À l’aveugle, il est difficile de deviner que c’est un sauvignon du Languedoc », raconte Frédéric Cauquil. Et pourtant, c’est le cas. Depuis trois ans, cet Å“nologue-conseil de l’IOC travaille avec José Garcia, le propriétaire du Château de Saint-Estève à Thézan-des-Corbières, dans l’Aude. Leur but : « Produire des sauvignons aussi frais et fruités que dans la Loire », précise Frédéric Cauquil.
Dans ce château, tout est en ordre pour préserver les thiols : transport rapide de la vendange, refroidissement avec deux échangeurs tubulaires et transferts sous azote.
En 2021, après le départ inopiné en fermentation de deux cuves qui stabulaient sur bourbes, José Garcia décide d’utiliser la bioprotection pour sa prochaine campagne. C’est ainsi qu’il teste IOC Calypso, une Metschnikowia pulcherrima sortie la même année, sur 5 000 hl. « Nous l’avons ajoutée à 8 g/hl lorsque les cuves étaient à moitié remplies, explique l’Å“nologue. Puis nous avons sulfité à 2 g/hl dix heures plus tard, lorsque les cuves étaient pleines, le temps que la levure s’implante. » Après cela, les moûts ont stabulé sur bourbes à 8 °C pendant cinq jours. « L’idée, c’était de révéler le potentiel aromatique en phase préfermentaire avec cette levure qui libère les thiols variétaux grâce à son activité béta-lyase », souligne Frédéric Cauquil.
Cette fois, pas de départ en fermentation. « Après stabulation, on a levuré avec Sauvy, une Saccharomyces cerevisiae sélectionnée pour révéler les thiols. On a eu un vrai gain aromatique par rapport aux autres cuves », soutient Frédéric Cauquil.
Pour vérifier l’efficacité de Calypso, il renouvelle l’essai en 2023, cette fois en dosant quotidiennement les thiols variétaux. « Au bout des cinq jours, nous avons obtenu cinq fois plus de 3MH (thiol aux notes de pamplemousse et de fruit de la passion) et trois fois plus de 4MMP (notes de buis) qu’avec une stabulation sans bioprotection », affirme-t-il.
Puis sur deux cuves bioprotégées, il teste d’une part Sauvy et d’autre part une souche classique afin de s’assurer que Sauvy complète la libération des thiols. Bingo ! En fin de fermentation, il y a presque deux fois plus de 4MMP dans le premier cas que dans le second. « On obtient des vins avec des notes de buis et une grande fraîcheur, qui plus est en économisant des frigories car on a stabulé à 8 °C alors qu’habituellement il faut le faire à une température plus basse », assure Frédéric Cauquil.
Un résultat qui satisfait José Garcia. « Je ne vends pas ce vin plus cher, mais j’ai besoin de produire de bons vins pour avoir accès au marché, explique-t-il. Quand le produit plaît, on peut parler de prix. »
Dans le Bordelais, Marie-Laurence Porte, Å“nologue chez Enosens, teste des produits IOC depuis plusieurs années. En 2021, elle découvre la particularité de Calypso lors de son premier essai au Château Carbon d’Artigues, à Landiras. « Après pressurage direct, on a séparé un moût de sauvignon en deux pour bioprotéger le premier et sulfiter le second à 4g/hl. » Puis les moûts ont débourbé pendant 48 heures à 20 °C et les deux cuves ont été levurées.
« Sur les vins finis, on est passé de 40 ng/l de 3MH dans le témoin à 300 ng/l dans la cuve bioprotégée et de 3 ng/l de 4MMP à 20 ng/l, explique-t-elle. On a été surpris des résultats alors on a continué en 2022 et en 2023. » Mais avec des hausses moins spectaculaires, ce qu’elle explique par l’effet millésime. « La levure ne fait que révéler les précurseurs du raisin », souligne-t-elle. Cette année, elle prévoit de tester Calypso sur des vins rouges « pour, là aussi, révéler les thiols ».
D’autres levures de bioprotection révèlent les thiols. Stéphane Yerle, Å“nologue consultant, assure que Viniflora FrootZen, une Pichia kluyveri de Novonesis, possède, elle aussi, cette propriété. Il l’a testée en 2023 à la cave Anne de Joyeuse, à Limoux. Pour son essai, il a séparé un moût de sauvignon blanc débourbé à 400 NTU en deux cuves de 180 hl. Le premier moût a subi une stabulation sur bourbes à 8 °C pendant cinq jours avant d’être levuré. Le second a été ensemencé avec FrootZen à hauteur de 10 g/hl puis levuré 20 heures plus tard.
Et pour exprimer tout le potentiel de FrootZen qui a besoin d’oxygène, « nous avons maintenu 2 mg/l d’oxygène dissous dans la cuve bioprotégée en y injectant de l’oxygène et en la brassant », détaille Stéphane Yerle. À l’arrivée, on obtient un vin avec des notes exacerbées de fruit de la passion et de pamplemousse. » Là encore, Stéphane Yerle souligne le gain énergétique : « En moins de 20 heures, nous avons obtenu avec FrootZen la même intensité aromatique que dans le vin témoin après cinq jours de stabulation, sans avoir sulfité le moût. »
« Sur un rosé de malbec, on a eu beaucoup de thiols aussi, c’était assez déroutant ! Cela nous offre des pistes pour travailler sur des profils de rosés thiolés que l’on assemblerait avec des profils esters », explique Stéphane Yerle, qui compte renouveler ces essais en 2024.
Autre avantage de la levure IOC Calypso : elle consomme de l’oxygène. Un constat partagé par Marie-Laurence Porte, Å“nologue chez Enosens : « Cette levure protège autant de l’oxydation qu’un sulfitage normal, mais on ignore encore pourquoi. J’ai fait des mesures des composés oxydables, d’oxygène dissous et de DO420 pendant trois ans et sur deux cépages : je mesure moins de composés oxydés avec Calypso qu’avec le SO2 et la couleur tient mieux. »