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Bordeaux "ne veut pas piquer du pognon" aux autres vignobles pour arracher
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C'est dit
Bordeaux "ne veut pas piquer du pognon" aux autres vignobles pour arracher

Partageant les mêmes impasses commerciales et difficultés économiques à l’occasion d’une réunion témoignant du mal-être bordelais, le vignoble girondin demande aux autres bassins viticoles une modification réglementaire pour pouvoir affecter une partie de ses aides européennes à l’arrachage primé de surfaces en surproduction.
Par Alexandre Abellan Le 14 juin 2022
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Bordeaux
Salle bondée pour chais pleins à craquer. Ici un appel à indiquer qui parmi l’assistance serait disposé à arracher volontairement des vignes contre une prime. - crédit photo : Alexandre Abellan (Vitisphere)
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alle des fêtes pour salve des "faites arracher". Ce 13 juin au Pian-sur-Garonne, la réunion publique organisée pour débattre d’arrachage volontaire primé affiche complet : entre 150 et 170 vignerons se pressent en fin de journée ensoleillée pour partager leurs opinions sur une demande lancinante dans le vignoble bordelais*. Avec une température caniculaire et des ventes de vins Bordeaux inférieures d’un million d’hectolitres à la capacité de production du vignoble, l’ambiance bouillonne durant les deux heures de réunion où un même constat est aussi partagé que répété : « il y a trop de vin sur le marché à Bordeaux, tout le monde le sait. Le bordeaux générique est devenu le vin de table du Bordelais. […] La seule solution, c’est quoi ? C’est l’arrachage » pose le vigneron Didier Cousiney, qui accueille la réunion en tant que maire du Pian-sur-Garonne.

Ayant mené il y a vingt ans une fronde vigneronne contre des cours du vrac indignes, l’exploitant ne se berce pas d’illusions : « ce soir on ne va pas résoudre le problème, on va essayer de discuter entre nous raisonnablement pour essayer de trouver des pistes. Il y a un million hl de trop, je dirais même plus. Un million de trop, c’est 20 000 hectares. » Un calibrage qui implique des sommes conséquentes pour permettre un départ digne des vignerons arrêtant leur activité ou souhaitant réduire leurs surfaces. Pour trouver les millions d’euros qui s’annoncent nécessaires, chaque participant a une idée de source de financement.

Planète Bordeaux

À commencer par demander des fonds au Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) et à l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieurs. Les intervenants souhaitant également réduire les Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) et les activités des instantes de la filière (interprofession, fédération, syndicat…), notamment les projets de rénovation œnotouristique de Planète Bordeaux (6,5 millions d’euros). « On a un projet ambitieux, car il faut essayer de baisser notre capacité de production, mais aussi garder notre capacité de commercialisation » défend Stéphane Gabard, le président de l’ODG Bordeaux et Bordeaux Supérieur.

« Si on veut arracher plusieurs milliers d’hectares, il faut des dizaines de millions d’euros. On ne les trouvera que dans les aides des fonds OCM (Organisation Commune du Marché vitivinicole) qui sont aujourd’hui destinés à la viticulture. On ne les trouvera pas ailleurs** » ajoute Bernard Farges, le président du CIVB, évoquant une enveloppe OCM annuelle moyenne de 10 millions € pour la restructuration du vignoble et de 10 à 12 millions € pour les investissements dans les chais. Des sommes qui pourraient être diminuées pendant 4 à 5 ans pour financer un arrachage primé à partir des fonds normalement utilisés par Bordeaux explique Bernard Farges. Qui cherche à rassurer les autres bassins viticoles, actuellement peu enclins à soutenir les demandes bordelaises d’aides européennes par crainte de siphonnage budgétaire.

Les régions qui ne veulent pas arracher n’arrachent pas

« Il n’est pas question de demander plus de moyens. Les moyens sont là. On veut juste pouvoir arbitrer pendant 4 ans, 5 peut-être, entre la restructuration, les investissements de chai et l’arrachage [dans l’enveloppe girondine] » plaide le président du CIVB, qui souligne que l’actionnement de cet arrachage serait volontaire, bassin par bassin. « L’idée n’est pas de faire arracher les autres régions. Ici, nous avons identifié qu’il faut réduire notre vignoble. Les régions qui ne veulent pas arracher n’arrachent pas. Les autres qui veulent arracher, nous faisons en sorte qu’elles aient l’outil comme nous » indique Bernard Farges, qui veut « que les autres régions comprennent que l’on ne veut pas leur piquer du pognon ».

