Inventif, curieux, aventureux et expert de la pulvérisation, Adel Bakache se plie en quatre pour répondre aux nombreuses sollicitations bordelaises, nationales et extra-européennes qu’il reçoit. Jeune trentenaire formé à l’ingénierie en agroéquipement dans son Algérie natale, il a suivi dès la fin de ses études le fil conducteur du machinisme et de la pulvérisation : en France comme en Afrique, de Moët & Chandon à la Chambre d’Agriculture de Gironde, en passant par l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) et la Compagnie fruitière. Il a même inventé Éval’Pulvé !
De la bulle à la goutte. S’il ne se destinait pas vraiment à plancher sur la pulvérisation, un module de Master sur les Indices de Fréquence de Traitement (IFT), les phytos Cancérigènes Mutagènes et Reprotoxiques (CMR) et la base Etophy puis son stage de fin d’études chez Moët & Chandon en 2013 sur le process qualité de pulvé l’auront propulsé dans l’univers de l’efficacité des traitements phytosanitaires. S’ensuit un contrat court à l’Irstea sur la mesure de la dérive. En parallèle, la Compagnie fruitière sollicite l’Institut pour améliorer sa pulvé aérienne. « C’est à ce moment-là que j’accepte de faire une thèse, se souvient-il. Du montage d’un labo et d’un pulvé expérimental sur voiturette de golf, le tout envoyé en conteneur au Cameroun en 2015, à la soutenance en 2018, c’était une belle aventure ».
Et une belle réussite. Les résultats de « l’effet de la pulvérisation sur l’efficacité des traitements contre le développement de la Cercosporiose noire du bananier » suscitent des demandes d’expertise et de calibration d’avions de la Compagnie fruitière. Projet qu’il accepte avec l’appui de la société de conseil de son frère, lui-aussi agronome. Ce fut l’opportunité de connaître ensuite les cultures de Côte d’Ivoire et du Ghana. Puis Adel Bakache choisit de revenir « les pieds sur terre », au plus près des pulvérisateurs viticoles, à la Chambre d’Agriculture de Gironde. Humble, il oublierait presque de mentionner ses participations à la base de données sur le matériel Matévi, à la labellisation Performance Pulvé et surtout l’adaptation de son invention Éval’Pulvé à la vigne. « Le principe repose sur un boîtier que j’ai fabriqué pour le bananier, décrit-il. Il suffit de pulvériser un produit fluo et de prendre en photo quelques feuilles avec le smartphone pour savoir comment régler le matériel ».
La suite ? « La pulvérisation par drone a de l’avenir. Il y a encore beaucoup de choses à faire. A mon sens, c’est complémentaire aux autres outils, c’est une cartouche supplémentaire ». Décidément, Adel Bakache se voit toujours dans les airs.
Est-il le plus bourguignon des Californiens ou le plus californien des Bourguignons ? Les deux vous répond dans un généreux éclat de rire Jean-Charles Boisset, qui ne cesse de tisser des ponts entre la culture française du terroir et la puissance américaine du marketing. Né au pied du Clos Vougeot, il dirige le groupe Boisset, ses domaines en Bourgogne, Beaujolais, Côtes du Rhône Nord et Sud... Sans oublier la Californie depuis 2003 et désormais la Provence avec la reprise de Moncigale, qui positionne le groupe sur le marché des vins rosés. Permettant de refondre son pôle d’activités méridionales, cette acquisition auprès de Marie Brizard Wines & Spirits aboutit à la création des Chais du Sud. Une bannière basée à Beaucaire pour réunir les activités de Moncigale, mais aussi de Skalli.
Séduit par l’approvisionnement mériodional de Moncigale, Jean-Charles Boisset y réunit ses produits et ressources humaines pour concilier marques et terroir avec une vision hybride des avantages de l’appellation française et du marketing américain. « Il est possible de créer des ponts entre marques et savoir-faire. Cela permet d’avoir 1+1 = 3. C’est très complémentaire » souligne le PDG.
Dans tous les cas, ses projets d’acquisition ont un point commun : s’appuyer sur des maisons historiques. Son portefeuille de marques s’appuie ainsi sur des dates de création remontant au XVIIIème siècle. Avec la stratégie affirmée de moins suivre que de créer le marché. « On continue à évoluer dans un contexte historique. Nos marques ont du vécu. Même en Californie on trouve d’anciennes maisons » souligne Jean-Charles Boisset, qui n’a, pour l’instant, jamais envisagé d’investissement à Bordeaux : « pour le moment, on se concentre sur axe Nord-Sud ». En France, mais aussi en Californie.
