Pour avoir participé à une entente sur le prix du raisin », l’Association des Viticulteurs d’Alsace (AVA), le Groupement des Producteurs Négociants du Vignoble Alsacien (GPNVA) et le Comité interprofessionnel des Vins d’Alsace (CIVA) sont sanctionnés par l’Autorité de la concurrence. Annoncées par communiqué ce 17 septembre, ces amendes s’élèvent à 26 000 euros pour l’AVA, 2 000 € pour le GPNVA et 348 000 € pour le CIVA. La peine prononcée contre l’interprofession est plus importante « pour avoir élaboré et diffusé des recommandations tarifaires sur le vin en vrac » rapporte l’Autorité de la concurrence, se basant sur des rapports de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF).
« Entre 2008 et 2017, l’AVA, représentant les producteurs, le GPNVA, représentant les négociants et vendeurs de vins, et le CIVA, l’interprofession, se sont concertés afin d’établir des recommandations, à l’issue de chaque récolte, sur les prix de vente du raisin et ce, pour chaque cépage alsacien (dont le Riesling et le Gewurztraminer) » détaille le communiqué, ajoutant qu’« à compter de 2013, ces mêmes prix ont été publiés dans une revue spécialisée » (voir illustration ci-dessous). L’Autorité de la concurrence ajoute que « l’interprofession a publié depuis 1980 des recommandations tarifaires sur le vin en vrac ».


« Je suis effaré par ce rendu de l’Autorité de la Concurrence. Je conteste, il n’y a jamais eu d’entente sur les prix du raisin en Alsace ! » réagit à chaud Jérôme Bauer, le président de l’AVA. « J'hésite entre la consternation et l'incompréhesion concernant les griefs qui nous sont reprochés » confirme Didier Pettermann, le président du CIVA. L'interprofession comme l'association des viticulteurs déclarent se réserver le droit de faire appel, après avoir pris le temps de la réflexion alors que les vendanges du millésime 2020 battent leur plein. « Il s'agit d'indicateurs de prix qui ne peuvent être qualifiés d'anticoncurrentiels » explique Didier Pettermann, qui souligne que les services de l'Etat demande ces chiffres pour calculer les fermages. Même absence d'effets négatifs pour Jérôme Bauer, qui souligne que les prix constatés sur la période incriminée « varient selon un écart-type de 30 %. Aucune entreprise ne pratique les mêmes cours ! L’Autorité de la concurrence ne comprend pas le fonctionnement du monde agricole… »
Reconnaissant avoir validé des recommandations syndicales de prix, le président de l’AVA revendique toujours leur bien-fondé : « nous sommes un syndicat de défense du revenu de nos adhérents. Quand la CGT, la CFDT ou FO demandent une revalorisation du SMIC, ça ne pose pas de problème. Nous voulons aussi pouvoir garantir un revenu aux viticulteurs ! » Jérôme Bauer souligne également que ces recommandations étaient connues de l’administration : « la DRAAF participait aux commissions paritaires de 2008 à 2013. Toutes les administrations, dont la DGCCRF, participent à nos assemblées générales, ils n’ont jamais dit que c’était illégal. »
Sourde à ces argument, l’administration indique que ces communications de prix entravent « le libre jeu de la concurrence sur le marché », comme « ces prix étaient publiés, chaque année au mois de décembre, au début de la période de commercialisation du vin en vrac et s’apparentaient ainsi à une consigne de prix ». D’où la décision d’arrêter des sanctions particulièrement lourdes*. Qui paraissent d’autant plus élevées que le précédent dossier en la matière avait abouti à une amende de 20 000 €. Il s’agissait en 2018 d’une sanction dans les Côtes du Rhône contre le syndicat général des vignerons réunis des Côtes du Rhône (SGVRCR) « pour avoir élaboré et diffusé entre 2010 et 2017 des consignes tarifaires » (cliquer ici pour en savoir plus).


En Alsace ou dans le Rhône, la grille de lecture administrative scandalise Jérôme Bauer : « aujourd’hui, comment voulez-vous gérer une AOC si l’on ne peut pas donner d’orientation de prix et des revenus ? C’est un sujet national, avec un combat à mener au niveau européen. » Dans la cadre des négociations sur la Politique Agricole Commune (PAC), des produits sous signes de qualité, dont les vins et spiritueux AOC, portent en effet une proposition d’évolution réglementaire qui leur permettrait d’insérer des clauses de partage de la valeur ajoutée dans les contrats interprofessionnels. Ce qui constituerait une entorse au droit de la concurrence, mais permettrait d’évoquer les questions de la juste rémunération.
En attendant, le couperet de l'Autorité de la concurrence n'est pas digéré par la filière alsacienne. « La crise met à mal toute la filière des vins d'Alsace. Nous avons besoin d'outils et d'indicateurs de prix, comme le défendait le président de la République dans la loi Egalim. Cette sanction est contre-productive » regrette Didier Pettermann, qui doit désormais faire le bilan comptable du CIVA pour connaître sa capacité à s'acquitter d'une si importante amende. « Les méventes dues au coronavirus sont déjà importantes. L'Etat nous demande d'investir alors que l'autre il nous sanctionne » regrette le viticulteur.
Exemple de publication des recommandations de prix dans la Revue des Vins d’Alsace (numéro spécial Vendanges 2015).