’objectif principal du projet européen GrapeBreed4IPM est de faire avancer les différentes initiatives en termes de sélection de variétés de vigne résistantes aux principales maladies cryptogamiques dans les différents pays européens. Quels sont les programmes en cours en France ?
Komlan Avia : En France, des géniteurs intégrant des facteurs de résistance principalement au mildiou et à l’oïdium, issus des travaux d’INRAE et de l’IFV, à travers notamment le programme INRAE-ResDur, sont croisés avec des cépages locaux de différentes régions viticoles, pour démarrer une douzaine de programmes régionaux de création variétale : le gewurztraminer et le riesling, en Alsace, le pinot noir, le pinot meunier, le chardonnay, le gouais et l’aligoté en Bourgogne et en Champagne, le cabernet franc et le petit verdot à Bordeaux, le monbadon, le montils, le vidal36, l’ugni blanc, la folle blanche et le folignan à Cognac, le piquepoul dans le Languedoc, le cinsault et le vermentino en Provence, le colombard, le gros manseng et le tannat, dans le Sud-Ouest, le melon, le chenin et le sauvignon blanc en Val de Loire, et le grenache, le muscat petits grains et la syrah en Vallée du Rhône.
Un programme de raisins de table avec le centennial seedless, le muscat de Hambourg et le muscat d’Alexandrie est également en cours en Provence. Pour faire court, au delà de la résistance aux maladies, ces programmes comportent un important volet portant sur la typicité régionale des vins et sur une meilleure adaptation aux conditions climatiques régionales.
Que vont permettre les quelques 5 millions d’euros de budget ?
Ces nouveaux financements vont permettre d’initier, d’avancer ou de démultiplier différentes initiatives dans différents pays et dans différentes conditions pédo-climatiques, et je l’espère, de voir dans 4 ans les projets les plus avancés aboutir sur des inscriptions aux catalogues officiels des variétés de cuve en Europe. En France, les programmes régionaux les plus avancés devraient atteindre l’étape finale de l’inscription au catalogue à l’horizon 2030.
En réalité l’ambition de ce projet est beaucoup plus large. Nous proposons de mettre en commun nos efforts à l’échelle européenne, pour faire avancer non seulement la recherche pour l’innovation variétale (à la fois conventionnelle et basée sur les nouvelles technologies de génomique), mais également la compréhension des obstacles à l’adoption des nouvelles variétés résistantes ou la mise à disposition des professionnels d’outils d’aide à la décision pour une conduite optimale des vignobles, compatible avec les règles européennes de gestion intégrée des pathogènes et ravageurs.
Il y a un important effort de recherche pour identifier et caractériser de nouveaux facteurs de résistance. Quatre maladies sont ciblées dans ce projet : le mildiou, l’oïdium, le black rot ainsi que le botrytis. Nous travaillerons également sur de nouvelles méthodologies de sélection basées sur la génomique, qui devraient nous permettre d’accélérer les futurs programmes de sélection, gagnant en efficacité tout en baissant les coûts.
Je précise ici qu’en plus de notre projet, un second projet appelé Shield4Grape, également uniquement sur la vigne et porté par des collègues Italiens, est aussi financé à hauteur de 5 millions d’euro. Ce second projet cible mildiou, oïdium et maladies du bois. Les deux projets ont des approches complémentaires et ce budget global de 10 millions d’euros de la commission européenne sur 3 à 4 ans, permettra d’apporter des solutions concrètes à la problématique de diminution de l’utilisation de produits phytosanitaires en viticulture en Europe, dans un contexte de changement climatique. Ceci permettra de pérenniser la filière vitivinicole qui est à haute valeur ajoutée dans l’économie européenne.
Une cinquantaine de variétés résistantes sont inscrites au catalogue mais elles représentent en surface plantée moins d’1% du vignoble. Pourquoi ?
Un des axes du projet GrapeBreed4IPM est consacré à la constitution dans chacun des pays participants, de panels d’experts choisis le long de la chaîne de valeur de la vitiviniculture (chercheurs, conseillers, pépiniéristes, viticulteurs, metteurs en marché, etc) pour analyser des données, échanger et dresser un état des lieux des obstacles à une meilleure adoption de variétés résistantes aux maladies. Bien sûr nous connaissons un certain nombre de facteurs dont l’impact très fort de la tradition qui limite le changement en viticulture. Mais dans le même temps ces variétés sont très récentes par rapport à l’histoire multiséculaire des cépages emblématiques/ Elles ont besoin de temps pour se faire une place.
Nous travaillerons ensuite sur les leviers à actionner pour susciter davantage l’intérêt de la profession pour ces nouvelles variétés. Il faut aller vers plus de diversité, avec une adaptation à différents contextes de production et sans doute, avec le temps, de cette diversité proviendra également une excellence des vins produits. Dans le monde, si une douzaine seulement de cépages occupent environ 45 % des surfaces cultivées, il y a cependant environ 6000 variétés de vigne estimées, une diversité incomparable à celle des variétés résistantes aux maladies.
A quels leviers pensez-vous ?
Nous allons par exemple mesurer l’impact de l’utilisation des variétés résistantes sur la biodiversité au vignoble par rapport aux plantations de cépages conventionnels ou à la pratique de l’agriculture biologique. A l’issue du projet, nous diffuserons des guides pratiques et des outils d’aide à la décision dans le choix des variétés et des conseils pratiques pour optimiser leur mode de conduite et vinifications. Nous communiquerons aussi auprès des décideurs politiques pour tenter d’assouplir davantage certaines règlementations en vue de donner plus de chance aux variétés résistantes.
Ces variétés sont certainement l’un des principaux moyens pour répondre aux objectifs ambitieux des plans Écophyto. Pour assurer la durabilité des facteurs de résistance embarqués dans ces variétés résistantes et une protection contre les maladies secondaires, notre message est qu’une couverture phytosanitaire minimale reste nécessaire, mais à ce jour, on estime que ces variétés permettent de réduire de 80% l’IFT consacré aux fongicides en viticulture.