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"Les mesures de rétorsion de Donald Trump vont toucher les vins et spiritueux français. Il ne faut se faire aucune illusion."
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Bourbon sortis ou pas
"Les mesures de rétorsion de Donald Trump vont toucher les vins et spiritueux français. Il ne faut se faire aucune illusion."

Que sont venus faire les bourbons dans les mesures de rétorsion européennes aux taxes américaines sur les métaux, entraînant les vins et spiritueux dans la spirale des menaces à 200 % Trump ? Le point sans fard pour la filière avec Jean-Luc Demarty, désormais retraité après une carrière de 20 ans à la Commission Européenne comme ancien directeur général de l’Agriculture et du développement rural et ex-directeur général du commerce.
Par Alexandre Abellan Le 26 mars 2025
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La présence des bourbons dans les listes de rétorsion et a bien fonctionné en 2018 pointe Jean-Luc Demarty, pour qui en 2025 une bonne politique est de les retirer pour ne pas exposer les vins et spiritueux européens. - crédit photo : DR
E

n 2018, quel était le contexte et quel était l’objectif de la liste européenne des produits américains à taxer en réplique au conflit sur l’acier et l’aluminium ?

Jean-Luc Demarty : Il faut rappeler qu’en 2018 Trump, sur les mêmes bases juridiques de protection nationale qu’aujourd’hui, a imposé à l’Europe des droits douane de 25 % sur l’acier et 10 % sur l’aluminium. Nous avons discuté [NDLA : entre Washington et Bruxelles] d’un contingent tarifaire pour maintenir les échanges traditionnels, mais cela n’a pas été possible. Les Américains ont appliqué leurs droits le premier juin 2018, nous avons immédiatement réagi en appliquant des droits équivalents sur un commerce équivalent. Ils ciblaient 6,4 milliards d’euros d’exportations européennes aux États-Unis (surtout de l’acier) et nous avons veillé à rester dans les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en interprétant ces mesures comme des clauses de sauvegarde déguisées. Nous avons appliqué immédiatement des droits sur les lignes dont les importations n’avaient pas augmenté en volume pour 2,8 milliards €. Il restait 3,6 milliards € qui n’étaient pas taxables dans l’immédiat, il fallait attendre 3 ans ou un panel de l’OMC.

En juillet 2018, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, est allé à Washington et a trouvé un terrain d’entente pour réduire et démanteler les tarifs industriels de part et d’autre de l’Atlantique tout en excluant les produits agricoles. Ce n’est pas allé jusqu’au bout, les Américains prétendaient qu’il fallait introduire les produits agricoles alors que ce n’était pas dans le texte d’accord. Mais cela a permis d’éviter le pire, que les voitures européennes soient visées par des taxes américaines, ce qui représente 10 fois plus que les échanges sur l’acier et l’aluminium. L’alignement sur 6,4 milliards de droits a été suspendu en 2021 comme l’administration Biden a accepté la mise en place d’un contingent tarifaire permettant des échanges traditionnels.

 

Pourquoi avoir ciblé les bourbons en 2018 ?

Les tarifs sont mauvais pour tout monde. Il est extrêmement important avec quelqu’un comme Donald Trump de réagir tout de suite, en faisant mal à l’économie américaine sans trop faire mal à l’économie européenne. En 2018, nous avons choisi des produits emblématiques et symboliques. J’avais choisi le bourbon du Kentucky, le leader du groupe républicain au Sénat en étant élu, le sénateur Mitch McConnell [NDLA : toujours en poste]. Comme j’avais choisi les motos Harley Davidson qui sont produites dans le Wisconsin, état de de Paul Ryan, alors président de la Chambre des représentants des États-Unis [NDLA : fonction quittée en 2019]. C’est une logique politique de cibler des personnes ayant du poids. En 2018, la présence du bourbon dans cette liste a bien marché dans ce contexte.

 

En mars 2025, était-il pertinent pour la Commission de réutiliser cette liste de 2018 en l’état ? Et de distinguer les bourbons avec +50 % de droits de douane quand les autres produits américains étaient à 25 % ? Ce qui a suscité la menace de taxes à 200 % de Donald Trump sur les vins et spiritueux européens en général et français en particulier.

Il y a deux aspects. D’abord la liste de 2018 était encore valable. Elle s’appliquait automatiquement si les Américains mettaient fin à l’accord, ce que Trump a fait. C’est pour ça que les bourbons du Kentucky sont dedans. La liste était plus vaste, la Commission a décidé non pas d’appliquer automatiquement la liste ancienne de 6 milliards début avril, mais d’attendre de voir ce que Trump va faire le 2 avril dans ses annonces de tarifs réciproques qui pourraient être lourdes. Il faudra voir ce que l’Union Européenne décide. Les rétorsions ne devront pas se limiter à des tarifs douaniers, mais s’étendre à des services numériques, voire financiers.