S’il est une mission que se fixe Iris Borrut, la directrice de l’association des Vignerons Engagés, c’est de décloisonner la filière vin. Souhaitant faire tomber les murs entre les vignerons de régions et de structures différentes pour qu’ils partagent leurs approches et enseignements concrets du développement durable, l’ingénieure agronome veut rendre accessible et agréable la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Assumant de pouvoir « passer pour un bisounours », Iris Borrut prône « la RSE dans la joie et la bonne humeur. Ce n’est pas juste un outil réservé aux grands groupes. Il y a un peu de formalisme, mais même les petites structures peuvent s’y inscrire. Cela donne un cadre collectif, permettant de ne plus être seul. »
Pour créer un effet d’entraînement dans toute la filière, la désormais cinquantaine d’adhérents du vignoble (caves coopératives et particulières) a ouvert ses portes à des fournisseurs, négociants et distributeurs. L’objectif étant d’élargir le spectre des débats, et donc des possibles. Travaillant à la co-construction de nouveaux modèles de production et de relation, Iris Borrut se donne pour objectifs en 2022 d’améliorer la visibilité de la certification. Ainsi que son identification comme un véhicule d’engagement simple et ouvert dans la démarche RSE. Sensible aux notions d’inclusivité, la dirigeante souhaite également faire avancer la diversité de la filière vin.
Originaire du Languedoc, Iris Borrut a rejoint il y a quatre ans le collectif des Vignerons Engagés pour retrouver du sens après des expériences dans de grands groupes agroalimentaires.
Il vise l’excellence sur sa propriété comme pour son appellation. Il croit à l’intelligence collective. Avec son frère Alexandre, Frédéric Chaudière dirige château Pesquié, 95 hectares « en bio et en biodynamie » en AOC Ventoux à Mormoiron. En juillet 2020, il est élu président de son appellation.
« En échangeant avec les adhérents, il m’a paru important d’amener un projet fédérateur, explique Frédéric Chaudière. On a beaucoup parlé de label bio, HVE ou autre. Il est apparu qu’une approche normative allait nous fragmenter plutôt que nous réunir. » Exit l’idée d’imposer à tous les producteurs de disposer, tôt ou tard, d’un label environnemental.
En novembre 2020, Frédéric Chaudière lance une consultation de tous les producteurs leur adressant un questionnaire « large et ardu, explique-t-il. Nous avons eu un foisonnement d’idées des vignerons. » Mai 2021, nouvelle consultation. Le projet fédérateur prend forme : définir la raison d’être de l’appellation. En juin, c’est chose faite. Une première en France.
« Réunis pour partager, protéger et cultiver le sommet du vivant ». C’est la raison d’être que se donnent les producteurs de Ventoux. En conséquence, ils s’engagent à protéger le vivant, à réduire leur impact sur le climat et à s’impliquer davantage dans la vie locale. S’en suit tout un plan d’action concrète et la mise en place d’un comité de pilotage dans lequel Frédéric Chaudière invite des personnes extérieures à l’appellation « pour amener des idées que les vignerons n’auraient pas »
« Mon élection a coïncidé avec la promulgation du parc naturel régional du Mont-Ventoux, souligne-t-il. J’y ai vu comme un symbole de l’action que je comptais mener. L’appellation Ventoux est dans deux parcs naturels et dans deux réserves de la biosphère. Notre démarche doit être exemplaire. »
Maîtrisant les codes des réseaux sociaux, le second de chai du domaine Plou et fils (75 ha en Touraine) est connu des plus jeunes pour sa chaîne @LeVigneron sur la plateforme TikTok (quasiment 500 000 abonnements). Titulaire d’un bac pro vigne et vin du lycée agricole d’Amboise et du BTS viti-œno du lycée agro-viticole de Blanquefort d’Émile Coddens (24 ans) enchaîne les vidéos virales sur l’application qui donne sa chance à tous les utilisateurs. « Ce ne sont pas les internautes qui vont chercher les infos, mais les infos qui vont tomber sur des gens qui ne les auraient pas forcément cherchées. Que l’on ait 5 ou 100 000 abonnés, on a tous une chance que sa vidéo devienne virale. Il faut juste que beaucoup de gens la regardent jusqu’au bout, commentent, partagent, s’abonnent… » indique le jeune homme, dont la première vidéo à atteindre le million de vues expliquait « pourquoi on crache quand on déguste du vin ».
Rendant accessible la culture du vin en ligne et en librairie (Le Vin, ça se partage aux éditons Équateurs), Émile Coddens répond également aux questions des jeunes sur les possibilités de travailler dans le vignoble. « Il ne faut pas avoir peur de s’intéresser au monde du vin. Toutes les écoles sont ouvertes. Ce n’est pas parce que l’on ne vient pas du milieu que l’on ne peut pas y réussir. Il faut prendre tout ce qui passe. J’ai fait des stages qui n’étaient pas intéressants, mais j’ai fait le dos rond » conclut-il.
