Accueil / Politique / Le vouloir n’est pas le pouvoir d’arracher les 10 % de vignes "en trop" à Bordeaux
Le vouloir n’est pas le pouvoir d’arracher les 10 % de vignes "en trop" à Bordeaux
Lire plus tard
Partage tweeter facebook linkedin

Crise viticole
Le vouloir n’est pas le pouvoir d’arracher les 10 % de vignes "en trop" à Bordeaux

Continuant d’explorer de nouvelles voies réglementaires, l’interprofession bordelaise tire le constat de grandes difficultés à trouver un véhicule légal pour financer l’arrachage des 10 000 ha actuellement excédentaires.
Par Alexandre Abellan Le 12 décembre 2022
Lire plus tard
Partage tweeter facebook linkedin
Le vouloir n’est pas le pouvoir d’arracher les 10 % de vignes
« Le financement de l'arrachage primé de 10 000 hectares de vigne est au cœur de toutes les discussions » note Allan Sichel ce 12 décembre à la tribune. - crédit photo : Alexandre Abellan (Vitisphere)
C

omme l’écrivait Montaigne, « c'est une belle harmonie quand le faire et le dire vont ensemble ». Hélas, le gouffre entre la nécessité et la réalité d’un arrachage primé reste béant dans le vignoble girondin. Ce 12 décembre dans son discours d’assemblée générale du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), le président Allan Sichel met les points sur les i de la crise viticole en déclarant qu’« arracher des vignes est un crève-cœur pour des viticulteurs souvent issus d'une longue lignée ; c'est pourtant désormais la seule solution envisagée par beaucoup d'entre eux. À l'échelle de l'ensemble du vignoble, arracher 10% de nos surfaces permettrait de réduire les volumes de production et, ce faisant, d'assainir la filière. » Alors que le bureau du CIVB table sur une commercialisation de 3,8 millions d’hectolitres de vin sur l’année 2022 (contre une prévision de 4,3 millions hl), Allan Sichel chiffre la « surproduction annuelle [à] 300 000 hl, auxquels s'ajoutent 200 000 hl vendus désormais à des prix non rémunérateurs. Un excédent de 500 000 hectolitres donc, qui déséquilibre durablement notre offre, face à une demande en baisse. L'équivalent de 10 000 hectares "en trop". »

Alors que le vignoble manifestait la semaine dernière pour un plan social à 10 000 €/ha, la création par la préfecture d’une cellule de crise, « cela laisse sans réponse la question du financement de l'arrachage » note Allan Sichel, pointant que le dispositif régional de reconversion n’est pas réglementairement adapté à de l’arrachage (ce que l’on confirme et répète à l’hôtel de Région). Face à ces blocages réglementaires, certains proposent de couper coûte que coûte. Porte-parole de la Confédération Paysanne, Dominique Techer en appelle à l’utilisation des 22 millions € de réserve du CIVB pour constituer une caution d'arrachage : « le CIVB ne peut pas rester à regarder les gens mourir en disant que ce n’est pas de sa compétence ». Pour Allan Sichel, « nous nous efforçons sur le sujet d’explorer avec détermination toutes les pistes possibles. C’est facile d’arriver en disant qu’il n’y a qu’à payer. On ne peut pas le faire actuellement. » Directeur général du CIVB, Fabien Bova indique que la Cotisation Volontaire Obligatoire (CVO, assurant 78 % du budget du CIVB*) « pour être utilisée doit correspondre à un objet pour lequel elle a été étendue. Tout ce qui est possible dans le cadre de l’extension est actuellement visité. » Tout en taclant l’opposition historique de la Confédération Paysanne aux CVO, « avec des procès forts chers qui nous ont déjà coûté » et nécessitant une analyse juridique possible.

On en verra le bout

Réaffirmant « notre recherche de solutions pour réduire notre potentiel de production et procéder à l’arrachage de 10 000 hectares », Allan Sichel note que si « c’est une crise qui affecte toute la filière, on est bien déterminés à la traverser et on en verra le bout : on en sortira de cette crise. Et il faut préparer l’avenir. » Sont ainsi prévus pour 2023 des actions de promotion et de communication avec l’annualisation de Bordeaux Fête le Vin, des partenariats avec la restauration locale (comme les cabanes d'Arcachon), l’évolution des profils produits (sucrosité, fruité…), la diversification en dehors de l’AOP rouge (85 % de la production girondine), et la relance de la Tournée des Vins de Bordeaux en France (moment de rencontre des vins de Bordeaux avec les consommateurs français). « L'événement vise à mobiliser 2 000 viticulteurs et négociants partout en France » annonce Allan Sichel. « Qui sera encore vivant en mars ? » réplique Dominique Techer, qui estime que le CIVB découvre trop tard une crise visible depuis 2018-2019 et que cet « aveuglement » doit aboutir à un financement de l’arrachage aux côtés de l’État, responsable d’avoir validé les orientations stratégiques de la filière girondine pour le syndicaliste. « On ne découvre pas la situation, on travaille d’arrache-pied pour trouver des solutions » répond Allan Sichel. « Je ne connais aucune autre filière en France où à l’intérieur nous avons un représentant de syndicat représentatif qui avec opiniâtreté et constance participe à ce dénigrement » tacle Bernard Farges le vice-président du CIVB.

Absence de cadre

Représentant la préfète, Renaud Laheurte, le directeur de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer de Gironde (DDTM) conclut l’assemblée générale en confirmant l’impasse qui se dessine : « il faut le redire. Aujourd’hui, il n’y a pas réglementairement de solution permettant de répondre à la revendication d’arrachage de 10 000 €/ha. Les conditions nationales et européennes ne sont pas remplies à ce jour pour permettre ce financement. Le cadre réglementaire n’existe pas. » Se voulant optimiste, le fonctionnaire souligne l’importance des réunions de la cellule de crise pour assurer l’arrachage de 10 % du vignoble girondin et la pérennisation du vignoble existant. Afin de « maintenir une activité rémunératrice et éviter le développement des friches » ajoute Renaud Laheurte. Mais comme l’écrivait Montaigne, « c'est une belle harmonie quand le faire et le dire vont ensemble ». Reste à la cellule de crise de faire la preuve de son efficacité.

 

* : Les ressources du CIVB doivent s’élever à 28,7 millions d’euros en 2023 (-17 % en un an), avec 22,44 millions € de CVO (-11 %) et 5 millions € de subventions européennes (-35 %, du fait de baisse des taux et de réduction des dépenses).

 

 

Partage Twitter facebook linkedin
Tous les commentaires (0)

Pas encore de commentaire à cet article.
© Vitisphere 2023 - Tout droit réservé