ous maîtrisez la danse de la pluie ou tout autre sortilège faisant s’abattre des trombes d’eau sur le vignoble ? « On prend » lance, pince sans rire, Alain Gleyze, le président du syndicat de défense du cru Fitou (Aude), qui ne cache pas son inquiétude face au manque d’eau persistant sur toute une partie du littoral méditerranéen, de Narbonne à Perpignan (Pyrénées-Orientales). Depuis les premières messes et procession pour la pluie en mars dernier dans le Roussillon, le manque d’eau n’a pas diminué sur certaines zones. Il s’est exacerbé au contraire, confirmant le diagnostic d’une météo aride, pour ne pas dire désertique.
« On est à moins de 100 mm de pluies depuis le début d’année. Quand au Sahel on est à 250 mm*. S’il n’y a pas plus d’eau d’ici aux vendanges, ça pourrait être catastrophique » esquisse Alain Gleyze, qui reste prudent et ne veut pas céder au désespoir : « on va voir si l’on récupère deux à trois orages pour récupérer de l’eau. On dit que la vigne est coriace, on va pouvoir le voir. Nos anciens disent qu’ils ont connu un épisode semblable dans les années 1950, avec des sarments ayant poussés de 30 à 40 cm. Sauf qu’à l’époque, il n’y avait pas les mêmes charges… [Pour le millésime 2023], tout va se jouer en juin et juillet : si l’on a de la chance d’être arrosés, ça limitera les dégâts. Sinon, on comptera les petits à la fin. »
Espérant de la pluie, le vignoble audois ne peut que constater localement des situations extrêmes. Réputé pour sa résistance au stress hydrique, le carignan est soumis à rude épreuve. Sur certaines parcelles particulièrement sèches, le constat est sans appel : des vignes ne poussent plus, n’avancent pas d’un stade phénologique. Sur son domaine de la Rochelierre (15 ha), Jean-Marie Fabre, également président Vignerons Indépendants, se souvient avoir reçu le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, lors d’une récente visite dédiée à la sécheresse : « le vignoble n’a pas bougé depuis sa venue le 6 mai. La végétation monte à 40 cm au maximum. Des souches de 40 à 50 ans ont lâché : elles ont débourré normalement et ne bougent plus depuis le stade 2 à 3 feuilles étalées, leurs bourgeons sont cassants et la rhizosphère est totalement sèche. Des souches vont mourir. »


Ayant l’objectif de développer un maximum le feuillage (pour préserver l’activité photosynthétique et la capacité à tenir des ceps), Jean-Marie Fabre fait tomber des grappes pour canaliser le peu d’énergie disponible : « on fait tomber, on allège pour aider à la floraison et faire des feuilles pour passer l’année. Parfois on ne laisse rien, quand il y a plus de grappes que de sarments. Dans la vallée de l’Agly, le vignoble est en train de mourir tranquillement. » Du premier mai 2022 et à la fin mai 2023, son domaine a reçu 109 mm de précipitations (dont 16 mm venus des orages de cette semaine). Mais à quelques kilomètres, des parcelles de vignes ont des végétations qui font rêver, que ce soit à Limoux, dans le massif de la Clape ou dans les Corbières.
Vigneronne à Tuchan, Katie Jones (domaine éponyme) témoigne d’une sécheresse moins aiguë, sur les terroirs montagnards par rapport à ceux maritimes. Malgré tout, « il n’y a pas assez de pluie, le sol est très très sec » rapporte Katie Jones, estimant que cette réduction de la sécheresse ne s’explique pas que par sa localisation : « j’ai des vignes anciennes (75 à 100 ans) et un terroir calcaire (avec une réserve souterraine d’eau). Grenache et carignan poussent normalement, avec de jolies sorties de raisins. On va éclaircir pour réduire le rendement. »
Si certaines parcelles ont eu assez de pluie pour rattraper une partie de la sécheresse, d’autres vignobles attendent encore. S’il n’y a rien à faire dans l’immédiat, faute d’accès à l’eau et à l’irrigation pour la majorité des domaines concernés, « dans l’avenir, on prospectera de l’eau. Ce sera de l’eau de survie. Mais l’enjeu sera d’accéder à l’eau. La solution qui serait la plus rapide serait la réutilisation des eaux usées » avance Alain Gleyze, une solution développée par la cave coopérative de Leucate. Parmi les solutions d’avenir face au changement climatique, Jean-Marie Fabre évoque les pistes de l''agroécologie (pour rendre le vignoble plus résilient) et le potentiel protecteur des ombrières photovoltaïques (si un partenariat a été signé entre les Vignerons Indépendants et EngieGreen, un essai a lieu avec Sun’Agri dans le Roussillon, avec de premiers résultats « sur le stress hydrique, l’évapotranspiration, la baisse du degré des vins, la protection contre le gel ou la grêle »). En attendant, si vous avez un don pour faire tomber la pluie, n’hésitez pas à en faire profiter les vignobles audois et catalans…
* : Très variables sur la zone sahélienne, « les précipitations annuelles moyennes varient de 250 à 500 mm » d’après l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO).