u domaine de la Présidente, à Sainte-Cécile-les-Vignes, dans le Vaucluse, Simon Gauthier, l’œnologue, privilégie les douelles pour ses rouges. « Après la fermentation malolactique (FML), quand le vin est propre, j’immerge un assortiment de douelles pendant six à huit mois : des bois de 7 mm de chauffe légère pour rehausser le fruit et des morceaux de 18 mm de chauffe moyenne pour apporter de la structure. En deçà de six mois, les douelles n’apportent quasiment pas d’arômes, hormis un effet “planche” sur les vins, or ce n’est pas ce que l’on cherche à la dégustation. »
En revanche, les copeaux ont sa préférence pour la vinification de ses blancs. « Je les ajoute dès le démarrage de la fermentation alcoolique, décrit-il. C’est plus pratique et ça permet de travailler tout de suite sur les équilibres. Ça empêche l’apparition de goûts végétaux et d’amertume en fin de fermentation. On utilise des copeaux de chauffe légère pour apporter de l’acidité et de la salinité au vin. Le contact pendant la fermentation alcoolique suffit. Et si besoin, je le prolonge pendant deux semaines après le soutirage. Ce serait impossible d’avoir le même résultat avec des douelles en si peu de temps. »
En Provence, un autre œnologue, qui souhaite rester anonyme, partage cette idée. Il se tourne vers les copeaux pour ses vins blancs et rosés car les délais sont très courts. « Nous récoltons les mourvèdres fin septembre. Or les vins doivent être prêts pour l’assemblage début décembre et la mise en bouteille doit se faire avant la fin de l’année. Il faut donc extraire rapidement les composés du bois. Avec les copeaux, c’est possible, pas avec les douelles. J’emploie des copeaux frais sur les blancs et les rosés après débourbage et avant la fermentation alcoolique pour sublimer les thiols et les arômes fruités. »
Jean-François Pasturel, le directeur technique de Demazet Vignobles, à Morières-lès-Avignon (Vaucluse), voit les choses autrement. À chaque vendange, il aime jouer avec les copeaux et les douelles selon ses cuvées, leur temps d’élevage et le millésime. « Pour nos viogniers, grenaches blancs et clairettes, on utilise uniquement des douelles de la fermentation alcoolique jusqu’à la mise en bouteille, détaille-t-il. On les laisse sept mois en contact avec ces vins pour apporter du volume en bouche et des arômes de fruits. »
Et pas de copeaux ? « J’ai déjà fait des essais : les effets ne sont pas comparables, répond Jean-François Pasturel. Avec les copeaux, on obtient un côté bois dur, très asséchant, même après des périodes de contacts très courtes. Alors qu’avec des douelles, les arômes sont plus fondus, les vins plus frais et plus fruités. »
Pour ce millésime 2023, Jean-François Pasturel vinifie deux cuves de blancs de 40 hl, avec des douelles de formats et de chauffes différentes. Pour l’une, ce sera du bois frais de 7 mm d’épaisseur et pour l’autre 18 mm et une chauffe légère. « À la dégustation, après débourbage, la deuxième cuve a révélé une légère amertume et une certaine rugosité en bouche, sûrement dues à un pressurage trop intensif. On a donc choisi des douelles plus épaisses avec une chauffe plus marquée pour aller chercher des notes toastées et tenter de gommer cette légère amertume », justifie-t-il.
Pour ses rouges, Jean-François Pasturel procède différemment : il ajoute entre 2 et 6 g/l de copeaux à l’encuvage, pour toute la durée des fermentations, puis il bascule sur des douelles d’octobre à août de l’année suivante, pendant l’élevage. « Même lors d’un contact prolongé, avec les douelles, il est difficile d’obtenir la sucrosité qu’apportent les copeaux, observe-t-il. En revanche, les douelles font fondre les tanins et apportent des arômes boisés et toastés après un contact prolongé. L’idéal, ce sont celles de 27 mm légèrement chauffées. »
Sur les hauteurs de Cadillac, à Escoussans, Benoit Dubourg, gérant des Vignobles Dubourg, décide en fonction des vins auxquels il a affaire. « J’utilise des copeaux après la FML pendant deux ou trois mois sur des vins rouges pauvres en tanins et auxquels il faut apporter du volume et de la sucrosité. Pour les vins plus taniques, j’emploie des douelles de 18 mm pendant neuf à dix mois d’élevage. »
Mieux vaut utiliser des copeaux que des douelles lorsqu’on veut apporter de la sucrosité à un vin. C’est ce qui ressort d’une étude publiée en février dans la Revue française d’œnologie. Des chercheurs de Seguin-Moreau, de l’ICV et de l’Université de Bordeaux ont mesuré la vitesse de diffusion de trois composés du chêne – les QTT qui contribuent à la sucrosité et au gras, la cis-whisky-lactone, aux nuances de noix de coco, et le furfural, un précurseur de l’odeur de café/toastée – selon que l’on utilise des douelles, des blocs ou des copeaux. S’il suffit de quinze jours de macération avec les copeaux pour que la teneur en QTT dans le vin dépasse le seuil de perception, il faut 7 mois avec les blocs et, au bout de ce temps, ce seuil n’est pas atteint avec les douelles. S’agissant de la cis-whisky-lactone, le pic d’extraction apparaît au bout de 2 mois avec les copeaux à 160 microgrammes par litre. Avec des douelles, après 7 mois de contact, on obtient tout juste la moitié de cette valeur. Quant au furfural, une molécule extraite uniquement des bois chauffés, on le retrouve dans le vin au bout de 3 mois de macération, à une concentration maximale avec des copeaux et à une concentration deux fois plus faible avec des douelles.