lors que les marchés sont de moins en moins réceptifs aux vins à forts degrés, les nouvelles cuvées aux teneurs réduites en alcool se suivent et se ressemblent souvent dans leur TAV : 9°.alc. Juste au-dessus du niveau réglementaire définissant un vin : 8,5°.alc (en général, la moitié Sud étant limitée à 9°.alc pour les vins de France). Deux écoles se distinguent pour cette production de low alcohol : ceux désalcoolisant partiellement un vin de base et ceux produisant un vin naturellement faible en alcool.
Dans la première catégorie, l’objectif est de lisser l’incertitude du degré alcool par son pilotage technologique. On peut y utiliser l’osmose inverse, comme les vignobles Laur dans le Sud-Ouest qui lancent à partir de terroirs de Cahors la gamme "mon malbec désinvolte" en vin de France* : « lors du lancement, je n’avais pas connaissance que l’on pouvait le mettre en IGP. Nous avons fait déclasser nos vins en Vin de France avec le cépage malbec les trois couleurs » explique Ludovic Laur à Vitisphere. L’autre technique de désalcoolisation partielle est la distillation sous vide à faible température. Comme pour "les Voiles de l’Atlantique 9°" en IGP Atlantique (rouge, rosé et blanc pour un prix de vente conseillé de 7,30 €/col) de l’union coopérative Bordeaux Families qui mise sur « un marché en pleine expansion avec une augmentation de 7 % en 2022 et de 11 % en 2023 » et ne regrette pas d’avoir investi 2,5 millions d'euros dans une installation de désalcoolisation sous vide : « la demande augmente au point que nous allons vers la saturation de la capacité de traitement de notre équipement » témoigne dans la Vigne Philippe Cazaux, le directeur de la coopérative girondine, notant qu’« à la dégustation, peu de gens perçoivent qu’il est désalcoolisé. C’est un vin léger, très facile à consommer ».


Soit « l’alcool en moins, le plaisir en plus » comme l’annoncent les Maîtres Vignerons de Saint Tropez avec "9°" leur vin rosé IGP Méditerrané (assemblage de carignan et d’ugni blanc au PVC de 8,90 €). Utilisant également la distillation sous vide sur une base de vin à faible degré (la limite réglementaire étant de 20 % du TAV pour la désalcoolisation/correction du degré), l’union coopérative provençale se lance plus modestement avec 10 000 premiers cols. « Il y a une demande existante chez les cavistes et en GMS. Nous ciblons les 2 extrêmes : jeunes et séniors, les consommateurs irréguliers ou les consommateurs qui se sont détournés des alcools » note Frédéric Schaeffer, le directeur des Maîtres Vignerons de Saint Tropez, pointant qu’« en marge de l’aspect santé et bien-être, le changement climatique nous incite également à boire des vins plus légers pendant les fortes chaleurs ».
L’autre approche est celle de l’obtention directe d’un vin à 9°.alc, ses partisans voulant préserver les arômes qui se perdent lors de la désalcoolisation. C’est le positionnement de "Low Nat" qui se décline dans la gamme existante "Les Jamelles" (en vins de France avec les cépages chardonnay, sauvignon blanc, pinot noir, cinsault-grenache). L’origine de ce produit "naturellement bas en alcool" vient de l’intersection de deux demandes : « au moment où nous avons repensé notre offre bio pour la marque les Jamelles, en analysant l’offre [disponible] nous nous sommes aperçus qu’il y avait bien entendu un marché existant pour les vins bios, une demande pour des vins à plus faible degré, mais très peu ou pas d’offres qui combinent les deux » explique Jean de Tudert, directeur marketing de la maison Delaunay, qui gère la marque les Jamelles. Un défaut d’offre qui s’explique par l’impossibilité de désalcooliser en bio : « nous avons donc décidé de pousser le curseur afin d’explorer un segment encore nouveau et finalement où nous portons une offre produit quasi unique » ajoute Jean de Tudert, qui n’est pas sans ambition : « cette année 2024 est une année d’installation, mais nous espérons rapidement franchir un seuil à 6 chiffres dès l’an prochain ! »
De plus en plus visible, l’offre de vins à 9°.alc n’est pas nouvelle pour tout le monde. Depuis 2012, la coopérative des Vignerons de Buzet produit sa gamme "Nuage" (PVC de 6 €), « vin qui est naturellement à faible degrés d’alcool (récolte précoce et procédé naturel mis en place par nos œnologues) » indique la coopérative du Lot-et-Garonne. Avec 45 000 bouteilles de ce vin « au profil léger et sucré » commercialisées annuellement dans la boutique de Buzet-sur-Baïse, la gamme va bénéficier d’« un nouveau packaging plus frais dans le but de pouvoir le pousser davantage » auprès des clients, notamment en le proposant désormais en restauration (CHR) comme l’explique Sébastien Bourguignon, le directeur marketing de la cave. L’offre de Buzet se renforce d’ailleurs avec le lancement ce printemps de l’étiquette "les Gabares" par son négoce Rigal (colombard en IGP Côtes de Gascogne, PVC 8 €). « nous souhaitons développer cette gamme qui correspond parfaitement à la tendance marché » confirme Sébastien Bourguignon, qui n’est pas fermé à de la désalcoolisation partielle à l’avenir, voire même totale : « nous étudions toujours de nouveaux développement produit tout en cherchant à conserver notre ADN : un produit le plus "sain" possible ».
Cette ouverture aux vins totalement désalcoolisés n’est pas partagés par tous. « Pour le 0°, nous sommes sur un marché très opportuniste et complètement différent. On parle d’un vin à comparer avec une boisson à base de vin qui n’a plus aucun des critères du produit de base » réagit Frédéric Schaeffer, qui n’a pas de projet à court terme de vin sans alcool pour les maîtres vignerons de Saint-Tropez : « la qualité très médiocre des vins tranquilles à 0° est aux antipodes de notre savoir-faire et de l’image que l’on veut donner de notre métier. Mais il faut être attentif aux progrès faits en la matière. La technologie risque de très vite évoluer. »


Pour regagner des consommateurs et diversifier ses débouchés commerciaux face à la déconsommation, la filière vin parle plus de projets no que low alcohol, comme s’il était plus facile d’expliquer au consommateur ce qu’est un vin sans alcool par rapport à un vin à faible degré d’alcool. « C’est une question de perception. On a voulu créer une case dans laquelle ranger les vins à faible degré mais historiquement il a toujours existé des vins qui par leur cépage, région ou parti pris étaient plus faibles en alcool » analyse Jean de Tudert, pour qui « c’est un paramètre qui est maintenant pris en considération par les clients et qui va aussi être plus visible avec la législation en cours sur l’étiquetage nutritionnel. A notre avis le degré d’alcool est un paramètre dans un mix produit, mais le produit en lui-même doit porter plus de valeur. » Les Jamelles n’ont pas de projet sur le sans alcool, mais « nous gardons toujours les deux yeux ouverts bien entendu ». Au pays de la déconsommation, la moindre alcoolisation pourrait bien être partiellement ou totalement reine.
* : Un gamme à 6°.alc existe aussi, "mon malbec effronté".