l n'y a plus qu'à transformer les paroles en actes. Du négoce à la grande distribution, « tout le monde autour de la table est d’accord pour le dire : c’est inacceptable qu’un chef d’entreprise ne puisse pas vivre de son travail. C’est déjà un bon point de départ. […] Il faut tout construire de la façon dont on peut arriver à sécuriser un revenu décent pour le viticulteur » résume Allan Sichel, le président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) ce lundi 8 avril, lors d’un point presse à l’issue des 2h30 de réunion entre les 47 participants de la grande distribution (11 pour Auchan, Carrefour, Intermarché, Leclerc, Lidl, Système U…), de la filière bordelaise (28 de la viticulture, du négoce, du courtage et de l’intersyndicale) et de la préfecture (8 de la DDT, DRRAF, DREETS…).
Quitte à décevoir les espoirs du vignoble girondin placés dans cette réunion attendue, Allan Sichel ne le cache pas: « évidemment, c’est très compliqué dans le contexte de déséquilibre actuel de simplement apporter des solutions d’un coup de baguette magique. Le point crucial était la juste valorisation du travail des viticulteurs. » Le négociant indique à Vitisphere entendre « la déception des viticulteurs qui attendent aujourd’hui une réponse immédiate. Malheureusement, il faut que l’on revienne au réalisme de ce qui est possible. »


Allan Sichel ajoute qu’« aujourd’hui, il n’est pas possible de déterminer un prix minimum » et qu’il est nécessaire de mener un « travail d’exploration sur ce que l’on peut faire et les évolutions de la loi [nécessaires] pour déterminer une façon de calculer un prix qui soit reconnu comme un indicateur acceptable par l’ensemble de la filière. […] L’important est de se mettre d’accord sur l’intention : c’est acquis aujourd’hui, c’est déjà une belle étape. »
« Aucun des participants autour de la table n’est rentré dans la salle en ayant l’objectif d’un prix à la sortie » renchérit Bernard Farges, le vice-président CIVB. « Aucun des participants dans la salle n’est irresponsable au point d’imaginer que cette réunion allait déterminer ça. C’est de tout façon interdit » pointe le président du Comité National des Interprofessions de Vins à Appellation d'Origine et à Indication Géographique (CNIV), faisant référence aux condamnations passées d’une interprofession et un syndicat de vignerons sur le sujet (en Alsace et dans le Rhône).
En matière de meilleure valorisation des prix du vin, « cette réunion était un point de départ » indique Allan Sichel, afin de prendre contact avec la distribution (les prochains échanges doivent se structurer avec leurs fédérations : Fédération du Commerce et de la Distribution, FCD, et Conseil National des Centres Commerciaux, CNCC). Ce travail bordelais sur un contrat de filière va être complété par le travail d’un comité de liaison au sein du CNIV. Bernard Farges étant reçu comme président du CNIV par la ministre déléguée à l’Agriculture, Agnès Pannier-Runacher, ce mercredi 10 avril, pour évoquer les enjeux d’Egalim avec des délégations de Bordeaux et de la Vallée du Rhône (ayant utilisé les prix planchers par le passé et souhaitant retrouver cet encadrement).


Concrètement, l’objectif des futurs travaux bordelais est de « mettre en place un dispositif étayé par la loi qui permette de sécuriser un revenu suffisant pour le viticulteur. Aujourd’hui on n’a pas la réponse de manière définitive, mais ça s’inscrirait dans un contrat de filière : tous les opérateurs autour de la table sont d’accord pour travailler dessus » poursuit Allan Sichel, soulignant que « toutes les enseignes se disent animées par une bonne volonté. Je les crois. Ce qui peut les contrarier, c’est qu’un franc-tireur arrive à les court-circuiter sur l’achat/revente de vin à un prix inférieur aux leurs. Tout le monde veut tirer vers le haut, mais ils ont peur d’autres intervenants qui coupent l’herbe sous le pied aux mieux-disants. »
Devant être bâti ce printemps, le projet de valorisation des vins de Bordeaux appelle de nouvelles réunions. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin » soutient Étienne Guyot, le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine qui supervisait la table ronde et « pense qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud. J’ai demandé à l’ensemble des participants qu’un groupe de travail, composé de façon équilibré, puisse se réunir, où l’on reprend les points évoqués : question des contrats de filière, comités de liaison, indicateurs… Que puissent sortir des propositions à remonter au gouvernement dans le cadre de la préparation de la nouvelle loi Egalim. »