Indiquant avoir officialisé fin mai sa demande d’arrachage primé à la suite de mouvements d’intérêt émanant d’autres bassins viticoles (« porter un dossier quand vous êtes sûr de perdre, vous allez mettre encore plus de temps pour pas grand chose. Tant que l'on n'a pas d'alliés, on n'y arrivera pas. »), Bernard Farges ne veut pas donner de noms de ces régions alliées. Tout au plus indique-t-il que « ça commence à bouger ailleurs. Globalement, nous sommes tous, tous les vignobles français (sauf Champagne et Cognac) et tous les vins (AOP, IGP, sans IG, blancs, rouges…), entre -10 et -15 % de commercialisation [avec] de la déconsommation en France et sans doute trop de vin en France. Nous l’avons identifié, nous le disons et nous l’assumons [à Bordeaux]. Des collègues commencent à dire "pourquoi pas" [dans d’autres régions]. Ce n’est pas acquis à la FNSEA, aux Vignerons Indépendants… »

Unité bordelaise

Avant tout redéploiement au cas par cas des aides européennes, les textes communautaires doivent déjà être modifiés pour autoriser des financements d’arrachage, qui sont interdits depuis 2008, explique Jean-Samuel Eynard, le président de la Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA 33). « Aujourd’hui, si l’on veut aller chercher une campagne d’arrachage, il va falloir que l’on arrive à convaincre et que l’on ait des partenaires qui portent ce sujet » dans d’autres régions, mais aussi à Bordeaux prévient le vigneron des Côtes-de-Bourg : « pour arriver à porter ce dossier, il va falloir que toute la filière bordelaise parle d’une seule voix : les chais particuliers, les coopératives, le négoce, tout le monde ».

Dans l’immédiat, le négoce ne semble pas particulièrement emballé par l’utilisation de fonds européens pour réduire le potentiel de production bordelais. Une attitude qui irrite vivement les vignerons réunis au Pian ce 13 juin, des murmures y voyant une volonté de maintenir un déséquilibre entre offre et demande, et donc des prix bas. « Le négoce n’est pas chaud, mais nous n’avons pas besoin de son accord, nous avons juste besoin qu’il soit neutre et qu’il nous accompagne. Ce n’est pas grave » désamorce Bernard Farges, pour qui l’important est l’unité du vignoble bordelais. Une unité symbolisée par le vote à l’unanimité ce 13 juin dans la matinée d’une motion pour l’arrachage primé de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB).

Les gens sont acculés

Un vote à l’unanimité salué par la sénatrice Nathalie Delattre, pour qui la filière doit afficher son unité afin de négocier avec les ministères de l’Agriculture et de l’Économie. Portant les demandes d’arrachages économiques (et sanitaires, voir encadré), la vigneronne bordelaise est convaincue que d’autres vignobles se rallieront aux demandes bordelaises, comme le Languedoc qui aurait « de l’intérêt pour la distillation » indique la présidente de l’Association Nationale des Élus de la Vigne et du Vin (ANEV). Des paroles applaudies, pour être suivies par des demande d’actions concrètes alors que le stress monte entre chais pleins du millésime 2021 et vendange 2022 approchant rapidement. « Il faut retendre le marché, les négociants savent qu’il y a du volume dans les chais et que les gens sont acculés. Le problème va arriver vite, pendant les vacances quand il n’y aura plus personne pour nous répondre » s’inquiète un vigneron.

