Pierre-Louis Teissedre : Dans les travaux qui sont menés, notamment via les études épidémiologiques, d’enquêtes où on enregistre des données, toute la problématique réside dans la sélection des études qui sont réalisées. Si on écarte volontairement des études qui donnent des résultats favorables, il est facile à ce moment-là de démontrer ou d’essayer de démontrer que le vin en tant que tel peut être un produit négatif. Dans la sélection des études en général, il y a une question d’intégrité, de respect des résultats scientifiques lorsque les travaux ont été menés très correctement. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’OIV, à l’occasion de l’assemblée générale du Mexique, a adopté une nouvelle résolution qui concerne les procédures pour la prise en compte des études épidémiologiques.
Oui, effectivement, en fonction des sélections que l’on fait, si on exclut des travaux qui ne vont pas dans le sens qu’on souhaite dès le départ, on va trouver les résultats qu’on souhaitait. La science, c’est le respect, la cohérence, les résultats des travaux et c’est bien pour ça qu’à l’OIV on a voté une résolution en ce sens. Un certain nombre de travaux ont été remis en cause. Il y a eu la fameuse étude publiée dans le Lancet en 2018 menée avec la Fondation Bill Gates, qui avait beaucoup de problèmes de réalisation des travaux dans différents pays du monde et des conclusions qui étaient plus politiques que scientifiques. On y disait qu’il ne fallait pas consommer de l’alcool, au risque de contracter certaines maladies. Finalement, en 2022, le Lancet a publié un rectificatif qui montre que la consommation de certaines boissons alcoolisées n’est pas aussi négative que ce qui avait été annoncée. Entretemps, les gens ont retenu le risque. L’OIV appelle à une approche équilibrée et à respecter de bonnes pratiques.
Certains travaux continuent à être menés. Actuellement, par exemple, on travaille sur les « blue zones », des zones identifiées dans le monde avec une longévité très importante de la population. C’est le cas de la Sardaigne qui nous intéresse particulièrement, où on consomme notamment du vin rouge, avec le cépage phare, le cannonau ou le grenache de chez nous. Le régime méditerranéen a fait ses preuves, confirmé par plusieurs études, celles de Serge Renaud, de Curt Ellison et de Morten Grønbæk par exemple. C’est un modèle qu’il faut prendre en exemple, c’est une référence, et si on peut susciter un peu de plaisir avec un verre de vin, avec de la convivialité, un bien-être psychique, et que les constituants dans le vin favorisent l’effet protecteur, c’est plutôt une bonne chose. Il faut continuer à le mettre en avant, sauf pour des personnes dans des conditions particulières, sachant que tout est dans la dose. L’OIV a adopté des recommandations pour la diffusion de l’information en matière de consommation de vin et on travaille sur un avertissement en matière de santé pour les consommateurs sur l’étiquetage. On voit bien qu’aujourd’hui il y a certains états qui seraient tentés de ne pas être équilibrés dans le discours à tenir auprès des consommateurs. Le discours de la modération est passé de mode chez certains. Le problème reste l’excès et pas la modération.
Le problème, c’est que le vin n’est pas pris en compte pour les spécificités qu’il apporte au niveau de l’alimentation. Il est traité simplement comme une autre forme d’alcool. Tous les autres constituants qu’il peut renfermer, qui pourraient présenter un intérêt, ne sont pas pris en compte. Or, tous les jours nous consommons beaucoup de produits qui posent problème. Pour certains, c’est trop de sucre alors qu’il n’y a pas d’avertissement sur un paquet de sucre, ni sur les friandises, les bonbons ou le chocolat. Pour moi, le vin devrait être considéré comme une exception culturelle. Il fait partie de la culture d’un certain nombre de pays producteurs de vin qui ont adapté leur alimentation et leur nutrition par rapport au vin. En général, ils ont réussi à intégrer le produit de façon sage. On a bien vu avec la Prohibition que l’interdiction ne résout pas les problèmes. La nature a horreur du vide, et s’il n’y pas de vin il y aura d’autres choses qui seront peut-être pires. Il faut y penser.
Nous avons eu par le passé, la chance d’avoir le programme Vin et Santé sous l’égide de l’Onivins à l’époque, où il y a eu des fonds pour travailler sur les effets de la consommation du vin, ses constituants non alcooliques, l’effet de l’éthanol avec ces constituants ou pas, à travers des études épidémiologiques, cellulaires, voire cliniques. Grâce à ces travaux, plutôt nombreux, on a réussi à voir que lorsqu’on était dans la modération, l’effet était plutôt positif. Les travaux se sont arrêtés autour de 2010. Peut-être qu’aujourd’hui il serait bon, par exemple, de comparer les vins complets tels qu’ils sont en mode de consommation modérée avec des vins qui sont désalcoolisés ou sans alcool puisqu’on nous dit qu’il faudrait développer des produits de ce type-là.
Oui, effectivement, si on communique un message négatif en permanence sans prendre de précaution sur la façon de consommer, si on est systématiquement dans l’interdit, et si on n’a accès qu’à ce type d’informations, cela n’incite pas à consommer de façon avertie, équilibrée, en connaissance de cause. Il est certain que cela joue un rôle non négligeable. On a escamoté tout l’aspect portant sur l’éducation à la modération. C’est quelque chose qu’il faudrait remettre à l’ordre du jour. En réalité, il faut personnaliser davantage les recommandations en fonction des personnes. Les recommandations aujourd’hui visent un individu standard alors que la population n’est pas un individu standard. Il faudrait tout prendre en considération pour faire des recommandations plus ciblées. Cela n’existe pas. Sachant que pour être crédible, il faut travailler sur les dérives aussi.