’époque du French Paradox est bien révolue : désormais, dès le premier verre, l’alcool est qualifié par les instances sanitaires dans de nombreux pays, de nuisible. A commencer par la France : un rapport de l’Inserm repris par Santé Publique France en juin 2023 affirme que « Toute consommation d'alcool étant nuisible pour la santé, il est nécessaire d'en limiter l'accès et d'en réduire l'attractivité ». L’expertise collective de l’institut de recherche réfute l’existence même d’un effet positif, déclarant que « Les effets « protecteurs » à la base du célèbre French Paradox sont sans fondement ».
De quoi apporter de l’eau au moulin de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui vient de s’approprier la tâche de préparer un document de discussion sur l’étiquetage des boissons alcoolisées au sein du Codex, lors de la réunion de son comité en mai dernier au Canada. Sans doute pour des questions de priorisation de dossiers, aucun pays membre n’a voulu se charger de préparer ce document, laissant la voie libre à l’OMS. « A notre connaissance, c’est la première fois qu’un projet n’est pas mené par un Etat volontaire au Codex » confie une source anonyme proche du dossier. Lorsqu’on connaît la position de l’OMS sur cette question, on peut imaginer son niveau d’objectivité, les conflits d’intérêts étant évidents. Depuis quelque temps, l’OMS fait savoir, en effet, qu’elle voudrait que les Etats membres soient plus actifs au niveau de l’étiquetage des boissons alcoolisées, avec notamment des indications santé liées au cancer, prétextant un vide juridique en la matière. Or, les boissons alcoolisées font partie des produits les plus réglementées au monde, y compris au sein du Codex.
Pour l’heure, l’OMS n’a pas proposé de type de message spécifique, mais sa forme fait peu de doute : il sera sûrement semblable à celui adopté par l’Irlande. La position des professionnels reste délicate, car ils courent le risque d’être accusés de pousser à la consommation au détriment de la santé publique, mais le manque de contexte et de nuance dans les messages émis est pour le moins déplorable. Si beaucoup d’études sorties récemment qui ont fait grand bruit en liant l’alcool au cancer ne sont pas très scientifiques et plutôt biaisées, certaines indications suggèrent que des barrières s’érigent contre les articles qui montrent des effets positifs pour une consommation modérée d’alcool. En effet, des échos de la part d’économistes et de juristes du secteur laissent à penser que certains chercheurs n’ont pas réussi à faire publier des articles qui ne trouvent pas de lien négatif entre la consommation d’alcool et la santé. Des articles qui ne sont pas publiés parce qu’ils ne correspondent pas à la ligne éditoriale d’aujourd’hui.
Il faut dire qu’on assiste à un phénomène général entourant les questions d’étiquetage, auquel l’alcool n’échappe pas. Certains pays européens sont déjà en train d’étudier des mesures particulièrement restrictives pour l’étiquetage des boissons alcoolisées, au-delà des projets de la Commission européenne dans son plan de lutte contre le cancer. Ainsi, interrogées par Vitisphere, les autorités sanitaires norvégiennes confirment être « en train d’étudier la forme que pourrait prendre un tel étiquetage et la manière dont il serait encadré, une tâche qui nous a été confiée par le ministère norvégien de la Santé et des Services de Soin ». Øyvind Giæver, responsable du service des Déterminants de la Santé, a précisé que la direction générale de la Santé en Norvège « accorde une attention particulière à cette question en Europe, telle que la politique appliquée récemment par l’Irlande en matière d’étiquetage des boissons alcoolisées et le suivi par l'UE du plan « Vaincre le cancer », dans lequel des avertissements sanitaires sont proposés, ainsi que les travaux de l'OMS Europe sur ce sujet ». Ailleurs, la Lituanie étudie également cette possibilité, ainsi que le Chili qui a notifié l’OMC au printemps dernier d’un projet de réglementation portant sur des avertissements sanitaires et des indications sur la valeur énergétique des boissons alcoolisées ; deux des pictogrammes proposés montrent un verre de vin.
D’ici la prochaine réunion du Codex en 2025, l’OMS devrait faire des propositions concrètes sur l’étiquetage et les mentions qui devraient y figurer. Ce qui laisse à penser que les 18 prochains mois seront critiques pour le secteur, que ce soit au niveau européen ou international.