uel est le moral des IGP ce mois de juin ?
Gérard Bancillon : Le moral est identique à celui du reste la filière, c’est compliqué partout, sur tous les segments. L’analyse je l’ai déjà faite il y a quelques mois, il y a quelques années, les marchés sont de plus en plus difficiles. Et ça s’est accéléré depuis 2 ans pour les IGP et le reste du vignoble. Je suis convaincu que c’est essentiellement dû à l’inflation. Ce qui touchait d’abord le monde du vin s’étend désormais à l’ensemble des secteurs économiques. Et ce sur la planète entière. Tous les gouvernements doivent trouver la solution pour redynamiser l’économie, pour remettre une pièce dans la machine. Nos vins faisant partie des produits non essentiels, nous avons été touchés en premier. Nous sommes des vigies
Le congrès est là pour dire qu’il ne faut pas s’endormir, qu’il faut trouver des pistes sur tous les circuits. Nous devons trouver des solutions pour nos vignerons. Nous faisons appels à des intervenants spécialistes dans leurs domaines pour creuser les pistes où ils voient des lueurs d’espoir. Nous devons trouver d’autres solutions, s’adresser autrement à nos clients, alors que le monde du vin reste très réfractaire aux évolutions. Les IGP sont au contraire très dynamiques et peuvent facilement changer. C’est notre ADN, allons pousser dans ce sens. Quand je parle à des interlocuteurs de la grande distribution, ils me disent que les bulles performent. Il ne faut pas rater le coche.
Les vins effervescents en IGP ont connu un coup d’arrêt prématuré avec les procédures judiciaires des crémants réduisant à peau de chagrin les bulles des vins de pays…
On a remis l’ouvrage sur le métier et il faudra voir avec les crémants ce qui est faisable, comme il y avait eu un accord par le passé. Il est incroyable qu’au niveau français on laisse la place aux proseccos et aux cavas qui s’éclatent. Il faut trouver une solution pour développer d’autres profils et d’autres types d’effervescents. Il y a de la place pour tout le monde. Parmi les pistes, il y a aussi les nouveaux packagings, le low alcohol et le sans alcool. Si cela représente actuellement peanuts pour le vin, mais ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières, ne loupons pas le coche. Les IGP ont une vraie carte à jouer. Nous voyageons léger et nous pouvons vite virevolter. Il faut juste en avoir l’envie, et nous l’avons à la Confédération.
Sur le marché du vrac, les choses sont plus lourdes. En IGP, nous sommes confrontés à d’autres pays comme le Chili et l’Argentine qui sont désormais à la peine. Il faut trouver des pistes pour la majorité [des vignerons] qui ne va pas arracher. Nous devons étudier les marchés sur lesquels nous sommes bons et ceux sur lesquels nous ne le sommes pas pour en tirer les conséquences. Il y a beaucoup de travail devant nous. Mais en tant que politiques, nous sommes là pour ça.
Ayant éclaté cet hiver, la colère vigneronne bout désormais sous le couvercle des travaux quotidiens du millésime. Va-t-elle exploser de nouveau après les vendanges, alors que les caves restent désespérément pleines ?
Je n’ai pas de boule de cristal pour dire ce qu’il va se passer après les vendanges. C’est globalement compliqué partout, il n’y a pas la même résilience qu’il y a 20 ans (les cours n’ont pas été suffisamment revalorisés, les rendements moyens ont chuté…). Il y a une fatigue après une combinaison de difficultés. Dans certains vignobles, les sept plaies d’Egypte leurs sont tombées dessus : ils produisaient essentiellement du rouge, ils ont enchaîné une cascade d’aléas climatiques (gel, grêle, sécheresse, mildiou…). Nous avons poussé à la roue l’arrachage pour trouver des solutions à ceux qui veulent quitter le métier. Les modalités et critères ne sont pas tous connus, cela dépendra de l’enquête de FranceAgriMer. Et il faut trouver des solutions pour la majorité qui va rester. Rien n’est jamais perdu. Regardons ce qu’il s’est passé pour le lait : il y a 5-10 ans on disait que c’était foutu… Quand on a touché le fond, on ne peut que remonter.
La filière a-t-elle touché le fond ? On peut craindre que le pic de la crise soit encore devant nous…
Que l’on soit clair, nous n’en sommes pas sortis. Il n’y a aucun indicateur disant que le beau temps arrive. Et tant que l’on n’aura pas éliminé une partie des volumes en rouges qui ankylose le système, tout le monde sera attentiste et cela handicapera la profession. Je suis persuadé qu’il y a encore des pistes. Le recul des ventes de vins rouges en IGP, c’est 25 %. Les 75 % qui restent trouvent des marchés à prix correct. Les rosés et les blancs fonctionnent bien. Il ne faut pas affoler les gens outre-mesure et ne pas complétement noircir le tableau. Nous devons voir plus loin. Comment valoriser ? Quelles sont les clés du succès sur les vignobles qui performent en France avec des revenus hectares rémunérateurs ? Peut-on s’inspirer d’autres filières ? Peut-on trouver des idées dans d’autres pays ? Il ne faut pas réinventer la poudre, mais s’inspirer de ce qui marche.
