vec le réchauffement climatique, la récolte est devenue une véritable course contre la montre. « Les vignerons se font de plus en plus surprendre par la vitesse de maturation des raisins, rapporte Karine Antigny, Å“nologue-conseil ES20 Œnologie, à Béziers. Tous les cépages mûrissent en même temps. Or les chais ne sont pas toujours prêts à temps pour les recevoir, et certains vignerons sont à peine rentrés de vacances qu’ils doivent déjà vendanger. En conséquence, ils rentrent des syrahs au-delà de 15° potentiels, et voient apparaître des arômes de pruneaux en fin de fermentation. »
Ces notes de fruits cuits, Alexandre Pons, chargé de recherche à l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV) de Bordeaux, les connaît bien. D’après lui, si on veut les éviter, il est clair qu’il faut à tout prix récolter avant que les baies flétrissent. Et il plaide pour une précaution supplémentaire. « La principale molécule responsable de ces arômes de fruits cuits est la MND, explique-t-il, dont la concentration dans les baies peut exploser en 8 à 15 jours en cas de très fortes chaleurs. Le merlot est le cépage qui y est le plus sensible, mais le grenache et la syrah ne sont pas épargnés. Au même titre que le pH et le degré potentiel d’alcool, le dosage de la MND dans les jus peut être un bon indicateur pour fixer la date de la récolte et éviter les problèmes de surmaturité. »
Selon Karine Antigny, la première solution consiste à « ramasser la syrah à 14° potentiels au lieu de 15 ». Et de souligner : « Il faut ensuite adapter la vinification, car à 14° potentiels, la maturité phénolique n’est pas toujours atteinte et on risque d’extraire de l’astringence. »
D’après Tatiana Paricaud, Å“nologue des laboratoires Dubernet, à Narbonne, si la vendange est trop mûre, il faut « fermenter en dessous de 25 °C, voire entre 18 et 20 °C, de façon à chercher des notes fermentaires qui prendront le dessus sur les arômes de pruneau et qui les masqueront ».
Alexandre Pons rappelle que la molécule MND est un marqueur d’oxydation. « Un vin aux notes de fruits cuits sera plus sensible à l’oxygène et s’il n’est pas correctement protégé, cette tonalité ne sera qu’amplifiée au cours de l’élevage et de la conservation. » Ainsi, il recommande de ne jamais laisser une cuve en vidange, et de s’assurer de la bonne teneur en SO2 au cours de l’élevage. Le choix du bouchon doit également avoir été réfléchi au moment de la mise en bouteille. « Un bouchon perméable à l’oxygène va favoriser l’amplification des arômes de fruits cuits au cours du temps. Il vaut mieux donc opter pour un bouchon technologique, dont on connaît la perméabilité. »
« Une fois que les arômes de fruits cuits sont là , il est quasiment impossible de s’en débarrasser, assure Paul-André Saulnier, Å“nologue-conseil ES20 Œnologie. Une bonne précaution serait donc déjà de ne pas ajouter les jus de presse aux jus de gouttes. On sait d’expérience qu’après six à huit mois d’élevage, des arômes de fruits cuits peuvent ressortir sur les jus de presse, alors qu’ils étaient indétectables en fin de fermentation. En cas de doute, il vaut mieux élever les vins de presse à part. »
Paul-André Saulnier poursuit : « S’il n’a pas été possible d’empêcher l’apparition du défaut, la solution est d’essayer, tant bien que mal, de le masquer. Soit par l’ajout de copeaux au cours de la FA, soit par un élevage en fût assorti d’une chauffe légère, soit par un collage à la bentonite qui va ramener de la tension, soit en acidifiant afin d’apporter de la fraîcheur. Un assemblage avec des vins aux arômes de fruits frais, vinifiés avec l’une de ces nouvelles levures révélatrices de thiols, constitue une autre une piste à explorer ». Reste à voir si ces masques tiendront dans le temps, ou s’ils finiront par tomber.
La MND, ou 3-méthyl-2,4-nonanedione, est une molécule qui, à faible concentration, rappelle l’anis et le menthol, mais au-delà des 62 ng/l évoque davantage le pruneau. Alexandre Pons, chargé de recherche à l’Institut des sciences de la vigne et du vin, précise : « Dès lors que la teneur en MND frôle les 100 ng/l, les arômes virent aux fruits cuits. D’où l’importance d’en faire un marqueur du suivi de la maturité afin de fixer la date de récolte. La MND n’est toutefois pas la seule responsable. Des composés de la famille des lactones sont également impliqués, notamment la gamma-nonalactone qui, au-delà de 80 microgramme/litre, suscite des arômes de pêche et d’abricot confiturés. »