Julie Davico-Pahin est diplômée du Centre de Formation des Journalistes (CFJ) en 2015. Elle entame une carrière de journaliste, mais un an plus tard elle quitte son poste pour co-fonder Ombrea avec Christian Davico, un horticulteur des Bouches du Rhône qui, à la suite de la sécheresse de l’été 2016, perd une partie de sa production. Ils imaginent ensemble l’outil Ombrea, des ombrières photovoltaïques permettant de protéger les cultures des aléas climatiques. Une technologie qui est aujourd’hui installée chez Hugues Gauthier, un viticulteur provençal. Ombrea compte à ce jour une équipe de 40 collaborateurs. En 2021, elle a réalisé une deuxième levée de fonds de 10 millions d’euros. Forte de son expérience, Julie Davico-Pahin s’engage fortement dans la promotion de l’entrepreneuriat. Elle est Présidente déléguée de la French Tech Aix-Marseille, siège au bureau de la Ferme Digitale et s’engage auprès des jeunes en formation. Elle est régulièrement sollicitée sur les sujets liés aux enjeux de l’agriculture durable, elle a à cœur de porter la voix des Greentech.
Antoine Nogier, 51 ans est à la tête de Sun’Agri. Cette entreprise pionnière de l’agrivoltaïsme a ainsi installé la première vigne sous persiennes photovoltaïque dans les Pyrénées-Orientales. Une parcelle dont le propriétaire Pierre Escudié a fait la première récolte en 2021. Ingénieur et économiste, Antoine Nogier débute sa carrière en 1997 comme consultant sur les questions d'accès à l'énergie dans les pays émergents. De 2000 à 2004, il délivre son expertise au sein d’Axenne, un cabinet de conseil spécialisé dans le développement durable et les énergies renouvelables qu’il a cocréé. En 2004, il devient consultant indépendant. Sa spécialité ? Les questions liées au changement climatique ou aux nouvelles technologies énergétiques. En 2007, Antoine Nogier fonde l'Observatoire de l'Innovation dans l'Energie (OIE), avec 10 acteurs majeurs de l'industrie énergétique. La même année, il fonde Sun'R, une entreprise productrice d’énergie solaire indépendante et dont Sun’Agri est l’une des divisions. Sun’Agri devrait réaliser prochainement d’autres installations de vignes sous persiennes photovoltaïques dans les Pyrénées-Orientales et l’Aude.
Il a mis une semaine à répondre à l’académie des Golden Vines Awards ! N’y croyant pas, Charles Lachaux a pourtant été élu meilleur jeune vigneron du monde, pour cette première édition 2021. Après un BTS viti-œno au lycée viticole de Beaune et une licence à l’Inseec de Bordeaux, Charles voyage et vinifie à l’étranger, en Oregon, en Afrique du Sud, en Nouvelle-Zélande et en Angleterre. Il découvre de nombreux vins dont ses préférés : ceux vinifiés en grappes entières. Dès 2012, il rejoint son père à la tête du domaine Arnoux-Lachaux et revoit le style de la maison, en vinifiant avec les rafles.
À la vigne, 14 hectares sur 15 appellations de rouge, Charles a aussi appliqué ses changements, remarquables, ne serait-ce que d’un point de vue visuel, à Vosne-Romanée. Depuis 2016, il ne rogne plus et a monté son palissage à 1,60 mètres de haut, en paisseaux (terme bourguignon pour échalas). En 2017, il demande la certification bio, pratique culturale déjà en place. Depuis 2019, il ne travaille plus les sols et accueille un petit troupeau de sept moutons.
Mais ce dont il est surtout très fier, c’est de son équipe, « mordue, volontaire et investie sans qui tout cela serait impossible », selon ses mots. Ayant la chance de déguster de vieux millésimes d’avant-guerre, Charles s’en inspire et souhaite, à travers la sixième génération qu’il représente au domaine, élaborer des vins « authentiques et frais malgré le changement climatique ».
Confier l’expertise du végétal et s’adonner à sa passion : faire du vin. Après six ans dans la commercialisation pour des maisons de négoce et trois ans de cogérance d’un domaine à Savennières, l’angevine Pauline Lair se jette à l’eau en retrouvant ses racines. Elle créé, en 2020, le chai urbain 1006vins (pour les 1006 km que parcoure la Loire) dans le quartier de la gare d’Angers. Découvert lors de vinifications en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, le concept de chai urbain a germé dans son esprit. Angers était son évidence pour concrétiser cette expérience.
