Mauricio González-Gordon : D’un point de vue pratique, nous n’avons pas pu arrêter l’Irlande et son projet de loi a été adopté ce 22 mai, mais grâce à la mobilisation (notamment) du secteur du vin un nombre important d’Etats Membres de l’Union Européenne et d’Etats non-Membres de l’UE se sont opposés.
Dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), lors de la réunion du comité des obstacles techniques au commerce de juin 2023, l'UE a reçu des commentaires de 13 pays sur la notification irlandaise. Sans surprises, les mêmes préoccupations soulevées auparavant par les Etats Membres de l’UE ont été soulignées à l’OMC : le fondement scientifique de la mesure ; la compatibilité de la mesure avec le droit de l'UE, y compris le règlement sur l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires ; l'adoption de la mesure dans les deux semaines suivant la fin de la période de commentaires ; les effets de distorsion des échanges sur le marché unique.
Le représentant de l'UE, en charge de la défense de la notification, a défendu que les raisons de santé publique justifient les mesures notifiées, sans y apporter beaucoup plus de détails.
Après la publication de la loi irlandaise, nous avons présenté une plainte devant la Commission Européenne. Cette plainte a été jugée comme « recevable pour analyse » par les Services de la Commission et maintenant la Commission a jusqu’en mai 2024 pour évaluer la plainte et lui donner suite le cas échéant.
En parallèle, la Commission a mandaté un consultant pour faire une « Étude pour évaluer l’efficacité de l’information sanitaire sur les boissons alcoolisées ». L’étude est en cours et en ce moment le consultant est en train interviewer différents acteurs, entre autres le CEEV. Cette étude fait partie de la feuille de route de la Commission pour proposer des « health warnings » (avertissements sanitaires). Mais s’il était tellement clair pour la Commission qu’elle allait légiférer sur les avertissements sanitaires, alors pourquoi a-t-elle laissé l’Irlande faire cavalier seul ? Ce n’est pas cohérent !
Quel est le fondement de votre opposition, un refus de fragmenter le marché intérieur avec des règles d’étiquetage nationales et/ou la crainte d’ouvrir la boîte de Pandore sur les messages sanitaires ?
D’un point de vue purement légal, notre opposition est fondée sur le fait que la loi irlandaise est en violation du droit de l’UE et constitue un obstacle injustifié et disproportionné au commerce car elle est incompatible avec la réglementation européenne actuelle en matière d'étiquetage des vins et des vins aromatisés en ce qui concerne l'indication de la teneur en alcool et de la teneur énergétique. Elle est susceptible de fragmenter le marché intérieur en affectant son bon fonctionnement, générant de facto une discrimination claire pour les produits importés. Elle est disproportionnée et susceptible d'avoir un effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation au sens de l'article 34 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
Bien sûr, au-delà des éléments légaux, il y a aussi une profonde préoccupation concernant, d’un côté, le manque de capacité de la Commission pour défendre le marché Unique, et de l’autre, la prolifération de législation nationale disproportionnée, simpliste, alarmiste et non-basé sur la science.
Quelles sont aujourd'hui les solutions envisagées et souhaitées par le négoce européen ? Solliciter une position de la Commission sur ces questions ne risquerait-il pas de renforcer le nouvel étiquetage qui passe déjà mal dans le vignoble, où cela est vu comme une énième contrainte ?
Devant le risque réel de prolifération de législations nationales disproportionnées et non-basées sur la science, aujourd’hui il faut être réaliste, et assumer que la seule vraie solution semble être une harmonisation de la législation au niveau de l’UE. Pour être exact, nous pensons que la Commission devrait harmoniser, d’un côté, les avertissements sanitaires (messages portant sur l’interdiction de boire), et de l’autre, les informations générales sur la consommation responsable (et les complexes relations entre la consommation de vin ou d’autres boissons alcooliques et la santé).
Bien sûr, pour ce genre de message complexe il faut tenir compte de l’importance d’apporter les informations dans la langue de consommateur (où qu’il se trouve) et de protéger le marché Unique (une seule étiquette pour toute l’UE). Nous croyons que l’UE devrait s’appuyer sur la puissance de l’étiquetage électronique.