doptée ce jeudi 4 avril à l’Assemblée Nationale à l’occasion de la niche parlementaire du groupe écologiste, la proposition de loi pour "Garantir un revenu digne aux agriculteurs et accompagner la transition agricole" aura suscité des échanges particulièrement musclés entre députés s’écharpant sur le sujet pendant deux séances, l’après-midi et le soir. Lançant aux écologistes un « je veux bien que vous vous rachetiez une conscience après avoir fait chier les agriculteurs pendant des décennies, mais ça ne marche pas ! » le député Bruno Millienne (Yvelines, Modem) poursuit avec « continuez l’agriculture biologique sur vos terrasses et foutez la paix aux agriculteurs ! » Pendant les débats, « nous avons entendu des propos condescendants et des leçons permanentes » réagit Dominique Potier (Meurthe-et-Moselle, Socialiste), répondant à la majorité que « la vérité est que le président de la République a parlé de prix planchers et que, depuis, vous êtes en mode panique. Vous êtes minoritaires dans l’hémicycle aujourd’hui et vous ne l’acceptez pas. »
Lors de sa visite houleuse au salon de l’Agriculture, Emmanuel Macron a en effet pris « un engagement ici. Il y aura un prix minimum, un prix plancher. C'est-à-dire que l'indicateur qui est défini dans une filière, on va repartir sur la construction du prix de l'avant, ce sera un prix plancher en dessous duquel le transformateur ne peut pas l'acheter et donc en dessous duquel, après, derrière, le distributeur ne peut pas vendre. » Prenant au mot ce cap présidentiel, « l’article premier de cette proposition de loi vise à protéger le revenu des agriculteurs en confiant aux conférences publiques de filière le soin de déterminer, par le dialogue, un prix minimal d’achat des produits agricoles qui ne puisse être inférieur aux coûts de production dans chaque filière, en prenant en compte la nécessité de dégager un revenu d’au moins deux Smic » détaille la rapporteure Marie Pochon (Drôme, Écologiste), pour qui « ce mécanisme répond désormais à une promesse du chef de l’État. Que l’on en soit heureux ou pas – et cela m’arrive souvent de ne pas l’être, je vous rassure –, sa parole publique compte, bien plus, elle engage. »
Mais pour le gouvernement, « le texte propose un dispositif inopérant et risqué pour les filières, comme la plupart d’entre elles nous le disent sans ambiguïté » répond Agnès Pannier-Runacher, la ministre déléguée à l’Agriculture, qui « répète que je souscris à l’ambition initiale du texte : les agriculteurs doivent vivre de leur travail et disposer d’un revenu suffisant pour s’engager dans la transition agroécologique ». Mais pour elle, « l’idée d’un prix réglementé fixé par l’État a été rejetée par votre assemblée il y a quelques mois » (lors de la niche parlementaire de La France Insoumise en novembre 2023) et « ce n’est pas à la loi de fixer les prix. Pardonnez-moi de vous le dire, mais il n’incombe pas aux députés de déterminer les prix qui ont cours dans un secteur économique donné ».
Soulignant qu’« il est matériellement impossible, dans le cadre d’un dispositif administratif centralisé, d’établir un prix unique pertinent pour toutes les matières premières agricoles », Agnès Pannier-Runacher ajoute qu’« un tel dispositif pourrait produire l’effet inverse de celui que vous espérez. Ainsi, l’instauration d’un prix minimal qui, par définition, ne s’appliquerait qu’aux seules productions nationales pourrait favoriser les produits importés au détriment des produits français. Loin d’augmenter le revenu des agriculteurs, cela diminuerait leur rémunération. Est-ce là ce que vous voulez ? »
La représentation nationale n’a pas suivi l’exécutif, adoptant ce texte à 89 voix pour et 66 contre après de nombreux débats, s’attaquant souvent aux annonces présidentielles et à leur manque de retranscription rapide (voir encadré). Avec cette adoption, « il s’agit d’une victoire concrète, sur laquelle nous allons pouvoir construire la suite » se réjouit Marie Pochon, pour qui « il était nécessaire que nous posions l’intention de l’Assemblée nationale de garantir un revenu rémunérateur pour les agriculteurs pour que nous puissions ensuite avancer, que ce soit dans le cadre d’Egalim 4 ou dans celui du projet de la loi d’orientation pour la souveraineté agricole ». Mais avec « un regret. Au cours de ces débats, je n’ai été rassurée ni par les discours de la majorité présidentielle, ni par son attitude, qui n’était pas constructive, malgré ma volonté d’élaborer ce texte avec l’ensemble des groupes. Nous avions discuté en commission avec calme et respect, mais cela n’a pas été le cas dans l’hémicycle » constate la rapporteure.
