ux grands maux, les grands moyens. Alors que les blocages commerciaux pèsent sur le vignoble girondin, c’est un vote capital qui aura lieu cette matinée du 6 décembre : un dispositif de sortie de crise sera soumis aux délégués cantonaux de l’assemblée générale du syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieur. Représentant une enveloppe de 33 millions d’euros pour l’ensemble de ses mesures envisagées, le projet porté par le conseil d’administration de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) espère proposer dès janvier 2020 des outils de résolution du marasme actuel (voir encadré).
D’après les informations recoupées par Vitisphere, une prime de déclassement d’AOC est à l’étude, avec l’objectif de déstocker 200 000 hectolitres du marché des vins de Bordeaux. En pratique, chaque récoltant en appellation Bordeaux (en rouge, blanc et rosé) pourrait toucher une prime de 40 euros par hectolitre d’AOC déclassé en vin sans indication géographique (VSIG). Soit 360 € par tonneau se repliant en vin de France. L’ODG complétant ainsi le prix de vente en VSIG pour s’approcher de la valorisation de l’AOC Bordeaux.


Ouvert à tous les millésimes, cette prime au déclassement s’accompagne d’une « renonciation » de chaque opérateur bénéficiaire à revendiquer ces surfaces déclassées en AOC, afin de s'orienter en VSIG ou indication géographique protégée (IGP) sur les trois récoltes suivantes (sans toucher d’autre prime au déclassement). Pour réduire la production de son AOC, le conseil d’administration de l’ODG Bordeaux a également envisagé un arrachage primé de 5 000 hectares dans le vignoble, qui n’a pas été retenu. L'idée d'une mécanique de mise en réserve interprofessionnelle des vins reste par contre à l'étude.
Au-delà des mesures de réduction de l’offre, le plan de sortie de crise de l’AOC Bordeaux passe par la relance de la demande avec la création d’un nouvel outil d’aide à la promotion en bouteille. Le conseil d’administration de l’ODG propose la création d’un fonds de soutien à la commercialisation des AOC Bordeaux en bouteille. Proposé de janvier 2020 à décembre 2024, ce programme promotionnel reposerait sur une enveloppe de 25 millions €.
Ces mesures de sortie de crise passent par une augmentation de la Cotisation Volontaire Obligatoire (CVO). Avec des coûts additionnels de 8 millions € pour la prime au déclassement et de 25 millions € pour le fonds de soutien à la commercialisation, l’enveloppe globale atteint 33 millions €. Lissée sur cinq ans, la contribution supplémentaire pour l'ODG serait de 26,75 millions euros (soit 2,14 euros/hl de cotisation annuelle en plus, dans le cas d'une récolte estimée à 2,5 millions hl) et celle du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) de 6,25 millions euros (soit 0,50 euros/hl de nouvelles cotisations).
Jugeant que ces sujets ne regardent que les viticulteurs de ses appellations, le syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieur ne souhaite pas commenter le sujet. Un de ses porte-paroles précisant que « parler de ces mesures sans les expliquer proprement risquerait de mettre le bazar et de les voir avorter ». Poussée à l’extrême, cette stratégie de la confidentialité alimente des tensions et divisions dans tout le vignoble girondin. Et même au-delà.


En témoigne la session de la Chambre d'Agriculture de la Gironde ce 29 novembre à Planète Bordeaux (le siège de l’ODG Bordeaux). « Les annonces qui se préparent au sein de l’ODG Bordeaux manquent peut-être un peu de concertation. Les mesures ne sont pas partagées. On s’inquiète de l’assemblée générale qui aura lieu ici même le 6 décembre » pose diplomatiquement Thomas Solans, le vice-président des Jeunes Agricultures de Gironde. Avant de mettre les pieds dans le plat : « les mesures dont nous avons entendu parler ne nous rassurent pas et ne correspondent pas aux attentes des viticulteurs. La production de VSIG ne fera que détruire la marque Bordeaux. Les mesures d’abondement ne sont pas une bonne idée, elles ne seront pas destinées aux viticulteurs les plus en difficulté. »
Alors que certains auditeurs se demandent si la mission d’une ODG de vin AOC est de financer des VSIG, d’autres saluent une réaction en forme de mesures d’accompagnement. « Si la filière fait bouger les choses, les banques l’accompagneront » note Anthony Jezegou, responsable du pôle viticulture de proximité du Crédit Agricole. Qui glisse qu’« aujourd’hui, c’est le banquier qui porte le stock en attendant la reprise des marchés ».


« Avec ces mesures, on veut traiter de manière conjoncturelle des enjeux structurels. Il ne faut pas rêver, il y aura une mutation de la viticulture girondine et il faut accompagner le mouvement qui se fait » s’alarme Dominique Techer, de la Confédération Paysanne, qui regrette un manque d’anticipation alors que les sorties vrac sont enrayées depuis le printemps 2018. « Les prises de décision ont été décalées pour proposer des mesures nouvelles se basant sur les dernières données de production et de commercialisation » répond Fabien Bova, le directeur de l’interprofession. Ajoutant que « la filière arrive à une période où les décisions vont être prises. Des évolutions sensibles seront présentées à l’assemblée générale du CIVB, ce 16 décembre ».
Le cycle des réunions de crise et des votes décisifs ne fait que commencer à Bordeaux.
A part quelques reprises de marchés européens (notamment en Allemagne et Belgique), la plupart des indicateurs commerciaux des vins de Bordeaux virent au rouge. Sur l’année glissante s’achevant en juin 2019, les exportations bordelaises de vins se sont élevées à 1,82 million hl (-14 % par rapport à la période précédente). La chute étant la plus marquée sur son premier marché export, la Chine (-31 %). En grande distribution française, les ventes de vins tranquilles sont en baisse d’après le panel IRI à fin P6 2019 (-5 %), celles d’AOC tranquilles également (-8 %) et celles de Bordeaux encore plus (-14 %).
Sur la campagne 2018-2019, les enregistrements de contrats d’achat vrac du CIVB ont atteint leur plus bas niveau depuis 25 ans : 1,75 million hl (-16 % par rapport à la précédente campagne). Cette baisse atteint -18 % pour les vins de Bordeaux rouges (1,2 million hl), -5 % pour les blancs secs (202 000 hl), -16 % pour les Côtes de Bordeaux (167 000 hl), -7 % pour les Médoc et Graves (121 000 hl), -14 % pour les Saint-Emilion (120 000 hl), mais +3 % pour les blancs doux (23 000 hl).