L’enjeu étant notamment de faire évoluer les modalités du contrat de vente entre le producteur et le premier acheteur, le contrat amont, explique Fabien Bova, le directeur général du CIVB, qui détaille : « comme nous travaillons à prix déterminé, il y a besoin de faire évoluer le texte pour faire grandir le lien entre indicateurs de prix (ou de coûts) et le prix effectivement payé au viticulteur. Actuellement, le lien n’est pas consistant. Il faut le renforcer pour avoir la promesse politique d’Egalim : une juste rémunération des agriculteurs. Actuellement, le job n’est pas fait. » Pour y arriver, « il faut faire des propositions législatives : ce que nous sommes en train de bâtir avec d’autres collègues » note Fabien Bova. Pointant que l’atmosphère parlementaire est propice (de la mission parlementaire sur Egalim à la proposition de loi des écologistes sur les prix planchers). Mais rappelant qu’il faut aussi permettre aux interprofessions de parler de prix pour éviter de se retrouver devant le juge (et l’Autorité de la Concurrence).
Durant la table ronde entre filière et GD, « toute la limite de l’exercice était évoquer des choses sans parler de prix » résume Stéphane Gabard, le président de l’Organisme de Défense et de Gestion des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur. Si rien n’a été clairement dit, le vigneron girondin espère que le message sur le rééquilibrage entre l’offre et la demande des vins rouges de Bordeaux est passé. Entre diversification (en IGP, crémant), réduction des stocks (par la distillation, campagne d’arrachage et très faible récolte 2023), « il n’y a pas de raison que la marche en avant des prix ne commence pas dès maintenant. Avant même un nouveau cadre réglementaire » plaide Stéphane Gabard.
Alors que des bas prix ces foires aux vins de printemps (promotions à 1,89 € la bouteille de Bordeaux rouge chez Lidl et à 1,66 € chez Carrefour qui vient de faire marche arrière) ont déclenché une succession d’actions vigneronnes inhabituelles à Bordeaux (du blocage de Langon le 29 janvier à la visite de plusieurs enseignes ce 29 mars), les interlocuteurs de la distribution ont indiqué ce 8 avril qu’ils avaient déjà planifié leurs opérations promotionnelles sur les 5 mois à venir. « Celles qui sont engagés, avec des prospectus publiés, il n’est pas question pour eux de revenir dessus » rapporte Allan Sichel, indiquant que « la filière accepte ça : il faut être réaliste. Les choses lancées iront jusqu’au bout. On veut d’ores et déjà planifier le travail pour la suite. »
Alors que l’émotion et les tensions restent fortes sur ces bas prix dans le vignoble, il n’est pas certains que les manifestations cessent sur de nouveaux petits prix affichés en linéaires. « Nous n’avons pas le temps d’attendre dans la campagne. Les prix bas vont continuer jusqu’aux foires d’automne » regrette Didier Cousiney, le porte-parole du collectif Viti 33, qui fait état d’un bilan positif pour cette « réunion novatrice, qui a permis de dire les choses en face. [A son issue] je vois de très bonnes volontés, mais je ne vois pas comment on va avancer. Je vais faire remonter aux viticulteurs ce bilan. On attendait des réponses. J’ose croire que dans les prochaines semaines il y aura une nouvelle réunion. Entre temps, la casse va se faire. Beaucoup sont au bout et ne vont pas tenir. »
Se voulant également « optimiste », le vigneron Renaud Jean, membre du collectif Viti 33, pointe que la réunion s’est bien tenue et que s’il y a « un prix encadré, tout le monde est d’accord ». Au contrat de filière, il verrait bien une Organisation de Producteurs pour le compléter, afin de pouvoir parler de prix et piloter la gestion des volumes disponibles. Une forme d’OPEP du vin de Bordeaux réplique-t-il à toute critique en idéalisme. IIl n'y a plus qu'à transformer les paroles en actes.
Pour les 120 ans de l’entente cordiale franco-britannique, la réunion entre opérateurs et distributeurs des vins de Bordeaux a veillé à ne pas déraper dans l’entente sur les prix. CIVB