En altérant le feuillage, le mildiou rend la maturation plus difficile. Les raisins peuvent donc présenter des degrés plus faibles, une acidité plus élevée, un déficit d’anthocyanes et des tanins verts. Dans les cas extrêmes, comme ce fut le cas en 2023, « avec le manque de feuillage et des températures de plus de 30 °C pendant plusieurs jours, les baies ont carrément séché et il n’y avait plus de jus », rapporte Sylvain Raimondi, directeur du laboratoire œnologique départemental du Tarn. De même, les attaques de rot-brun sur les grappes provoquent des mauvais goûts du type « feuille de lierre ».
Le premier conseil des œnologues est donc de trier la vendange afin d’éliminer les baies atteintes par le mildiou. « Si l’on vendange à la main, l’idéal est de trier à la parcelle, affirme Caroline Fleur, œnologue-conseil, directrice du groupe Œnocentre (Bordeaux-Médoc, Soussac et Bergerac). Le tri densimétrique (6 t/h) reste le plus efficace pour éliminer tout le mildiou et les débris végétaux, mais les tables type Viniclean, de Socma, ou une Rolltec font aussi du bon travail et constituent déjà une bonne solution. Si l’on vendange à la machine, le tri embarqué permet aussi d’éliminer les baies touchées. » Si l’attaque est très sévère – avec plus de 5 à 10 % de baies affectées – et que l’on n’a pas la possibilité de les éliminer par le tri, il faut alors « rassembler les raisins de ces parcelles et les traiter à part », rapporte l’œnologue. L’an passé, dans les cas extrêmes, « les vignerons ont résolu de ne pas vendanger certaines parcelles, les grappes étant trop fortement touchées », ajoute Sylvain Raimondi.
Si le tri est efficace, le vigneron peut opérer une vinification classique. Dans le cas contraire, « le plus judicieux est peut-être de partir sur un rosé, un blanc de noir ou une base de crémant avec un pressurage direct des raisins », indique Caroline Fleur. Si le vigneron souhaite malgré tout élaborer un rouge, les précautions suivantes s’imposent.
Sylvain Raimondi souligne qu’il est important d’éviter la trituration et la macération des raisins atteints par le mildiou. À cette fin, il recommande de vider les bennes plus fréquemment, ce qui implique des allers-retours à la cave plus nombreux. De même, il est primordial d’écarter les jus d’écoulement des bennes et de les traiter à part, débourbage et collage inclus. Caroline Fleur ajoute que l’on peut aussi « nettoyer l’intégralité des jus de la cuve en faisant une saignée totale, en traitant le jus – soit par un débourbage, soit par un collage, voire les deux – puis en réincorporant le jus propre dans la cuve ».
La vendange mildiousée est plus fragile. Pour la protéger, Sylvain Raimondi recommande de sulfiter davantage, avec des doses de SO2 de l’ordre de 6 à 7 g/hl à l’encuvage. Selon Laurent Vial, directeur du centre œnologique ICV de l’Hérault, il faut rester sur des doses modérées de l’ordre de 5 à 6 g/hl, à ajouter au moment de l’arrivée au chai, « pour ne pas extraire de choses négatives, tout en assurant un minimum de protection ». Sylvain Raimondi préconise également l’ajout de tanins afin de réduire les altérations tout en stabilisant la couleur.
Les œnologues sont unanimes : il faut libérer le jus rapidement. Ils recommandent donc l’emploi d’enzymes d’extraction, et ce, « le plus tôt possible, dès la réception de la vendange au chai, juste avant l’encuvage », précise Laurent Vial. « Sur des vendanges problématiques, il ne faut pas s’en passer », confirme Sylvain Raimondi. À quelle dose ? « À celle que l’on utilise classiquement », selon l’œnologue tarnais. Laurent Vial, lui, estime que l'« on peut l’augmenter un peu : une fois et demie la dose habituelle ».
« On peut travailler le chapeau avec des remontages très doux : deux par jour, jusqu’à — 30 de densité, détaille Sylvain Raimondi. À ce stade, on opère un délestage afin d’homogénéiser la cuve et d’apporter un peu d’oxygène. Ensuite, on repart sur un remontage par jour. Si les raisins sont très abîmés, il faut renoncer au délestage. Dès que l’on a assez de matière, il faut décuver rapidement. En tout état de cause, il faut le faire dès la fin de la fermentation alcoolique pour ne pas laisser le marc en contact avec le jus. »
Caroline Fleur le confirme : « Il faut aller vite, ne pas faire de macération pelliculaire à froid », et enclencher rapidement les fermentations. Selon elle, l’idéal est de travailler à des températures de 24 à 25 °C pendant la fermentation, afin de privilégier le fruit. « En décuvant à 1040 ou 1050 et en pressant directement derrière, la macération du mildiou sera limitée. On finira la fermentation (T°C : 24/25) en phase liquide et on obtiendra un vin rouge fruité léger, d’un type actuellement recherché par les consommateurs. Si on veut finir la fermentation sous marc, il faut décuver dès la FA terminée et ajouter des alternatifs, bois, tanins… pour apporter de la sucrosité et gommer l’aromatique négatif. » L’œnologue trouve la thermovinification également intéressante, en particulier la thermo liquide.
D’après Caroline Fleur, le principal, c’est de bien fermenter : il faut donc opter pour une levure classique. « Si l’on décuve tôt, on peut aussi utiliser une levure plus qualitative qui va faire mûrir le fruit et masquer les notes végétales. Elle pourra aussi apporter du volume, tout dépend de ce que souhaite le vigneron. »
Sylvain Raimondi préconise aussi le recours à des levures dotées d’excellentes capacités fermentaires, capables de s’implanter et réaliser la fermentation le plus rapidement possible. Si le vigneron souhaite effectuer la malo, l’œnologue recommande la co-inoculation.
Selon Sylvain Raimondi, l’ajout de bois frais permet de masquer la sous-maturité et les notes végétales, tout en apportant de la rondeur. En cas d’apparition de mauvais goûts, préférez les copeaux dont la chauffe est plus importante, car ils apportent des notes torréfiées.
Pour la production des blancs et des rosés, les trois œnologues recommandent : de presser la vendange rapidement mais sans aller trop loin, en utilisant des enzymes d’extraction ; d’écarter les premiers et les derniers jus, afin de les traiter à part. Ensuite, ils conseillent un débourbage serré, avec une turbidité de « 60 à 70 NTU », selon Sylvain Raimondi, afin de supprimer le plus possible les mauvais goûts ; de vérifier la teneur en azote des moûts – comme « on a appauvri le milieu », s’accordent-ils tous à dire – et de les compléter au besoin, afin que la fermentation se déroule dans de bonnes conditions. Pour finir isl recommandent l’emploi d’une levure qui relève bien les arômes.