Pauline y vinifie, depuis 2021, huit cuvées parcellaires, soit 40 000 bouteilles, de chenin, sauvignon, folle blanche, pinot gris, gamay saint-Romain, grolleau et cabernet franc. Elle achète les raisins auprès de viticulteurs ligériens du Muscadet, d’Anjou et de Touraine. Plus que des fournisseurs, elle les considère comme ses partenaires. Elle appose le nom de chacun sur les bouteilles correspondant à leur parcelle. La principale règle de son cahier des charges est simple : il faut que la parcelle soit en conversion ou certifiée bio.
Prenant le contre-pied du négoce traditionnel qu’elle connait bien, ce sont ses partenaires qui fixent le prix du raisin. Un négoce plus vertueux pour des couples cépage-terroir mis en valeur.
Les oiseaux ? Pour Brice le Maire, c’est une passion. Mais aussi un « outil sur lequel on peut s’appuyer ». Voilà pourquoi il installe des nichoirs au cœur des vignes et des vergers. Cet ingénieur agricole a toujours voulu concilier environnement et agronomie. « Pas facile de trouver un métier qui donne autant de place à l’un et à l’autre », sourit celui qui a voyagé quelques temps avant de passer plusieurs années dans une structure d’accompagnement à l’agriculture biologique, en Rhône-Alpes. Sa rencontre avec un ornithologue devenu paysan est décisive. En 2017, il lance les premiers chantiers collectifs pour installer des nichoirs à mésanges et à chauves-souris chez des arboriculteurs, puis des viticulteurs volontaires.
Derrière la beauté du geste, il y a un objectif agronomique : « une chauve-souris mange 100 000 insectes sur un été, et un couple de mésanges 34 000 ! » Avec sept nichoirs à chauve-souris par hectare et autant d’abris à mésanges, faites-le calcul… Devant le succès de ses chantiers, Brice crée une microentreprise en 2018, devenue SARL en 2020. Agrinichoirs, dont il est gérant à temps plein, a déjà équipé près de 500 hectares (majoritairement en vignes) de nichoirs, et son carnet de commandes est plein. « On ne perd pas de temps à faire de diagnostic, car on sait qu’il y a de moins en moins d’oiseaux et on sait pourquoi : autant garder son temps et son énergie pour agir ! » Il propose une prestation clé en mains : installation des nichoirs, géolocalisation et visite en fin de saison pour le bilan avec l’exploitant. Les nichoirs, construits en France avec des matériaux écologiques, sont « ultra-simples » pour être faciles à installer et peu coûteux, avec une durée de vie de 10 ans.
L’objectif pour 2022 ? Tenir la cadence sur les nichoirs… Mais aussi accompagner des créations de mares et d’hibernaculum destinés aux reptiles, amphibiens, libellules…
Agé de 42 ans, l’argentin Alejandro Lopez a fondé Piensa Wines en 2016, tout en étant maître de chai au château Gayon (18 hectares de Vignes en Entre-deux-Mers). Cette marque s’illustre par la création de vins jamais élaborés tels que la cuvée Wicked, un assemblage inattendu de vins rouges (65 % merlot et 5 % cabernet sauvignon) et de vins liquoreux (30 % de sémillon botrytisé). Mais avant de se lancer dans ce projet avant-gardiste, il a roulé sa bosse dans différents vignobles du monde : à Bordeaux, à Mendoza et aux États-Unis. Des expériences très diverses, qui l’amènent à exercer tant au vignoble, qu’au chai, au laboratoire d’analyses… mais aussi dans le domaine de l’export, du marketing et de la communication. Bref, il a une connaissance de l’ensemble des métiers de la filière, une vision globale qui le met aussi à l’aise dans une vigne que pour choisir des étiquettes.
Le profil est rare, ses vins tout autant, ancrés dans une approche personnelle très affirmée. « J’aime les émotions. Si j’ai la chair de poule en dégustant un vin, il y a de forte chance que celui qui le boit expérimente la même chose » explique-t-il. Et, poursuit-il, « je laisse la place pour que les consommateurs se fassent confiance et découvre les vins sans préjugés ». De quoi interroger quelque peu l’appellation. « Quand on présente un vin, on est jugé. Quand il y a l’AOC sur l’étiquette on est préjugé ! » Alors il questionne de nouvelles créations pour aller au-delà du classicisme. Comme Winestellation, avec ses assemblages de plusieurs millésimes pour allier jeunesse et évolutions, et Réminiscence, des microcuvées et essais atypiques (comme du sémillon ayant réalisé sa fermentation malolactique en barrique…).
Il en est persuadé : la cannette est un emballage d’avenir pour le vin au même titre que le Bib, il y a 30 ans. En misant sur ce contenant, « ma seule ambition, c’est d’amener de nouveaux consommateurs et des jeunes, à découvrir et à apprécier cette boisson qu’est le vin », explique Christian Maviel, propriétaire et PDG de Cacolac, qui a annoncé en 2020 investir 2 millions d’euros dans une chaîne de tirage du vin en cannettes.
