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"On ne peut pas laisser mère nature gérer la filière vin"
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Gérard Bancillon
"On ne peut pas laisser mère nature gérer la filière vin"

Faisant de l’équilibre entre l’offre et la demande l’alpha et l’oméga de la stratégie du vignoble, le président des vins IGP plaide pour la mise en place de réserves interprofessionnelles basées sur l’historique de commercialisation, l’étanchéification avec les AOP, un plan social des opérateurs dans l’impasse…
Par Alexandre Abellan Le 26 juillet 2023
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« Les grosses masses de consommation qui écoulaient tout le vrac disparaissent » prévient Gérard Bancillon. - crédit photo : DR
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ans votre dernier communiqué de presse (voir encadré), on sent le regret de ne pas avoir été écouté quand vous pronostiquiez fin 2020 une crise viticole se traduisant aujourd’hui par distillation et arrachage…

Gérard Bancillon : Tout le monde pensait que l’on était trop alarmistes, trop catastrophistes. Alors que l’on était dans la réalité du terrain. Ce que l’on sentait arriver s’est réalisé. Depuis la distillation de 2020, et même avant, on sent que le marché n’a pas la capacité d’absorber tous les volumes. En 2020, il y a eu 2,6 millions d’hectolitres distillés. Quand nous sommes arrivés en 2021, le gel a réduit de 7 millions hl la récolte, tombant à 37 millions hl. Il y a eu un peu de tension sur les blancs, mais rien sur les rouges. Malgré la perte de production, les stocks ont permis de passer l’année : c’était alarmant. Arrive la vendange 2022, dont 4,4 millions hl demandent la distillation [en 2023] : soit 10 % de la récolte française, et même 20 % si l’on estime qu’il s’agit principalement de vins rouges (il y a aussi un peu de vins rosés). Ces 20 % correspondant à ce que l’on entend des négociants : les parts de marché diminuent et ils n’achètent plus qu’à leurs partenaires historiques. En Languedoc, on parlait de -10 à -15 % de réduction des achats sur la prochaine campagne, on serait plutôt à -20 %. Il faut savoir se poser les bonnes questions.

 

Quelles sont vos réponses ?

Quand j’entends des vignerons se réjouir du mildiou qui réduit la production de Bordeaux, je me dis que l’on ne peut pas laisser mère nature gérer la filière vin, il faut avoir une vraie vision industrielle. Chaque fois qu’il y a un aléas climatique, ça permet de passer une année en écoulant les stocks, mais pas avec des prix construits. Nous avons deux problèmes : une consommation en chute libre (démographiquement, les grosses masses de consommation qui écoulaient tout le vrac disparaissent) et d’autres modes de consommation (les gens prennent moins de roquefort, il boivent moins de vins rouges…). Si l’on ne se penche pas sur ces problèmes en les ciblant, il y aura un vrai séisme sur l’entrée et le milieu de gamme (les grands vins sont épargnés, touchant des amateurs et épicuriens). Les solutions ne seront pas nationales, mais régionales, chaque bassin ayant ses problématiques.

Rechercher l’équilibre entre l’offre et la demande est la solution. Comme l’OPEP réduit sa production de barils de pétrole dès que la demande se réduit, et maintient sa rentabilité. Il faut tendre vers le modèle champenois en se réglant sur les sorties du marché. J’appelle de mes vœux la création dans les interprofessions d’outils de régulation, comme le BIC d’Inter-Oc et le VIP2C d’Inter-Med qui se basent sur les références historiques de vente pour donner des quotas adaptés chaque année au marché. Réduire les rendements est idiot : c’est rendre plus pauvre ceux qui sont dans la misère et rendre moins performants ceux qui marchent bien. Que chacun produise selon ses capacités de mise en marché et selon les tendances de consommation. Il n'y a que ça qui marchera.

 

À part la réserve interprofessionnelle basée sur un historique de commercialisation, quelles sont vos autres propositions ?

Il faut aussi réduire les autorisations de nouvelles plantations dans les zones en difficulté : face à la dégringolade, c’est incompréhensible de continuer à planter. La deuxième distillation doit permettre d’identifier les opérateurs dont les produits ne correspondant pas aux marchés. Je ne dis pas que leurs vins sont mauvais, mais ils ne sont plus consommés (comme les rouges très structurés). Il faut aider ces opérateurs en difficulté pour les aider à sortir du métier (mesures sociales de préretraitre…). L’étanchéité entre AOP et IGP est aussi importante. Il faut arrêter cette folie de systématiquement basculer de gros volumes d’un segment en difficulté à un segment qui marché. On dégrade toujours la valeur au final. Les IGP sont touchés, mais aussi les AOP : je ne prêche pas que pour ma paroisse.

 

Vous évoquiez de légères tensions sur le marché des vins blancs. Vous ne croyez pas dans le développement durable de leur demande ?

Il y a un risque de problème sur les vins blancs avec l’entrée en production des 10 000 hectares de nouvelles plantations de Cognac. On voit que le vignoble charentais ralentit déjà, alors que seulement la moitié de ses nouvelles surfaces sont en production. Cognac est un colosse aux pieds d’argile, dépendant de deux marchés : les États-Unis et la Chine. S’il y a arrêt, Cognac noiera le marché des vins blancs. J’espère me tromper et que l’avenir me donnera tort.