Pendant la réunion se succèdent d’autres cris du cœur, comme un virulent « arrêtez de vous gaver » adressé au CIVB ou un suppliant « s’il-vous plaît, faites quelque chose pour sauver des vies ». Des appels à la mobilisation sont également lancés, comme celui du vigneron Yves d’Amécourt, lançant, sous les applaudissements : « il faut arracher. Ce n’est pas de la diplomatie qu’il faut faire maintenant. Bernard [Farges], tu es notre chef : on est derrière toi, on est prêt à monter à Paris s’il le faut pour manifester. Vous avez voté ce matin pour l’arrachage, aujourd’hui on y va : tu es le commandant. »

12 à 18 mois

Ne répondant pas à cet appel, Bernard Farges indique auparavant que la mise en place d’un dispositif d’arrachage peut aller « relativement vite » s’il y a mobilisation d’autres régions et un consensus des instances viticoles. De l’ordre de 12 à 18 mois. Une éternité pour nombre de vignerons, faisant état d’« une urgence vitale ». « Humaine » renchérit une participante, alors que la fatigue, l’usure et la démoralisation sont criantes. « Je suis au pied du mur, comme beaucoup » souligne Didier Cousiney. Présents lors de cette réunion, ses camarades de lutte vigneronne d’il y a vingt ans se souviennent de leurs slogans : « notre smic, c’est 1 000 € le tonneau ». Mais à l’époque, si un tonneau tombait à 700 €, il était vendu immédiatement. Aujourd’hui, cela ne suffit même plus à vider un chai. Encore incertain pour demain, l'arrachage ne rétablira pas à lui seul l'équilibre économique des vins de Bordeaux reconnaissent les participants. Qui y voient une étape nécessaire, mais pas suffisante. Réserve interprofessionnelle et diversification des productions sont aussi sur la table des discussions, et préoccupations.

 

* : Étudié en 2019 par le syndicat des Bordeaux et Bordeaux supérieur (sur 5 000 hectares), le sujet était revenu en 2020 dans les instances de la viticulture girondine (sur 8 à 10 000 ha) avant d’être affirmé ce printemps par l’interprofession et de devenir un tel sujet d’interrogations que cette réunion a été organisée dans le vignoble même.

 

** : « Entre le budget de quelques centaines de milliers d’euros de l’ODG et le budget de l’OCM viticole pour la Gironde de 20 millions d’euros, si l’on déverrouille le dispositif… C’est là-dedans qu’il faut chercher l’argent. Ne partons sur des pistes qui ne sont pas crédibles » argumente Bernard Farges.

 

Un questionnaire remis à l’entrée demande à chaque participant de se prononcer sur son intérêt pour « l’arrachage volontaire primé », et sur sa mise en œuvre en termes de surfaces et de subventions : «  2 500 €/ha ; 5 000 €/ha ; 7 500 €/ha ; 10 000 €/ha ; 15 000 €/ha ». À l’entrée, un vigneron siffle : « si l’on y arrive, ça m’étonnerait que ce soit dans cet ordre de prix… »

 

 

 

 

Gestion des vignes en friches

Évoquant 1 500 hectares en friche dans le vignoble bordelais, Bernard Farges indique qu’un nouvel outil va être prochainement dévoilé pour aider les propriétaires de parcelles abandonnées à les arracher. Développé en Côtes de Bourg, un partenariat avec Alliance Forêt Bois permettrait de financer l’arrachage de vignes pour y implanter pendant 25 ans des arbres (afin de générer des crédits carbone). « C’est la clé de 13 dans la boîte à outils. Elle est utile de temps en temps, mais pas tout le temps » pointe Bernard Farges.


 

 

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VignerondeRions Le 14 juin 2022 à 13:38:38
Oui l'urgence de la situation est criante, le malaise est profond et abandonner les gens à leur triste sort sans accompagnement ne serait pas digne d'un État solidaire et responsable. Pour autant la filière vin à Bordeaux doit aussi faire le ménage. Combien d'hectares de droit nouveaux (autorisation de plantation) accordé aux AOC Bordelaise depuis la dernière campagne d'arrachage??? Gérer en bon père de famille n'est pas un gros mot, et cette filière en aurait bien besoin. Les plantations nouvelles en AOC ne sont plus accordés sur le basin Bordelais, qu'à cela ne tienne, on en accorde en IGP et en vin de France sur les mêmes terres... Soyons sérieux et professionnels jusqu'au bout. On ne peut pas continuer de cette manière en demandant constamment à l'État de pallier les déficiences de Gestion de l'interprofession. Les décisionnaires doivent répondre de leurs actes. Dans le système actuel, ce n'est malheureusement pas le cas.
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