A 50 ans, Christian Maviel dirige une entreprise de 49 personnes fondée par sa famille, qui l’a vendue en 2011, mais qu’il a rachetée en 2015. C’est dire s’il y tenait. « Je suis monté la première fois dans un camion Cacolac à l’âge de 3 ans, raconte-t-il. À partir de 13 ou 14 ans, j’y ai travaillé tous les été ». Quant à son lien avec le vin, il tient à son oncle qui possédait une propriété à Pompignac, à côté de chez ses parents, et à des amis œnologues, qui lui ont « ouvert des horizons, pas forcément à Bordeaux ».
Dès 1996, son père tente de tirer des vins en canette. L’expérience tourne court, car les vins cassent dans ces contenants, qui étaient en acier à l’époque. Mais l’idée reste. En 2012, lors d’un dîner avec un de ses amis œnologues, il se dit qu’il faut retenter l’expérience. Cette fois, il dispose de canettes en aluminium avec une double couche de vernis. Son ami vient l’auditer à sa réception de vrac et sa ligne de tirage, puis lui fait des recommandations pour éviter contaminations et oxydation.
Aujourd’hui, l’embouteillage de vin en cannettes est une prestation de service qui représente 15 % de ses 19 millions d’euros de chiffre d’affaire. Et il investit pour continuer à développer cette activité.
À la posture du sans, il préfère la culture du sens. Directeur général de Grandes Serres et de la maison Denuzière (négoce bourguignon Michel Picard), Samuel Montgermont s’est pris de passion pour le vin à vingt ans, après avoir rencontré un médecin passionné de vin qui lui a transmis le virus : non seulement de la dégustation, mais aussi de l’histoire, de la culture, du métier… Reprenant des études à Rennes et à Aix-en-Provence avant de travailler dans les côtes-du-Rhône, il se passionne progressivement pour l’assemblage. Du travail d’anticipation de l’approvisionnement à la commercialisation d’une cuvée finalisée.
Devenu président de l’Union des Maisons de Vins du Rhône et de Vin & Société en 2020, le musicien affirme et développe une vision réaliste de la consommation de vin. Notant que « la filière est très mature, on ne prône pas la consommation excessive d’alcool », le négociant prône un débat dépassionné et constructif : « nous n’avons pas de sujet d’addiction, le vin ne peut pas être relégué à la molécule d’éthanol ». Souhaitant ouvrir la discussion avec les détracteurs de la filière vin (n’utilisant pas le terme d’hygiéniste), Samuel Montgermont défend les bénéfices sociaux et économiques de la filière vitivinicole (attractivité des territoires, paysages façonnés et entretenus…). Mais « il ne faut pas tout casser sous prétexte de dénormalisation » pointe-t-il.
Faisant le constat sans appel d’une forte déconsommation du vin en France, Samuel Montgermont y voit l’occasion d’innover pour la filière. « Les modes de consommation changent. La déconsommation est flagrante et violente, par l’effet de la pyramide des âges. C’est l’opportunité pour le vin de s’adapter » conclut-il.
Situation saine et sereine dans le vignoble charentais. Mais si l’AOC Cognac enregistre en 2021 ses meilleurs chiffres de commercialisation, ses opérateurs restent toujours aussi modestes et prudents face à des données pouvant rapidement évoluer. « Nous regardons devant, avec nos objectifs, mais cela ne nous empêche pas de regarder derrière et de garder à l’esprit que tout n’a pas toujours été rose » indique Florent Morillon, le directeur des relations amont et des relations institutionnelles des cognacs Hennessy (groupe LVMH). Florent Morillon a bien en tête l’ampleur de la crise du vignoble charentais des années 1990, la situation du vignoble l’ayant poussé à ne pas s’installer sur le vignoble familial et à entamer une impressionnante carrière dans l’administration viticole (des couloirs de la Commission Européenne à la Chambre d’Agriculture de Charente), avant de rejoindre le premier producteur d’eaux-de-vie charentaises.
Si ce n’était pas le moment pour s’installer il y a 30 ans, la filière de Cognac est désormais aussi porteuse qu’attractive. « L’installation de jeunes hommes et femmes est une bonne nouvelle, avec l’arrivée d’expériences et de profils qui changent » pointe le nouveau président de la Fédération des Interprofessions de Charentes et Cognac. Investissant dans ses chais et distilleries, la filière charentaise renouvelle son vignoble et plante de nouvelles parcelles avec la boussole qu’est son Business Plan. Un outil de prévision des besoins du marché que Florent Morillon connaît bien, étant le chef de la famille du négoce au comité permanent du Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC).
