Jérôme Bauer : Les débuts ont été extrêmement compliqués. J’ai été élu en pleine crise du coronavirus, en visioconférence et en pleines négociations sur les mesures d’accompagnement covid. J’ai enchaîné sur la réforme des Indications Géographiques (IG) et sur beaucoup de sujets européens, comme le règlement sur l’usage durable des phytos (SUR). Il y a eu de nombreuses évolutions de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), sur l’expérimentation dans les cahiers des charges, sur les Variétés d’Intérêt à Fin d’Adaptation (VIFA)… Mon ambition était, et reste, la montée en puissance de la CNAOC. Nous avons réorganisé notre structure parisienne et le réseau de ses 17 fédérations. On arrive au bout du chantier. On a constaté que l’on s’éparpille tous sur des dossiers de plus en plus nombreux, difficiles et techniques. Il faut fixer un cap et les sujets sur lesquels nous sommes leaders, co-leaders ou en appui d’autres organisations (nous travaillons comme jamais avec la fédération des vins IGP). Nous avons la volonté se reposer les uns sur les autres et le besoin de parler d’une seule voix. Nous avons le besoin d’une Association Générale de la Production Viticole (AGPV) plus forte, cela fait partie de mes ambitions.
En la matière, le président de vin IGP, Gérard Bancillon, appelle de ses vœux la création d’une cellule de crise contre l’agribashing pour permettre à la filière de se défendre des attaques qu’elle subit de manière répétée.
Tout le monde en a envie. Cela fait partie des éléments travaillés dans le plan de filière par le Comité National des Interprofessions de Vins à Appellation d'Origine et à Indication Géographique (CNIV). Le vignoble doit parler d’une seule voix en ce moment où il vit des agressions répétées venant de l’Europe. Nous avons tous les mêmes ambitions pour la filière et ses métiers. Parfois on ne les porte pas de la même façon. Mais face aux agressions répétées, il faut arrêter les batailles de clochers et aller dans la même direction.
Parmi les nombreux dossiers européens que vous avez suivis, il y a d’abord eu celui de la réforme des IG : est-ce un dossier désormais bouclé ?
Il y a encore un point de vigilance. La délégation de missions à l’Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) n’est par formalisée et nous restons vigilant. Mais le paquet vin du texte est plutôt satisfaisant. Surtout quand on voit d’où l’on partait ! Il est toujours difficile d’expliquer les particularités de notre filière qui nécessitent des outils spécifiques. Il faut de la pédagogie avec des députés de pays producteurs, et encore plus pour ceux de pays non-producteurs. Il faut aussi de la pédagogie pour les vignerons : certains ne voient pas les conséquences de ce qui se passe à Bruxelles. Aujourd’hui, il existe une Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin) qui permet de subventionner le développement de notre filière.
Dans le rapport du Parlement européen sur les Maladies Non Transmissibles (MNT), nous avons beaucoup travaillé avec les eurodéputés face au retour d’un lien entre cancer et consommation d’alcool sans préciser qu’il s’agit de consommation excessive. Dans les amendements de compromis de la Commission pour l’environnement du Parlement Européen (Comenvi), nous avons partiellement eu gain de cause, mais le sujet n’est pas fini (le vote en plénière est prévu en décembre). Vu de loin, les vignerons peuvent penser qu’il y a beaucoup d’agitation sur ces sujets, mais les conséquences peuvent être graves.
Ce mercredi 22 novembre, il y aura un vote du parlement européen sur le règlement SUR dont l’issue semble bien incertaine alors qu’elle pourrait interdire la protection de milliers d’hectares de vignes…
On commence à voir des députés radicalisés et certains partis incapables de prendre orientation. C’est le cas de Renew. Nous avons travaillé pour avoir des amendements permettant de clarifier le sujet des zones sensibles. Nous avons d’ailleurs fait partir un courrier ce lundi 20 novembre aux députés français cosigné par les membres de l’AGPV. Sur ce type de sujets, et depuis quelques mois, nous avons su nous mobiliser rapidement et travailler ensemble pour parler d’une seule voix. C’est une bonne chose, il faut aller plus loin désormais.
Sur le sujet du vin et de la santé, il y a aussi le sujet de l’étiquetage sanitaire irlandais…
La réglementation irlandaise ne répond pas à la réglementation européenne et ne doit pas faire tache d’huile. Il faut fédérer la production contre ce message sanitaire, alors que je vois que le négoce n’est pas contre, mais de manière dématérialisée. Mais qu’entend-on par message sanitaire : des pictogrammes femme enceinte, interdit aux moins 18 ans, un avertissement pour la conduite ? En Irlande, c’est un message sanitaire indiquant que la consommation d’alcool provoque le cancer. C’est une ligne rouge pour nous : plusieurs études sérieuses et validées montrent que la consommation responsable de vin n’est pas un facteur aggravant le risque de cancer. Il n’est pas acceptable de relier la consommation responsable de vin avec un risque de cancer.
Au niveau européen, la filière vin demande aussi la mise en place d’une restructuration différée.
La gestion du potentiel de production est l’une des 4 priorités de mon mandat : on ne peut pas faire fi de situations de plus en plus difficiles dans certains vignobles. On va arracher 9 500 hectares à Bordeaux : est-ce que cela suffira ? On commence à parler de besoin d’arrachage en Côtes-du-Rhône, pour les vins IGP… Il faut ouvrir la question des outils d’arrachage au niveau européen. C’est un point crucial de gouvernance : il faut arriver à se mettre en ordre de marche.