des drames familiaux. Ça déborde » Alors qu’une demande d’arrachage primé se cristallise à 10 000 €/ha dans le vignoble bordelais, le président de la MSA 33 estime que « l’arrachage n’est pas nécessaire, il et obligatoire. C’est la seule façon de redresser la situation. Bordeaux est capable de commercialiser 3 millions hl [NDLR : sur la campagne 2021-2022, le CIVB enregistre une commercialisation de 3,95 millions hl], mais pas plus alors que l’on en produit 4 à 5 millions hl. Ça c’est pénalisant. La rareté fait le prix. Tant que Bordeaux produira plus qu’il n’est capable de vendre, on restera dans cette situation. »
N’avançant pas de chiffres sur les demandes potentielles d’arrachage, Alain Duc note que de nombreux vignerons peuvent être demandeurs. Qu’il s’agisse de retraités n’ayant plus de fermiers, de viticulteurs ayant atteint l’âge de la retraite mais n’ayant pas de repreneurs, d’exploitant en défaut de trésorerie pour qui l’arrachage réduirait les charges… Mise à toutes les sauces (crémants, vins IGP, autres productions…), la diversification ouvre le champ des possibles, mais seulement dans la mesure où l’on a de la trésorerie pour le faire pointe Alain Duc. « Je suis persuadé que Bordeaux peut repartir. Pour redynamiser, il faut passer par une période d’arrachage (comme Cognac il y a vingt ans) et changer les cahiers des charges » esquisse le président de la MSA 33.
En attendant, « 2022 est une année particulière, avec la croissance exceptionnelle des charges. 2023 va révéler une situation latente » note Daniel Abalea. « Aujourd’hui, nous avons la chance que nos banques soient compréhensives et conciliantes. Ce sont souvent des situations où elles ne se manifestent pas trop » conclut Alain Duc.