n annonçant ce 2 avril des taxes de 20 % sur tous les produits européens dès le 9 avril et de 10 % minimum sur nombres de pays viticoles dès le 5 avril, Donald Trump a plutôt soulagé la filière vin qui serrait les fesses en craignant le pire : des taxes à 200 %. Doit-on voir le verre à moitié plein ou à moitié vide ?
Jean-Marie Fabre : Avec des droits de 20 %, je vois comme tout le monde le verre à moitié plein. Bien sûr qu’éviter l’embargo qu’auraient été les 200 % est une bonne nouvelle. Cela aurait été plus destructeur pour le secteur immédiatement. On évite le pire, mais il va y avoir un effet domino qu’il faut prendre dans son ensemble, qui sera moins visible mais tout aussi rapide. Les 20 % vont directement entraîner une baisse des vins commercialisés aux États-Unis en pénalisant le secteur. Il y a déjà eu des annulations et cela engendre de facto des négociations.
Des vignerons me disent depuis une semaine, et les rumeurs de taxes autour de 20 %, que les importateurs discutent sur les modalités de répartition de l’augmentation du coût des droits entre importateur, distributeur et producteur. Ce qui passe par une baisse des marges. Les mêmes mécanismes qu’en 2019-2020 [lors des taxes Airbus] se mettent en place. Ces baisses de marges consenties touchent cette fois des entreprises fragilisées, qui n’ont déjà plus de marge de manœuvre, pardonnez-moi le jeu de mot. Non seulement la filière va perdre des volumes, mais il y aura une perte réelle de marges, voire des marges nulles. En termes de viabilité économique cela va être difficile de faire des efforts pour garder des marchés. L’annonce de Donald Trump cause un tsunami économique dont les vagues successives vont toucher le secteur.
Quels sont les autres effets domino que vous prévoyez ?
Contrairement à 2019-2020, cette fois il n’y pas que les vins français qui sont ciblés. Les 20 % touchent tous les vins européens et d’autres pays sont concernés à 10 % (Afrique du Sud, Amérique du Sud, Australie…). Le volume de commercialisation européen va être fragilisé. Tous ces volumes non exportés aux États-Unis vont se retrouver en supplément d’un marché déjà hyper concurrentiel. La bagarre commerciale qui s’annonce va laisser des traces pour gagner des parts de marché. Ces volumes non commercialisés vont se retrouver libre alors qu’il n’y a pas d’autres marchés ayant la capacité de les absorber.
Autre effet en cascade, cette politique économique américaine va peser sur le commerce international avec une guerre ouverte sur toutes les industries. Au moment des annonces de Donal Trump, il y a eu un recul significatif des places boursières ouvertes. Il y a un risque mondial d’inflation, de récession et de perte de pouvoir d’achat des ménages. Ce qui aura des incidences multiples sur notre secteur. Les conséquences d’une récession économique mondiale peuvent être tout aussi dangereuse pour la filière que les 20 % de taxes. Il n’y a plus d’embargo ouf, mais le risque économique est important s’il n’y a pas de désescalade.
Est-il possible de stopper l’engrenage des mesures de rétorsion qui semble s’annoncer entre Bruxelles et Washington ?
Attention, la riposte européenne doit être proportionnée. J’espère que la leçon a été tirée des dernières semaines : il faut une désescalade pour sortir le vin des taxes et distorsions. On vient de mettre le doigt dans une guerre économique et commerciale où les perdants ne sont pas seulement européens et américains, mais mondiaux. Il faut veiller à ce que les réponses peuvent engendrer : le remède peut être pire que le mal. La riposte européenne ne doit pas viser le secteur des vins et spiritueux pour engager quelque chose de positif et espérer une désescalade. Le commerce ne va pas s’arrêter, mais c’est un tsunami que l’on vient de voir et ses effets seront espacés dans le temps et cumulatifs par vagues.