« Un outil reconnu grâce au travail de nos prédécesseurs » précise Florent Morillon, qui note la nécessité de continuer à améliorer l’outil. Car si l’ouverture de nouveaux marchés le ravit, il ne cache pas son insatisfaction quand Cognac n’arrive pas à répondre à toutes les demandes. « À chaque fois que ce n’est pas du Cognac que l’on vend, c’est un autre spiritueux qui prend la place » regrette-t-il. Confiant, il compare la filière du Cognac à un paquebot : « on fixe un cap, en sachant qu’il y aura des coups de vent et des tempêtes pendant la traversée. Il faut être bien armé et tenir le cap. » Une orientation qui passe par l’accroissement du vignoble, mais aussi par le déploiement du développement durable dans le vignoble charentais.
Tombée toute jeune dans l’univers du vin, Alice Shaw s’est découverte entrepreneure « sur le tard ». La trentenaire énergique est déjà à la tête de deux entreprises « disruptives ». La première, Winederland – clin d’œil malicieux au célèbre conte de Lewis Caroll Alice au pays des merveilles (Alice in wonderland), propose depuis 2016 une dégustation à domicile et vente directe. Le seconde, Vinea Energie, offre de récupérer gratuitement les ceps arrachés et triés pour une valorisation énergétique. Lancée en 2020, la société familiale connait un développement fulgurant.
Fiez-vous à son nom. Le caractère d’Alice est de s’engager, suivre ses idées et relever les défis. Mme Shaw tient de son père anglais le goût pour le vin et l’aventure entrepreneuriale. « Le vin, je suis tombée dedans toute petite, confie-t-elle, amusée. J’ai dégusté à l’aveugle très tôt ! Puis j’ai travaillé chez des cavistes à Paris pour des petits jobs. La passion m’a guidé il y a 10 ans vers Bordeaux. Le BTS vins et spiritueux de l’Institut de promotion commerciale IPC m’a amenée à travailler comme guide dans les grands crus classés du Médoc ». C’est à ce moment qu’Alice Shaw, de coups de main en dépannages, se forme aux techniques de la vigne et du chai. Alors qu’elle était certaine de ne jamais créer d’entreprise quelques mois plus tôt, la néo bordelaise se lance et invente Winederland. « Ça m’a paru évident de créer l’activité. J’ai juste identifié un besoin, il y a eu une opportunité et j’ai eu envie de me lancer ». Vinea Energie suit la même logique. Avec l’ingrédient environnemental supplémentaire. « En me questionnant sur la planète que l’on va laisser à nos enfants, je me suis demandée comment je pouvais participer à diminuer l’impact carbone. Nous avons réfléchi avec mon mari et mon beau-père, co-fondateurs de Vinea Energie. Et un beau jour on s’est lancé dans le ramassage de ceps d’une vigne arrachée par une connaissance, avec un Jumpy. On a ensuite fédéré et grossi. Des proches nous ont aidé financièrement et des banques nous suivent. Aujourd’hui il y a 5 plateformes en Bordeaux – Charente. Demain, on vise plus loin » dit-elle avec malice. Car Alice est ambitieuse. Passerelle culturelle entre Yorshire et Bordeaux, entre filières du vin et de l’énergie, elle ne compte pas rester sur les acquis mais plutôt convaincre jusqu’à sortir et poser le vin sur la table, « ça met tout le monde d’accord ».
Si une réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) ne satisfait jamais à 100 % le vignoble, celle négociée mi-2021 pour 2023-2027 reste particulièrement équilibrée pour l’eurodéputée Anne Sander (Les Républicains). Négociatrice française pour le parlement européen, l’élue alsacienne a notamment porté en toute fin des discussions de trilogue européen (Parlement, Commission et Conseil) la possibilité d’évoquer les prix au sein des interprofessions. Un sujet fort pour les vins d’Alsace, qui a le souvenir cuisant des 380 000 € d’amende infligés pour entente sur les prix en 2020.
L’eurodéputée a également plaidé pour répondre à d’autre demandes issues du terrain : la création d’un droit à l’erreur administrative pour les aides européennes pour créer « une logique d’accompagnement et plus de sanction » note Anne Sander. Autres avancées notables, la victoire sur la prolongation jusqu’en 2045 du système d’autorisation de plantation, la possibilité d’intégrer des cépages hybrides/résistants dans les cahiers des charges d’appellations, la possibilité de désalcooliser des vins AOP et IGP, la création d’un nouveau cadre dématérialisé pour l’étiquetage des informations de nutrition et d’ingrédients…
Des dispositifs à mettre en place au niveau français, maintenant que le cadre de la PAC est acté pour les états membres note l’eurodéputée. Mais de nouveaux dossiers européens arrivent déjà, appelant à la vigilance de l’élue : le vote sur le plan cancer en séance plénière ce début 2022 au Parlement Européen (la commission spéciale considérant qu’il n’y a pas de niveau consommation d’alcool sans risque pour santé) et le suivi de la réforme sur Indication Géographique et Promotion (étudiée encourant d’année).
