ttendu autant que craint, le show américain du président Donald Trump annonçant ce 2 avril des droits de douane réciproques laisse un sentiment mitigé dans le vignoble français : « il annonçait 200 % de tarifs, on en prend 20 %. Je suis presque soulagée » résume la vigneronne Françoise Ollier, à la tête du domaine Ollier Taillefer (42 hectares bio en AOP Faugères). Désormais, « on va discuter avec notre importateur, qui attendait de savoir à quelle sauce nous allions être mangés. La dernière fois [NDLA : lors des taxes Trump de 25 % en 2019-2021], on avait coupé la poire en deux pour garder un prix de vente acceptable. Il va falloir aviser. » Sachant qu’après de petites vendanges et d’importantes augmentations des coûts de production, les marges de manœuvre sont très réduites. Cherchant à développer depuis plusieurs années le marché américain, Françoise Ollier que les choses y sont très compliquées « à cause de Donald Trump. Les chiffres que nous faisions avaient déjà fortement baissé lors des premières taxes et nous ne les avons jamais totalement récupérés » pointe la présidente de l’association des Vinifilles.
Dans ce contexte, « peut-on projeter des relations commerciales stables et de confiance avec les États-Unis ? » pose Damien Leclerc, le directeur de la Chablisienne (cave coopérative de 200 adhérents, 1 200 ha vinifiés pour 63 millions CA). Alors que c’était un axe de développement, le marché américain est « depuis 10 ans un lieu précaire. Il y a une instabilité très forte pour le business. Nous y sommes à la merci de quelqu’un qui peut se dire demain matin qu’il impose finalement 40 % parce que l’Europe lui a tenu tête sur tel point » s’inquiète le conseiller du Commerce extérieur de la France, qui appelle la filière hexagonale à « se retrousser les manches pour limiter au maximum les niveaux de dépendance. La période de turbulence n’est pas derrière nous. »
Une approche d’émancipation de marchés exposés qu’a déjà appliqué la négociante franco-américaine Amy Pasquet, des cognacs Pasquet. Lors de l’invasion russe de la Crimée, son premier marché export s’est brutalement fermé, lui faisant perdre la moitié de son activité comme la Russie ne lui achetait plus de cognacs. « Nous nous sommes dit que nous étions une trop petite entreprise pour être placés dans une guerre commerciale qui nous mettait en danger et qu’il fallait se focaliser sur la France et l’Europe. Aujourd’hui nous sommes ravis de notre stratégie » explique-t-elle, pointant que cela a également un impact positif sur l’empreinte carbone de se focaliser sur les marchés de proximité. Réalisant 40 % de ses ventes en France, autant en Europe et moins de 20 % vers le grand export (avec 5 % vers le marché américain), son modèle est plutôt atypique pour Cognac. Présidente du Comité National du Pineau des Charentes, la négociante pointe que le marché américain est aussi en chute pour la mistelle charentaise depuis ce début d’année, par anticipation des annonces de droits supplémentaires.
Le repli annoncé du marché américain se fait déjà ressentir. « Depuis le début d’année, il y a de telles incertitudes que mes distributeurs ont mis en stand-by leurs commandes » témoigne la vigneronne Laëtitia Allemand, à la tête du domaine Allemand (11 ha en IGP Hautes-Alpes). Soit 10 000 € actuellement en suspens : ce qui n’est pas anodin et crée de l’incertitude alors que la vigneronne comptait développer un marché américain valorisé et porteur : « ça met un coup de frein ». Ayant partagé la prise en charge de l’augmentation lors des précédentes taxes Trump, Laëtitia Allemand confirme que réduire les marges est compliqué alors qu’elles ont déjà été mises sous pression par les multiples augmentations de charges de ces dernières années : « si l’on nous demande de rogner encore plus, on va arriver à un moment où c’est compliqué… »
Réduire ses marges au-delà du raisonnable ne sera pas tenable prévient le vigneron Philippe Carrille, le propriétaire du château Poupille (30 hectares de vignes bio en appellations Castillon et Saint-Émilion), qui estime que « si aujourd’hui pour vendre aux États-Unis il faut vendre à perte, ça n’a pas d’intérêt de vouloir y être. Je préfère perdre un marché que me prostituer pour que dalle. Si c’est pour que mon banquier vienne derrière, je préfère réduire la voilure et continuer sur la rentabilité. Ça fait des années que l’on ne peut pas augmenter les prix des vins. On ne peut pas les baisser et perdre toute valeur ajoutée. » Si l’impact de taxes à 20 % est aujourd’hui difficile à chiffrer pour le vigneron bordelais, il relativise son effet : « ce n’est pas neutre, mais ce n’est pas pire que le taux de change que l’on subit au Japon et qui équivaut entre 25 et 30 % de taxes. On va être en capacité de continuer à faire du business aux États-Unis, nous avons +20 % de droits de douane, mais le minimum est de 10 % pour tout le monde. On ne peut pas être négatif : il ne faut pas baisser les bras et se réinventer. »
