anvier 2020 rimera-t-il avec mois sans vin ? Le projet de l’agence Santé Publique France (ministère de la Santé) d’un premier « janvier sec » national est la cause de nouvelles tensions entre le gouvernement et l'ensemble de la filière des vins spiritueux. Cette campagne « remet en question la politique de santé publique favorisée jusqu’à présent par les autorités françaises, en substituant la notion d’abstinence à celle de modération » viennent de dénoncer huit organisations de défense des vins et spiritueux* dans une lettre adressée à Édouard Philippe, le premier ministre.
Après avoir pris le président de la République au mot de la co-construction de la politique de Santé (passant par la validation de nouveaux repères de consommation, le lancement de campagnes de prévention, les débats sur le pictogramme femme enceinte… sans oublier un ambitieux plan de filière), les représentants de la production et du négoce des vins et eaux-de-vie ne cachent pas leur déception face à l’idée d’une campagne de santé publique s’inspirant du modèle britannique du « dry January » (lancé en 2013 par une association anglaise anti-alcool, Alcohol Change UK).


« Ce changement de paradigme est incompréhensible. Aller vers un "janvier sec", c’est rompre avec l’idée que mieux vaut éduquer à la culture du vin qu’interdire » reproche Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons indépendants de France. Le vigneron audois soulignant que « ce message va culpabiliser les plus de 90 % de Français qui sont en dessous des repères de consommation. Mais ne va pas modifier le comportement de la minorité qui a une addiction. Et si pendant un mois on ne consomme pas, qu’est-ce que cela veut dire pour les onze autres mois, que l’on peut faire n’importe quoi ? »
« Le janvier sec est la goutte d’eau qui fait déborder un vase bien rempli » renchérit Éric Tesson, le directeur de la CNAOC. « Face aux arbitrages qui sont rendus en notre défaveur, l’ensemble de la filière interpelle la présidence de la République pour avoir son soutien. C’est une initiative rare, pour ne pas dire jamais vue » souligne Éric Tesson. Signé par dix représentants du vignoble et du négoce**, cette missive alerte le président Emmanuel Macron sur « un ensemble de circonstances mettant en danger la compétitivité et la pérennité de la filière vin ».
La liste des griefs allant de lla mise en place de Zones de Non Traitement (ZNT riverain) à la grogne sur les retards de paiement des aides à l’export (qui doivent cependant être résorbés d’ici un an), sans oublier le contrecoup commercial de la loi Alimentation sur le marché français (notamment les champagnes et bordeaux) ou le manque d’actions gouvernementales face aux revirements export successifs (soudaine surtaxation américaine, inconnues persistantes sur la stabilité douanière après le Brexit, ralentissement chinois faute d’accords de libre-échange…).


Face à cette bronca, les parlementaires du vin temporisent. « Je peux comprendre les craintes, elles sont normales, mais l’on apporte un soutien quotidien à la filière. L’impact des taxes américaines a été réglé pour Airbus, mais pas encore pour le vin, pour lequel on travaille à une résolution d’urgence. Les ZNT ne sont pas encore tranchées et s’exprimer dessus est prématuré. La loi Alimentation n’a pas encore d’effets dans les exploitations, mais il ne faut pas se focaliser sur les ventes en promotion de certaines grandes marques » explique la députée de la majorité, Marie-Christine Verdier-Jouclas.
Au nom du groupe d’étude vin, viticulture, œnologie qu’elle préside à l’Assemblée Nationale, l’élue tarnaise reconnaît que « la France a un vrai problème d’alcoolisme et que l’on est tous pour la prévention, notamment auprès des jeunes et des femmes », mais estime que « le janvier sec n’est pas le meilleur outil de prévention. Il déresponsabilise et stigmatise les producteurs qui n’ont pas été associés. C’est dommage, on retombe dans les travers de l’absence de concertation que l’on souhaite quitter… Nous allons écrire un courrier pour le notifier. »
Alors que l’idée d’un Grenelle de la viticulture reste sur la table (à la demande de l’Association Nationale des Élus de la Vigne et du Vin, ANEV). la filière vin compte mobiliser ses parlementaires dans les prochaines semaines sur le sujet d’un mois sans alcool en particulier, et tous les autres dossiers en général. Contacté, le cabinet de la ministre de la Santé n’a pas souhaité commenter la déclinaison française du « janvier sec ». Qui n’est pas sans rappeler la dénormalisation de la consommation de vin inscrite dans la Stratégie Nationale de Santé 2018-2022.
* : Il s’agit de l’Association nationale interprofessionnelle des vins de France (Anivin de France), la Confédération Nationale des vins et eaux-de-vie AOC (CNAOC), la confédération des Vins à Indication Géographique Protégée (vin IGP), le Comité national des interprofessions des vins à appellation d’origine et à indication géographique (CNIV), les Vignerons coopérateurs de France (VCF), les Vignerons indépendants de France (VIF), l’Union des maisons et des marques de vin (UMVIN) et évidemment Vin & Société.
** : Soit CNAOC, CNIV, Vin IGP, VCF, VIF, UMVIN, auxquels s’ajoutent l’Association Générale des Producteurs de Vin (AGPV), la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA), la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux (FEVS) et les Jeunes Agriculteurs.