Issue d’une famille de houblonniers, Anne Sander a une connaissance fine de la politique agricole communautaire, ayant été l’assistante parlementaire de l’eurodéputé Joseph Daul, qui a présidé la commission de l'Agriculture et du développement rural au Parlement européen.
Cette année, le caviste Lavinia a pris un tournant stratégique majeur en choisissant de fermer son magasin historique du boulevard de la Madeleine à Paris pour ouvrir un magasin plus petit à Victor Hugo. D’abord conçu pour être éphémère, ce nouveau magasin devrait bien perdurer, car un bail de dix ans vient d’être signé. C’est Charlotte Servant, PDG de Lavinia, qui a pensé et organisé cette réorientation. La trentenaire négocie ainsi un virage osé, passant d’un espace s’apparentant à un supermarché du vin à une configuration intimiste. Mais ce virage, explique-t-elle, s’inscrit dans l’ADN de l’entreprise. « Lavinia c’est l’attention aux clients, une offre large en termes de services, de conseils, d’organisation d’évènements sur mesure. Pour cela, la Madeleine ne convenait plus, car trop démesuré. Victor Hugo permet la convivialité et l’intimité avec nos clients ».
La nouvelle boutique propose toujours une sélection pointue et le bar à vin offre la carte des vins d’exception et les conseils de sommeliers. Des fondamentaux qu’a su conserver Charlotte Servant dans ce nouveau lieu, tout en permettant de vivre la convivialité et le partage de connaissance du vin de manière plus qualitative. « Nous souhaitons poursuivre la construction du groupe Lavinia, tout en maintenant les valeurs qui sont à son fondement même : le respect du produit et le partage de la passion des vignerons » précisait Charlotte Servant en 2016, alors qu’elle annonçait reprendre le groupe au décès de son père, Thierry Servant, fondateur de la marque. En changeant de lieu, elle réussit ce pari. Et cette nouvelle stratégie pourrait même faire des petits dans d’autres quartiers de Paris.
Ne parlez pas d’« exploitation » viticole à Konrad Schreiber. Pour l’ingénieur-agronome de 60 ans, il est temps de passer à la « collaboration ». Entre les agriculteurs et leur environnement. Sa société La Vache Heureuse y veille chez les éleveurs. Et, désormais, sa filiale La Belle Vigne, créée en 2020 pour la filière viticole.
Konrad Schreiber a investi personnellement dans cette SAS. L’objectif : accompagner les vignerons vers l’agroécologie, en revisitant la gestion de leur vignoble, en totalité. Clivante pour certains, l’approche du consultant est essentielle pour d’autres. Dans le Bordelais, Claire Lurton, propriétaire des châteaux Haut-Bages Libéral et Ferrière, soutient La Belle Vigne dès ses débuts. Les châteaux Cheval Blanc (Saint-Emilion) et Anthonic (Médoc), ou David Duband (Bourgogne) font partie des propriétés conseillées par l’expert.
Son approche holistique comprend l’introduction d’arbres et de haies dans les vignes, une réflexion sur le matériel végétal, ou encore l’amélioration des modes de taille. Mais la clef de voûte reste, selon lui, la vie des sols. « Sol nu, sol foutu », martèle Konrad Schreiber au cours de ses nombreuses conférences. Son idéal : un vignoble à 100 % couvert par des végétaux, pour ramener de la fertilité et de la résilience. Mais pas que. « Les sols agricoles ont un potentiel de séquestration de carbone immense, qui n’est pas pris en compte dans les bilans carbone aujourd’hui ». Konrad Schreiber l’assure : « le carbone paysan sauvera la société ».
Disposer d’un matériel végétal sain, en quantité suffisante, qui réponde aux besoins d’adaptation aux changement climatique, à la réduction des intrants et qui résisterait aux parasites émergents. Tel est l’un des objectifs du plan national dépérissement du vignoble 2 que vient de lancer la profession viticole. A 51 ans, Giovanni Varelli, pépiniériste dans le Vaucluse, incarne pleinement cet engagement. Depuis 2019, il préside l’association Vitipep’s qui garantit l’origine France du porte-greffe, du greffon et du plant.
« Vitipep’s compte aujourd’hui environ 370 adhérents représentant 80 % de la production nationale. C’est une belle réussite. Nous avons beaucoup travaillé sur les aspects sanitaires. Désormais on va travailler sur la qualité physique des plants. Le cahier des charges de la marque Vitipep’s est évolutif ». Parmi les projets de la marque : recruter un ampélographe qui pourra intervenir chez les pépiniéristes adhérents en cas de besoin. L’objectif étant de garantir la pureté variétale. Et pourquoi pas à l’avenir avoir une branche de Vitipep’s qui certifiera la production française ?