Également optimiste en Champagne, Paul-François Vranken, le président fondateur du groupe Vranken-Pommery Monopole, n’est pas particulièrement inquiet ce 3 avril : « 20 % sur les champagnes, c’est la TVA française. On ne peut pas le nier. Les États-Unis imposent les taxes appliquées par les autres pays. Je ne sais pas quel sera l’impact, cela va faire bouger les chiffres d’une bonne dizaines de pourcents (les effets en cascades étant importants avec la règles des trois tiers aux États-Unis). » Si les consommateurs américains sont sensibles aux prix et qu’un tassement de la demande est prévisible, les champagnes restent « un produit de célébration sans pendant aux États-Unis, je n’ai pas d’inquiétude. » D’autant plus que Paul-François Vranken est fataliste : « c’est une décision de l’état américain, donc il n’y aura pas de discussion possible, ni de négociation. Au moins, on sait où l’on va. Un peu de visibilité, c’est déjà une bonne chose. »
Autre son de cloche à Cognac, où les tensions géopolitiques se cumulent : les taxes américaines s’ajoutant à celles chinoises, les deux premiers marché de l’eau-de-vie charentaise. S’il ne sait pas quels seront les impacts des nouveaux tarifs Trump, Charles Boinaud, le président de la maison Boinaud (commercialisant la marque de cognacs De Luze, 700 000 bouteilles/an), pointe que « depuis les annonces potentielles de taxes, nos partenaires sur le marché américains ont été refroidis. Avec des révisions et décalages de commande pour sécuriser le coût final des produits. » Un air de déjà vu… « Il y a un an avec la Chine, on a vécu la même chose : la panique des importateurs qui annulent et réduisent les commandes. Cela dure toujours » pointe le négociant charentais. Alors que le problème de la Chine n’a pas été réglé (de récentes avancées devant être confirmées), arrive en plus celui américain, ce qui menace la pérennité de toute la filière et au-delà. « Nous sommes ciblés dans une période où l’on s’en se serait passé » note Charles Boinaud, qui appelle à des résultats diplomatiques concrets : « on est en train d’écrire tout l’avenir de la région ici. Pas seulement du vignoble et du négoce, mais aussi de nos fournisseurs » (pépiniéristes verriers, cartonniers, caissiers…).
« Au final ce sont nos économies locales qui vont souffrir » confirme Éric Pastorino, le président du Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence (CIVP), pour qui la taxe de 20 % « sera nécessairement un manque à gagner » avec des baisse de ventes et de marges. « Cela aura des impacts sur l’activité, sur les emplois… » avec un « coup de massue » sur un marché important pour les vins rosés (22 millions de cols et 150 millions € HT de chiffre d’affaires pour les appellations provençales). Alors que les opérateurs sont déjà fragilisés par les difficultés commerciales et climatiques, il reste un espoir de contournement des taxes Trump pour Éric Pastorino : « la dernière fois, le vin en vrac n’était pas concerné par les taxes précédentes. Des opérateurs avaient pu exporter en vrac avec une exonération de taxes. Nous attendons les décrets d’application pour voir… »
Il est vrai qu’entre les annonces de Donald Trump et leurs exécutions, il peut y avoir un monde. « Nous surveillons l’option du vin en vrac comme le lait sur le feu » indique Éric Lanxade, directeur général de Sudvin (filiale languedocienne du groupe Invivo), fervent défenseur du vrac (« avoir un pied sur le vrac et sur la bouteille permet de danser ») qui pointe que cela se défend pour l’économie américaine : « expédier du vin en vrac, c’est préserver l’emploi américain (utilisation de matières sèches locale et activité de sites de conditionnement). Le diable est dans le détail… Et les décrets d’application. Ça pourrait être logique, mais tout ne l’est pas dans cette situation… »
Si Donald Trump défend dans ses annonces un gain économique pour les États-Unis avec ces taxes, tous n’en sont pas convaincus. Face à ces taxes de 10 % minimum et au-delà (20 % pour l’Europe, 31 % pour la Suisse, 60 % pour l’Afrique du Sud…), l’U.S. Wine Trade Alliance déclare dans une lettre à ses adhérents que ce n’est « en aucun cas acceptable à long terme*. Nous travaillons chaque jour à une solution durable pour notre secteur. Les droits de douane sur le vin sont néfastes pour l'Amérique. Point final. »
D’autant plus que « le risque de ces taxes supplémentaires est de faire franchir une barrière psychologique au prix de nos vins » indique dans un communiqué Laurent Delaunay, président du Bureau Interprofessionnel du Vin de Bourgogne (BIVB). « Le système d’importation de vins aux USA est assez complexe, avec une distribution en trois étapes obligatoires : importateur, grossiste puis détaillant. Cela alourdit déjà la facture pour le client final » note le négociant bourguignon, pointant « que beaucoup de producteurs vont fournir un effort pour baisser un peu les prix des vins au départ de la cave. Mais il faudra aussi que nos partenaires américains prennent leur part en réduisant un peu leurs marges pour que le prix des vins reste dans une fourchette acceptable par le consommateur. » C’est l’enjeu des prochains jours, en attendant des avancées diplomatiques évitant une surenchère transatlantique, et l’accentuation d’une crise économique mondiale dont voit les prémices.
* : A noter que « le décret prévoit une exemption pour les marchandises actuellement en transit » souligne l’USWTA. Ainsi « les marchandises chargées sur un navire au port de chargement et en transit sur le mode de transport final avant les dates d'entrée en vigueur des droits de douane (5 ou 9 avril) ne seront pas soumises aux nouveaux droits de douane, même si elles arrivent ou sont dédouanées après ces dates. »