 

Le communiqué de Vin IGP : "On a toujours tort d’avoir raison trop tôt"

La Confédération des vins IGP a toujours été avant-gardiste dans ses réflexions sur la situation des marchés. Face à la crise que la filière traverse, il est indispensable qu’elle agisse et vite. La Confédération, par la voix de son Président, Gérard Bancillon et celle de son Secrétaire Général, Christophe Bou, avance ainsi des mesures à mettre en place. Souhaitons qu’elles soient entendues.

Nous sommes au regret de constater que les demandes de distillation pour 2023 atteignent 4.4 millions d’hectolitre.

Or, nous avons tiré la sonnette d’alarme dès l’automne 2020 au lendemain de la première mesure de distillation en signalant que les marchés n’avaient plus la capacité d’absorber la production. Hélas, nous n’avons jamais été entendus.

Puis, le gel de 2021 a fait oublier cette situation alarmante.

En juillet 2022, à la suite de notre rencontre avec le ministre de l’Agriculture, des divergences de vues au sein de la filière ont retardé la mise en place de la deuxième distillation ; ce qui a généré un effondrement du prix des marchés et par ricochet une perte sur l’aide à la distillation de 15 à 20 euros/hl pour les producteurs.

Les chiffres de la distillation prouvent que les problèmes sont bien structurels notamment à cause d’une consommation de nos produits en chute libre et des changements de modes de consommation. La filière ne doit plus être dans le déni face à cette réalité.

Aujourd’hui, la situation s’avère toujours très inquiétante. En effet, la distillation de crise ne sera pas en mesure d’absorber tous les vins en surstock (application de stabilisateurs). Il sera donc laissé sur les marchés des volumes non distillés et non contractualisés auxquels va s’ajouter une récolte certainement prometteuse (à relativiser à l’heure qu’il est avec la pression sanitaire rencontrée).

Nous pouvons donc nous attendre à un marasme économique au sein de notre filière (sauf si bien sûr et à demi-mesure Dame nature pallie notre manque de stratégie).

Que devons-nous faire face à cela ? Continuer à nous mettre des œillères ou agir ?

Bien entendu, la filière doit agir.

L’une des premières solutions est la création d’une étanchéité entre segments.

Il faut que chaque interprofession mette en place un outil de régulation (tels que le BIC d’Inter-Oc ou le VIP2C pour Inter-Med) qui prenne en compte les projections des marchés à venir. Seuls ces systèmes de régulation qui donnent à chacun des références de volumes commercialisés permettent à la fois de recalibrer l’offre à la demande et d’éviter le déversement d’un segment vers l’autre et donc la dégradation de valeur.

Dans le même temps, il est indispensable que chaque interprofession analyse finement ses marchés par couleur et tienne compte de la chute régulière de consommation afin d’être efficace.

Une autre solution est la limitation des autorisations nouvelles de plantations dans les régions où les marchés sont compliqués.

De plus, il est aujourd’hui indispensable de recenser les opérateurs qui ont distillé des volumes importants. En effet, ils n’ont pas ou plus la capacité de s’adapter aux attentes des marchés. Il faut donc les accompagner vers une sortie de métier grâce à des mesures sociales (distillation, arrachage différé ou définitif, etc) et ainsi faire en sorte que ceux dont les produits répondent aux demandes des marchés puissent vivre dignement de leurs productions.

Enfin, les initiatives qu’elles soient collectives ou individuelles en termes de recherche et d’innovation sur les produits (par exemple, bulles, no-low) mais aussi les contenants (par exemple, canettes, petits contenants) sont incontournables.

Cela passe aussi par un effort de communication sur les signes de qualité, sur le côté local de nos produits, ou tous les moyens permettant de leur apporter une valeur ajoutée.

En conclusion, nous appelons tous les acteurs de notre filière au sursaut et nous demandons une mise en place de ces mesures à très court terme. Sans cela, c’est toute une filière (avec ses emplois directs et indirects) déjà fortement fragilisée qui risque de s’effondrer.

 

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Tous les commentaires (3)
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Albert Le 27 juillet 2023 à 12:58:05
J'ecoute en ce moment (émission proposée sur France Inter, de 12h30 à 13h je pense) un reportage édifiant sur la tendance à la déconsommation d'alcool (voire > conso de boissons sans alcool). Je ne commenterai pas mais ce serait bien que le monde viticole change peut-être son disque dur.
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VignerondeRions Le 26 juillet 2023 à 09:43:39
Nous aussi ça fait des années qu'on explique qu'on va dans le mur. Nous avons des statistiques qui montre le nombre de mois de stocks qui monte en Bx rouge depuis 2016 (malgré 2017/2019 et 2021). Et parallèlement on continu pendant 5 ans à demander des autorisations de plantations nouvelles (2016-2020 + 1554 Ha pour Bordeaux Source journal officiel RF). Mais les autres regions font pareil, voir pire puisqu'elles en demandent encore en 2022/23. Et les représentants de l'État qui sont censé surveiller tout ça, on leur demande des comptes ?
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Dominique Le 26 juillet 2023 à 09:19:22
Enfin une prise en compte de la réalité ! M. Bancillon devrait mettre sur pied des séances de formation pour les dirigeants bordelais auto-intoxiqués par leurs propres salades. Cours n°1 : Faut-il prendre en compte le réel ou bien ses désirs. Cours n°2 : Tenir les institutions signifie-t-il qu'on peut déterminer le marché ? Cours n°3 : Bordeaux est-il le centre du monde ? Etc... Il y a du boulot pour vous M. Bancillon.
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