La fenêtre de tir va être très réduite pour obtenir des profils thiolés sur les sauvignon, il faudrait les récolter autour de 10%vol, car en zone méridionale, même pour des parcelles irriguées, les températures nocturnes trop hautes pénalisent la fraîcheur aromatique. On va vite se retrouver sur des sauvignon plus exotiques », avertissait le consultant Stéphane Yerle au démarrage de la récolte de sauvignon en ce début de mois d’août dans le Gard.
Le professeur Alain Deloire de l’institut Agro (Montpellier) confirme que la période optimale de récolte pour obtenir des précurseurs d’arômes thiolés sur sauvignon arrive assez tôt, « a des degrés bas en climat chaud et sec, sans qu’il y ait pourtant une corrélation directe avérée entre les maturités technologique, aromatique et phénolique », décrit-il.
« C’est plus la présence d’irrigation qui fait cette année la différence », enchaîne Daniel Granès, directeur scientifique de l’Institut Coopératif du Vin (ICV), « mais le facteur essentiel favorisant la présence de précurseurs d’arômes, sur les sauvignon en blanc ou les grenache en rosé, est l’homogénéité de la vigueur de la parcelle. Or, l’absence d’irrigation conduit à une hétérogénéité parcellaire importante, donc moins de précurseurs ». Pour lui, les profils thiolés en Languedoc ne doivent pas tarder à être récoltés « mais on voit qu’il y a des caves qui ne sont pas forcément prêtes, alors qu’il ne faut pas tarder ».
Gabriel Ruetsch, responsable du service agronomie chez les vignobles Foncalieu, vient de commencer à récolter des muscats petits grains et sauvignon blancs à l’ouest de Béziers, en vue d’élaborer des profils thiolés frais et estime « être à la limite pour ces profils frais, nous sommes déjà en train de passer sur des profils thiols plus mûrs tendant vers l’exotique, alors que nous sommes entre 10,5 et 11%vol », acte-t-il, appuyant que même les profils thiolés plus tropicaux seront récoltés à degré peu élevé. Dans le secteur plus tardif de l’ouest audois, dans le secteur de Carcassonne, Gabriel Ruetsch envisage un début de récolte au 16 août pour les sauvignon exprimant ces profils de thiols frais.
Daniel Granès juge cette tendance également valable pour les terroirs à influence océanique, comme en Gascogne. « Même s’ils ont naturellement plus de précurseurs d’arômes qu’en zone méditerranéenne, leur vignoble est cette année exposé aux mêmes contraintes hydriques. Sans homogénéité de vigueur parcellaire, les thiols s’exprimeront moins, et la précocité fait qu’il faudra les récolter tôt », rappelle-t-il. Il souligne néanmoins que les sols plus profonds de la zone gersoise « offrent à la vigne une ressource hydrique plus importante qui aidera l’expression thiolée ».
La sélection parcellaire est évidemment essentielle dans l’élaboration de vins de sauvignon allant vers des profils très végétaux, « mais le stress thermique et les vagues de chaleur, tout comme les nuits chaudes et l’exposition des raisins au soleil, ne favorisent pas les précurseurs aromatiques. En plus des pulvérisations foliaires et des sélections parcellaires en amont, la dégustation des moûts vient confirmer l’orientation de la vendange qui rentre issue de nos 500 ha de sauvignon », reprend Gabriel Ruetsch. Alain Deloire précise en effet « qu’un certain nombre de composés de la baie ne sont fabriqués que la nuit avec l’abaissement des températures, d’où l’impact de ces nuits chaudes ».
Côté équilibre acide, Alain Deloire explique que l’acide malique est utilisé comme énergie par la plante pour charger les baies en sucres « jusqu’à un plateau de chargement avoisinant les 10%vol, à 30 jours après véraison », et que, dans le cas de fortes chaleurs, « la consommation de l’acide malique est accélérée, si bien qu’on peut très bien ne plus avoir d’acide malique dans les baies lors de la fenêtre de récolte pour les profils thiolés ». Pour Gabriel Ruetsch, la concentration en acide malique est un indicateur de prédiction des parcelles adaptées à la production des profils thiolés, mais aussi pour définir la date de récolte.
Daniel Granès reconnaît volontiers cette baisse des niveaux globaux d’acide malique mais souligne néanmoins des valeurs d’acide tartrique qui restent stables. « C’est sûr que nous n’aurons pas les niveaux de pH habituels cette année mais nous n’avons que peu de précédents de millésimes marquées par ces niveaux de chaleur. 2003 s’en rapprochait mais sur des durées moins importantes. Il est donc difficile de tirer des prédictions sur les équilibres analytiques sans élément de comparaison évident », souligne le directeur scientifique de l’ICV.
Autre point majeur, la température d’entrée des raisins en cave, alors que les nuits ne sont pas aussi fraîches qu’en période de récolte habituelle. « La température élevée accélère l’oxydation des thiols dès qu’il y a des phénols dans les pellicules », prévient Gabriel Ruetsch.
« Sans échangeur à vendange, il faut être très vigilant sur les durées de remplissage des pressoirs. Avec des raisins plus chauds, les populations contaminantes peuvent se développer de manière importante et perturber les macérations sur bourbes qui permettent de récupérer plus de précurseurs thiolés », avertit Daniel Granès.