C’est du jamais vu », s’alarme Eric Noémie, conseiller à la chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales. Dans ce département, la pluviométrie devient critique : 200 mm sur les 12 derniers mois. Depuis le début de l’année, il n’est tombé que 94 mm, ce qui représente un déficit de 57% par rapport à la moyenne des 5 dernières années, selon les relevés de Weenat.
« Dans les cas extrêmes, les vignes ont du mal à débourrer : sur une même souche, des bourgeons sont juste ouverts alors que d’autres sont à 6 feuilles étalées. Comment la vigne s’adaptera-t-elle à cette sécheresse inédite ? C’est la grande inconnue », poursuit Eric Noémie.
Propriétaire Château des Hospices un domaine de 70 ha au à Canet-en-Roussillon, Marc Benassis constate : « Les sols sont déjà très secs. Pour le moment, la pousse est correcte, les feuilles sont bien vertes et nous avons une belle sortie. Mais qu’en sera-t-il s’il ne pleut pas d’ici les vendanges ? ».
Marc Benassis dispose de 18 ha irrigables. Pour le moment, il n’a pas commencé l’arrosage. « Nous avons des restrictions. On ne peut arroser que deux jours par semaine. La vigne a bien démarré alors mieux vaut économiser l’eau. Les arboriculteurs en ont plus besoin que nous en ce moment », indique-t-il
Régis Teixido, qui exploite un vignoble de 10 ha à Castelnou, s’attend à une baisse de ses rendements « Le débourrement s’est bien passé mais le feuillage est un peu jaune. Sans pluie, les baies vont rester petites et le rendement en jus sera très faible ». Pour atténuer l’effet de la sécheresse, il multiplie les labours pour ameublir ses sols. « En général, je passe 3 à 4 fois par saison, cette année ce sera 6 à 8 fois ».
Au domaine de Serrelongue à Maury, Julien Fournier constate de la mortalité sur le pourtour de ses parcelles qui sont bordées d’arbre. « Des souches entières meurent du fait de la concurrence hydrique avec les arbres », explique-t-il.
Camille Mege, qui s’est installé en 2019 sur un petit vignoble de 4,5 ha à Tautavel, a pratiqué une taille plus sévère cette année pour réduire la sortie et permettre à la vigne de mieux résister à la sécheresse. Malgré ça, dans les terres argileuses, la vigne débourre très mal.
Dans le secteur de La Clape dans l’Aude, Philippe Chamayrac, propriétaire du Château Mire l’Etang à Fleury, a comptabilisé 158 mm de pluie depuis le 1er octobre. « Nous n’avons eu que 3 pluies de plus de 10 mm. Le reste est tombé au compte-goutte : 48 épisodes de pluie d’à peine 3 mm chacun. Des précipitations inefficientes pour recharger les sols ».
Pour compenser ce déficit, il a démarré l’irrigation le 1er avril, en apportant 60 à 70 mm à 50 cm de profondeur, grâce à son irrigation enterrée. « L’idée est d’assurer un bon démarrage de la végétation. Pour le moment, la vigne est belle et il y a une belle sortie de grappes, très homogène. Si l’été n’est pas trop caniculaire, on devrait pouvoir tenir jusqu’à la récolte ».
Le Gard n’est pas mieux loti. Depuis le début de l’année, il n’est tombé que 97 mm, soit un déficit de 57% par rapport à la moyenne des 5 dernières années, selon les données Weenat. Le 24 avril, la Préfecture du Gard a même classé la zone aval de la Cèze en situation de crise, interdisant tous les usages d’eau autres que prioritaires (alimentation en eau potable, abreuvement des animaux, sécurité civile et salubrité publique).
Cécile Chinieu, à la tête d’un vignoble de 18 ha en bio à Bagnols-sur Cèze, se situe dans cette zone. « Le niveau de la Cèze est celui que nous avons habituellement en juillet. Mais nous avons eu de gros orages à l’automne, il reste donc de l’humidité en profondeur. Le débourrement s’est bien passé, nous avons une belle sortie, bien homogène. Mais on ne sait pas quand ça va décrocher. Ce qui est certain, c’est qu’il faudra de l’eau pour faire grossir les raisins. Là, ça risque de coincer ».
La Provence souffre tout autant. « Fin avril, nous n’avons que reçu 120 mm d’eau depuis la fin des vendanges, rapporte Jérôme Paquette, propriétaire des 25 ha du domaine de Curebeasse à Fréjus. Ce n’est même pas le quart de ce qu’il aurait dû tomber. De plus, le mistral souffle régulièrement, ce qui accentue la sécheresse. »
C’est la troisième année consécutive que ce vigneron subit la sécheresse. Pour le moment, ses vignes ne semblent pas en souffrir. Heureusement pour lui, il peut irriguer tout son vignoble avec l’eau du canal de Provence. « Sans cela, j’aurai dû changer de métier », souligne-t-il.
Quid de la suite ? Si Jérôme Paquette prie pour que la pluie arrive, il sait que cela ne suffira pas. « Nous allons devoir irriguer à partir du mois de juin, précise-t-il. Et l’irrigation, ça ne remplace pas la pluie. Ça rééquilibre le raisin, mais ça ne comble pas le déficit des sols en eau ». Et comme la ressource en eau diminue, l’irrigation risque d’être compromise. Mais la plus grande craint de ce vigneron est ailleurs : les feux de forêt qu’il a déjà connus et qui détruisent tout.
Contrairement à son confrère, Guillaume de Chevron Villette à la tête des 130 ha du château Reillanne au Cannet des Maures (83) n’a pas accès à l’irrigation. « S’il ne pleut pas ce printemps, il faut s’attendre à des dégâts pires que le gel, s’inquiète-t-il. Pour l’instant, nous ne voyons rien sur les vignes mais les rivières ne coulent plus et les ruisseaux sont à secs. »
Guillaume de Chevron Villette craint une perte de rendement y compris l’an prochain « car cette sécheresse aura un impact sur l’induction florale ». Son autre motif d’inquiétude concerne le profil de ses rosés. « Les raisins qui ont souffert de la sécheresse ne donnent pas des vins aromatiques et frais », observe le vigneron. Nous avons déjà adapté certaines de nos pratiques avec la mise en place de couvert végétaux, mais ce n’est ni suffisant. Nous allons devoir aller plus loin. »
Seul avantage de cette sécheresse, l’herbe est rare et commence déjà à sécher et le vignoble est sain. « On va faire l’économie de passages de tracteur », avance Philippe Chamayrac.
Le 24 avril, Hermeline Malherbe, présidente du Conseil Départemental des Pyrénées-Orientales, a adressé un courrier au président Macron réclamant un fonds de solidarité pour venir en aide aux agriculteurs. « L’arboriculture, le maraîchage, l'élevage et la viticulture doivent faire face au manque d'eau, écrit-elle. Les récoltes sont en danger. Il est donc urgent que l'Etat soutienne, en lien avec les collectivités locales compétentes, la mise en place d'un fonds de solidarité pour garantir un soutien immédiat aux agriculteurs qui vont voir leurs récoltes anéanties, voire même leur outil de production disparaître ». Elle alerte Emmanuel Macron sur « une catastrophe écologique, demain économique » qui pourrait déboucher sur « une catastrophe humaine faute de soutien et d'aide urgente ».