Giovanni Varelli est très impliqué dans tout ce qu’il fait. Titulaire d’un BTS viti-oeno obtenu en 1992, il a d’abord travaillé quatre ans dans un domaine viticole en tant que caviste. C’est en épousant la fille d’un pépiniériste qu’il embrasse la profession, en reprenant en 1996 l’affaire de sa belle-famille située à Monteux (Vaucluse). Très rapidement, il s’engage au niveau syndical : d’abord au sein du syndicat des pépiniéristes du Vaucluse en 2001, qu’il préside depuis 10 ans, puis en 2003 au sein de la Fédération Française de la Pépinière Viticole, dont il est aujourd’hui l’un des vice-présidents. Mais Giovanni Varelli souhaite se concentrer pleinement à Vitipep’s. C’est la raison pour laquelle il glisse passer la main à la tête du syndicat du Vaucluse…
Dès son arrivée au palais Bourbon en 2017, l’élue du Tarn a intégré le groupe d’études vigne et vin en faisant campagne auprès de ses camarades députés pour « porter les problématiques de terrain de tous les vignobles, même modestes » se souvient Marie-Christine Verdier-Jouclas. Focalisant le groupe de travail parlementaire sur des auditions d’organisation de la filière et d’acteurs du terrain, la députée travaille étroitement avec les syndicats de métier, vignerons indépendants et coopérateurs, ayant l’« impression d’être en lien direct avec ceux que l’on rencontre en circonscriptions ». Pas de lobby dans cette approche pour la députée, qui « répond aux demandes justifiées qui permettent au collectif d’avancer ».
Parmi les sujets portés pendant son mandat avec son groupe d’études, la députée note les victoires concernant la fiscalité agricole (l’épargne de précaution incluant les stocks, et plus seulement le numéraire), le crédit d’impôt Haute Valeur Environnementale (HVE), le maintien du dispositif d'exonération de charge sur le travail saisonnier (TODE), des outils répondant aux difficultés commerciales de la crise covid (aides à la distillation de crise et au stockage pendant le premier confinement, un accès au fonds de solidarité lors de la deuxième vague…)… Sans oublier le travail sur le plan gel (dégrèvement de la TFNB, exonérations sociales…), toujours en cours : « l’enjeu est de finaliser les propositions du gouvernement, de faire le dernier kilomètre » souligne la députée, notant par exemple l’adaptation des exonérations de charges sociales pour permettre de continuer à cotiser pour la retraite.
Au-delà de ces réussites collectives, Marie-Christine Verdier-Jouclas espère avoir donner un autre éclairage politique au vignoble. En portant une « meilleure compréhension de l’impact social des 700 000 emplois faisant vivre l’économie locale, au-delà de l’importance économique de la filière dans la balance export » indique l’élue. À date, Marie-Christine Verdier-Jouclas souhaite être candidate aux prochaines législatives.
Le 30 mars 2021, un tweet signé Serge Zaka attire l’attention du monde viticole. Une carte météo, avec des températures négatives à venir en France. Et ce message : « catastrophe agricole en vue ? ». Une semaine plus tard, des gelées d’une ampleur inédite frappent un vignoble français désemparé.
Entre-temps, le docteur en agroclimatologie ajuste ses prévisions. Il publie des cartes de plus en plus précises, certaines mentionnant même les risques de dégâts sur bourgeons éclos. La filière apprécie. « Il s’agit de prévisions agroclimatiques, c’est-à-dire des données météo associées à la phénologie du végétal. Ce type de cartes n’existaient pas jusqu’ici. Je me suis rendu compte qu’il y avait un besoin. »
À tel point que le chercheur de 32 ans a lancé en 2021 un projet avec son entreprise ITK, spécialiste du numérique dans l’agriculture. Son nom : Prevent. Cet outil de cartographie, destiné à estimer les pertes de rendements en cas de gel, doit être commercialisé en 2022.
De plus en plus plébiscité par les médias et approché par le ministère de l’Agriculture, Serge Zaka voit son emploi du temps s’étoffer. « On commence à écrire l’avenir de l’agroclimatologie. Mais nous avons un retard à combler, car les phénomènes extrêmes se multiplient déjà.» Des aléas climatiques qui n’ont pas plus de secret pour l’expert. En particulier les orages, qu’il chasse avec son appareil photo. Une passion qui lui a valu le prix de « photographe météo de l’année » en octobre 2021. Sa seconde prouesse d’anticipation de l’année.