« Contrairement à ce qui vient d’être dit, l’engagement du Gouvernement pour la défense du revenu des agriculteurs est total » répond Agnès Pannier-Runacher, qui annonce « je crois aux annonces que nous avons faites et qui se concrétisent dans l’ordre prévu ». Ajoutant « nous avions fixé un programme clair et sans surprise. Vous avez fait un coup politique, bravo ! », mais « votre dispositif est inopérant – vous le savez. Il ne mentionne aucun volume, ne dit rien sur les coopératives ou les ententes, ne parle ni du droit de la concurrence ni des exportations. Si l’on veut tuer notre agriculture, instituons des prix administrés – ce n’est pas ce que nous ferons ! »


Un rejet précisé dès ce vendredi 5 avril le cabinet du ministère de l’Agriculture, annonçant « partager l’ambition de départ de cette proposition de loi : les agriculteurs doivent vivre de leur travail et disposer d’un revenu suffisant pour s’engager dans la transition agroécologique », mais le ministère « ne partage pas les solutions et la méthode proposée. Cette loi propose un dispositif inopérant, et porteur de risques pour les filières. C’est ce qu’elles nous disent sans ambiguïté. »
« Le Président de la République a annoncé, il n’y a pas si longtemps, devant les agriculteurs, l’instauration de prix planchers » attaque Grégoire de Fournas (Gironde, Rassemblement National), demandant « où sont les propositions concrètes pour appliquer cette promesse ? Nous en déduisons que cette promesse a été formulée sous la pression et nous avons peur qu’elle ne soit pas réalisée » attaque.
Ce à quoi réplique Agnès Pannier-Runacher : « le président de la République a été très clair. Il a dit que, dans le droit fil des mesures annoncées dans le cadre des états généraux de l’alimentation et des lois qui ont permis de sauver des milliers d’exploitations, nous allions instaurer des prix rémunérateurs pour les agriculteurs [avec] une mission d’évaluation confiée à deux députés [Anne-Laure Babault et Alexis Izard]. »
Une réponse qui n’a pas convaincu Manon Meunier (Haute-Vienne, La France Insoumise) : « nous avons besoin d’une réponse claire. Emmanuel Macron et le Gouvernement sont-ils pour ou contre les prix planchers, mesure que nous vous proposons ce soir ? Pendant que vous hésitez, des agriculteurs en pleine crise n’attendent que de pouvoir vivre de leur travail. » Nouvelle réplique d’Agnès Pannier-Runacher : « je répète que le Président de la République a confié à deux députés une mission qui s’appuiera sur l’ensemble des travaux produits par l’Assemblée nationale et pourra donner lieu, le cas échéant, à un texte visant à mieux appliquer la loi Egalim. Je rappelle aussi que toutes les filières réclament l’application des lois Egalim, non des prix réglementés. »
Pas de quoi clore le débat pour Manuel Bompard (Bouches-du-Rhône, La France Insoumise), qui reprend : « ce que nous n’avons toujours pas compris, c’est en quoi consiste cette proposition du président de la République. Passée cette annonce, nous n’avons obtenu aucun détail quant aux modalités précises de son éventuelle application. » Pas de quoi modifier la position d’Agnès Pannier-Runacher, répliquant que « la commission [des affaires économiques] a adopté à l’unanimité cet article, qui prévoit que "dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les moyens législatifs et réglementaires permettant de mieux prendre en considération les coûts de production dans la formation des prix d’achat aux agriculteurs en vue d’améliorer leurs revenus". […] Vous demandez donc que le Gouvernement fasse des propositions dans trois mois, tout en prétendant tout régler aujourd’hui grâce à votre proposition de loi. C’est incohérent de bout en bout ! »