Quand nous avons dégusté les jus issus des parcelles de notre observatoire, nous les avons trouvés plus tanniques et colorés qu’à l’accoutumée, alors que nous les récoltons toujours à la même maturité » témoigne Daniel Granès.
Le directeur scientifique de l’Institut coopératif du vin (ICV) l’a vérifié au laboratoire en mesurant l’indice de polyphénols totaux, de 0,05 à 0,10 point supérieur à la moyenne. « Lors d’une de nos microvinifications, nous nous sommes ratés sur un sulfitage et nous avons vu le jus brunir pendant la phase de latence des levures, avant le démarrage de la fermentation alcoolique ».
Cette tendance à l’oxydation se confirme dans plusieurs régions, même dans les vignobles où la vendange est rentrée après de la pluie ou de la grêle.
Stéphane Becquet constate le phénomène à Bordeaux. « La chaleur a accéléré le vieillissement des baies et les a rendues plus sensibles à l’oxydation » soupçonne l’animateur du syndicat des vignerons bio de Nouvelle-Aquitaine.
Daniel Granès repense quant à lui à des travaux bordelais ayant montré une corrélation entre les teneurs en azote assimilable et celle en glutathion. « Or, si la moyenne est plus haute qu’en 2021, dans certains cas de figure, l’azote minéral ou organique est inférieur à la limite de quantification ».
Pour protéger les moûts, le scientifique conseille aux vignerons d’ajouter du métabisulfite et de l’acide ascorbique à leur récolte dès la parcelle, de vendanger vite et au frais, entre 5 et 11h du matin, de ne pas laisser les jus macérer trop longtemps dans les pressoirs, et d’augmenter les doses d’enzymes pour faciliter la libération du jus et limiter la trituration.
Stéphane Becquet recommande aux vignerons qui souhaitent utiliser de la carboglace pour protéger la récolte, le pressurage, et l’encuvage, de la commander au plus vite à leurs fournisseurs.


A Gaillac, Francine Calmels a encouragé ses clients à coller les premiers moûts à la protéine de pois ou à la patatine. « Les pellicules étaient très épaisses et les jus qui sortaient des pressoirs sont très dorés voire bruns, cela peut faire peur ». Avec un peu de recul, l’Å“nologue a remarqué que la couleur tombait au débourbage ou pendant la fermentation.
« Je ne préconise plus aucune action avant la fin des sucres » explique-t-elle. Même chose pour Stéphane Becquet, « sauf pour les vignerons qui recherchent des vins très clairs ».
Dans ce cas, il propose un ajout de colle dès la fermentation jusqu’au soutirage. « Nous avons mené des essais avec l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) en 2018 et obtenu les meilleurs résultats avec la caséine et la PVPP (non autorisée en bio) ».
« Le problème de la PVPP est que son prix est passé à 20 €/hg cette année, contre 14 en 2021 » constate Daniel Granès. « Les vignerons peuvent aussi laisser leur jus brunir. Les composés phénoliques vont tomber pendant le débourbage et la fermentation. A la fin, ils ne seront sûrement que légèrement plus jaunes » reprend-t-il, en préconisant plutôt un travail limité aux vins de presse bien valorisés.
Cette année, l’ICV a développé un protocole permettant à ses laborantins de donner en temps réel le risque de brunissement de leurs moûts. « C’est un progrès, même si l’analyse est manuelle et difficile à mettre en Å“uvre en routine lors de la période très chargée des vendanges ».
A l’inverse des moûts blancs et rouges, Daniel Granès craint un manque de couleur sur les vins rouges. « Les vignerons vont avoir du mal à corriger le tir en cave, la majorité fait déjà le maximum depuis plusieurs années pour bien l’extraire ».