uel bilan tirez-vous de la mandature du parlement européen qui s’achève ? Les eurodéputés français ont-ils porté la voix et la défense des vignobles ?
Jérôme Bauer : Nous appelons collectivement à un changement de paradigme. La commission agriculture du Parlement Européen (ComAgri) s’est considérablement affaiblie sous la précédente législature au profit de la commission environnement (ComEnvi). Du côté de la Commission Européenne, le nouveau prisme de lecture est la durabilité sous l’angle santé et environnement, sans prendre en compte les dimensions économiques et sociales très positives de la filière. Sauf que nos Indications Géographiques sont durables !
L’un des messages que nous adressons aux politiques dans cette campagne d’appel à mobilisation est d’arrêter d’opposer les modèles. Certains députés l’ont fait mais nous avons encore du chemin à parcourir pour faire comprendre que nous ne sommes pas les ennemis de l’environnement, bien au contraire. La filière viticole a accéléré sa transition et certains vignobles sont presque 100 % certifiés au niveau environnemental. Ce que nous voulons dire aux candidats sur ce sujet, c’est que nous avons besoin d’appui pour aller encore plus loin. Autrement dit, nous proposons de renforcer les relais financiers, réglementaires et politiques dans la prochaine PAC pour soutenir la filière dans la recherche et l’innovation orientée vers la transition agroécologique.
Les candidats aux élections européennes du 9 juin se positionnent-ils sur les sujets de la filière vin ou est-ce tabou, au niveau sanitaire et écologique ?
Ce n’est pas tabou, mais il est clair que les enjeux de la viticulture ne sont pas suffisamment débattus dans cette campagne. Il faut quand même rappeler que, selon la dernière étude du Comité National des Interprofessions de Vins à Appellation d'Origine et à Indication Géographique (CNIV) de février 2024, la filière pèse 92 milliards d’euros soit 1,4 % du PIB français. Ça c’est concret ! Les programmes ne sont pas encore publiés, il reste encore une marge de manœuvre. D’où l’absolue nécessité de faire entendre notre voix et de dialoguer avec les responsables politiques.
Face aux débats européens portant de plus en plus sur la question de la dangerosité du premier verre de vin (textes BECA, MNT…), la filière vin est-elle audible ou pâtit-elle d’une image de lobbyiste défendant la consommation plus que la raison ?
Audible oui. En ligne non. Nous proposons de continuer à défendre la culture du vin et la modération. La santé n’est pas notre ennemie. La bataille de la modération nous l’avons gagnée en France. Le vin est passé de consommation alimentaire à une consommation plaisir et occasionnelle. La filière vitivinicole est unie pour lutter contre la consommation excessive de vin et s’est aussi engagée à mieux informer le consommateur via l’obligation d’étiqueter les ingrédients et la déclaration nutritionnelle des vins depuis le 8 décembre 2023. Nous demandons donc aux responsables européens de continuer à focaliser les politiques publiques européennes sur la réduction de la consommation abusive de vin et non sur l’apposition de messages sanitaires européens qui sont inefficaces et stigmatisants.
Quels sont les enjeux de la prochaine Politique Agricole Commune (PAC) ?
Il y a quatre enjeux qui se trouvent dans nos propositions dans le cadre de cette campagne pour les élections européennes.
Maintenir des règles spécifiques pour la viticulture dans la prochaine PAC : maintenir nos spécificités (comme le dispositif de régulation des plantations) et ne pas être noyés dans une réglementation horizontale. Mais il faut aussi bénéficier d’outils de gestion du potentiel de production (comme l’arrachage) afin de réguler nos marchés.
Reconsidérer nos vins AOC/IGP comme les pierres angulaires de la politique de qualité et donc de durabilité.
Défendre la culture du vin et la modération : privilégier l’approche modération non sur l’apposition de messages sanitaires européens.
Concilier compétitivité des exploitations européennes et protection de l’environnement : être préservés de la concurrence déloyale et donc de contraintes réglementaires supplémentaires entre les pays membres.
Pour tenir le coup face au changement climatique, Bruxelles doit-elle réformer la moyenne olympique qui encadre l'assurance climatique ?
Le sujet de l’assurance-récolte est central pour nous. Comment protéger notre filière et ses entreprises alors que le climat évolue très rapidement. L’assurance MultiRisque Climatique (MRC) est un très bel outil à condition qu’il soit adapté aux réalités de terrain, ce qui n’est plus le cas avec cette moyenne olympique qui pénalise beaucoup les exploitations touchées régulièrement par des aléas. Avec la multiplication de ces derniers, le seul système possible est celui basé sur le rendement “cahier des charges” ou un rendement qui ne prendrait en compte que les années dîtes “normales”... C’est ce que nous soutenons fortement auprès des parlementaires et nous espérons pouvoir sortir la filière de cette règle imposée par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Après, que ce soit au niveau français ou européen, nous activerons tous les leviers possibles…
Les eurodéputés ont-ils le pouvoir de ne plus laisser les vins et spiritueux français devenir des otages de choix dans les conflits commerciaux internationaux (des taxes Trump à l’enquête chinoise antidumping) ? Peuvent-ils amener de nouveaux accords de libre-échange ?
La filière vin a été touchée à de trop nombreuses reprises par des mesures de rétorsion ces dernières années… Certains pays comme les États-Unis ou la Chine ont compris qu’en touchant le vin, on touchait l’économie mais aussi l’identité de la France. Notre message aux eurodéputés est le suivant : la filière ne doit pas pâtir d’une politique française ou européenne protectionniste, ni des conflits commerciaux émanant d’autres secteurs. Donc favorisons une politique de libre-échange et soutenons financièrement la filière vin et spiritueux quand elle se retrouve au milieu d’un conflit économique !
« C’est inédit » clament CNAOC et Vin IGP, réunis ce jeudi 25 avril pour le Congrès de la CNAOC à Beaune en lançant leur campagne commune de communication : « la viticulture est un atout majeur pour la France et l’Europe. Soutenons notre filière ! » Les deux institutions française « apellent les candidats aux élections européennes à continuer à soutenir la viticulture à Indication Géographique lors de la prochaine mandature et pour la négociation de la PAC 2027-2032 » (Politique Agricole Commune). Cette plateforme commune est disponible sur un site dédié "Vignerons AOC IGP" et sera portée sur les réseaux sociaux (dont la plateforme LinkedIn).