En février, vous partagiez la crainte d’un surplus de 5 millions hl de vins rouges dans les prochains mois, y est-on ? Si oui, quels sont les leviers pour apurer ce surstock, redonner de la vision et sortir de l’attentisme ?
On y est. Je persiste et signe : il y a a minima 5 millions hl de vins rouges à enlever. Ce n’est pas une découverte. Le but de notre congrès est de trouver des solutions. L’arrachage va permettre de déblayer le surplus, mais je ne sais pas sur quelle ampleur. Pour le reste, il va falloir changer les habitudes. Sur les rouges mettre peut-être plus de rondeur, de sucre, des bulles... Je suis persuadé qu’il y a des pistes.
S’il y a des profils produits à faire évoluer, il y a aussi des outils de contrôle à mettre en place pour équilibre l’offre et la demande, comme les réserves interprofessionnelles d’InterOc (le BIC) et d’InterVins Sud-Est (VPI2C).
Ce sont d’excellents outils. Quand on voit qu’en Alsace la DGCCRF a retoqué des échanges louables entre production et négoce sur le motif d’entente sur les prix, on se dit qu'il faut construire pour parler d'autres choses que prix minimum et Egalim. Nous ne pouvons pas nous contenter d'un SMIC pour nos vignerons, il faut être plus ambitieux. Le modèle des modèles, c’est la Champagne, qui a trouvé la solution en équilibrant le stock, la réserve… Le VIP2C et le BIC s’en sont largement inspirés. Pour réussir, nous devons être rigoureux, réaliste et appliquer le principe à la lettre en vérifiant chaque année où en sont les ventes. Sans hésiter à diminuer les références de chacun si le marché se réduit et être avant-gardiste. J’incite tous les présidents d’Organismes de Défense et de Gestion (ODG) à travailler au sein de leurs interprofessions avec les maisons de négoce pour construire de la valeur. Car la valorisation se partage à tous les échelons du métier : la production, le négoce, la grande distribution, le caviste… Il faut que chacun retrouve de la valeur ajoutée, c’est essentiel.
On ne peut plus se permettre, comme par le passé, de faire dévisser les prix quand ça ne consomme pas. La peine est alors double : les volumes ne sortent pas et les prix sont de moins en moins chers. Il faut vraiment mettre en place ces outils de régulation et les utiliser rigoureusement. C’est la rigueur qui fait que le système champenois tient. C’est une façon constructive de maintenir de la valeur ajoutée au sein du vignoble. Où que ce soit sur la planète, pour n’importe quelle matière première ou produit fini, c’est l’équilibre entre l’offre et la demande qui fait gagner ou perdre de la valeur. On ne peut pas réguler un marché des vins, que ce soit à l’international, ce n’est pas possible, ou que ce soit au national, il y a pratiquement autant de chapelles que de communes en France. Il faut que chacun travaille à sa valeur ajoutée par les outils de régulation.
En parlant de chapelles, alors que vous êtes issu de l’IGP Pays d’Oc, son ODG a suspendu sa participation à la confédération des vins IGP…
Pays d’Oc s’est retiré et c’est regrettable. Notre porte est ouverte, on sera amené à se reparler dans les années à avenir. Je suis encore jeune dans cette confédération, mais il y a déjà eu de tels soubresauts par le passé et Pays d’Oc est revenu.
Les tensions intestines sont-elles inévitables dans une filière en crise ?
Quel que soit le cadre, dès que l’on vit des crises, les gens sont tendus. C’est toujours regrettable, on espère que ça permettra à chacun de trouver des solutions. C’est toujours compliqué sur le moment.
Autres tensions et complications, savez-vous pourquoi vous avez été auditionné par la gendarmerie dans l’affaire d’intrusion du domicile de Jacques Gravegeal, le président de l’ODG Pays d’OC ?
Cette affaire étant concomitante avec le départ de Pays d’Oc de la Confédération, les services de police voulaient comprendre ce qui s’était passé. Je suis sorti dans l’heure. Je ne connaissais pas les personnes allées là-bas. Et je ne cautionne pas ce genre de comportements, que l’on soit clair. Pendant des périodes de souci économique, je ne sais pas qu’elle est la solution. Il faut éviter de faire n’importe quoi. Il est sûr que les tensions sont exacerbées. Nous ne devons pas en jouer et trouver rapidement des solutions à nos vignerons, nos vignobles et nos outils de production. Que l’on trouve de la quiétude.