Pour en venir au bourbon, je ne sais pas comment et pourquoi sont arrivés les 50 %. Je suis assez d’accord, il faut rester calme. Il est plutôt sage d’enlever le bourbon de la liste européenne, mais sans donner l’impression de céder au chantage, ce qui serait un signe de faiblesse. Il est sage de prendre une décision dans un paquet global mi-avril. Mais il ne faut pas se faire d’illusion. Les mesures de rétorsion annoncées par Donald Trump le 2 avril vont toucher les vins et spiritueux français. Il ne faut se faire aucune illusion à cet égard. Les mesures réciproques de Donald Trump sur tous les produits s’annoncent lourdes, comme il considère que la TVA est une barrière non-tarifaire, ce qui est grotesque. Il remet aussi en cause les réglementations souveraines comme le Digital Market Act, le Digital Service Act, notre réglementation sur l’Intelligence Artificielle… Trump veut utiliser les tarifs pour changer les lois européennes, c’est de la coercition.

 

La filière des vins et spiritueux français a l’impression de faire office de paratonnerre pour d’autres industries européennes en servant de cible désignée aux mesures de rétorsion.

On peut jouer les victimes, mais ce n’est pas la politique européenne qui a fait ces taxations. Les mesures chinoises sur le cognac s’inscrivent dans la défense des voitures électriques européennes qui est nécessaire. Il n’y a aucune base sérieuse pour un dumping des brandies européens en Chine. L’affaire est portée devant l’OMC, et il est déjà arrivé par le passé que les Chinois perdent pour des mesures imposées parce qu’ils n’aimaient pas des mesures européennes. C’est assez classique, les Chinois appuient là où ça fait mal. Le cognac étant très exporté, c’est une cible idéale. C’est scandaleux, mais ce n’est pas le résultat de la politique européenne. Si on se couche devant les États-Unis et la Chine, il n’y a plus de politique européenne.

 

Les procédures OMC sont longues, alors que les dégâts économiques se font déjà sentir : -60 millions € par mois pour Cognac.

Je suis d’accord, le mal est fait et il faut soutenir la filière. Mais les grandes maisons de Cognac ont été irresponsables de lancer de nouvelles plantations de vignes dans l’euphorie des années 2020. Elles ont poussé les producteurs à planter davantage alors qu’il y a maintenant un risque d’arrachage. C’est de la politique de gribouille. Chacun doit balayer devant sa porte.

 

Aux États-Unis, l’incertitude causée par la menace de taxes aussi punitives qu’excessives entraîne déjà des suspensions d’exportation, mettant à l’arrêt l’export français de vins et spiritueux : mission accomplie pour l’administration américaine ?

L’ambiance est sans aucun doute très négative. Le corollaire de tout ça, c’est que si la Chine et les États-Unis pèsent lourd pour l’export de nos vins et spiritueux, il faut chercher de nouveaux marchés et conclure de nouveaux accords de libre-échange : Mercosur, Inde, Thaïlande, Australie, Philippines… Il existe des perspectives d’exportations, qui ne vont pas tout remplacer mais peuvent prendre en partie le relais. Les vins et spiritueux européens ont beaucoup profité des accords de libre-échange, c’est un autre angle sur lequel il faut attirer l’attention.

La filière vin souffrait déjà avant les menaces de mesures américaines, la situation est complexe et il faut trouver des moyens politiques intelligents tout en préservant le potentiel de production quand il n’y pas déséquilibre structurel. Des arrachages ont eu lieu à Bordeaux, ce qui est normal : il y a eu une extension irréfléchie pour produire des vins de basse qualité vendus moins de 3 € la bouteille en grande distribution, ce qui n’a aucun avenir quand le coût de production est de 5 à 7 €.

 

Diplomatiquement, il faut donc établir un rapport de force face aux menaces de mesures de rétorsion.

Il faut un rapport de force : taper où ça fait mal sans faire n’importe quoi. Il faut maximiser l’effet pour l’économie américaine et minimiser les inconvénients pour l’Europe. Si l’on est capable de mettre en péril l’économie américaine, on peut faire pression sur Trump pour qu’il remette en cause sa politique et pour qu’il se calme : ce qui ne sera pas facile. Mais avec une personnalité comme Trump, si vous vous couchez, il vous roule dessus.

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Tous les commentaires (6)
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Hervé BACHE-GABRIELSEN Le 28 mars 2025 à 09:24:07
Les centaines d'entreprises de la filière Cognac, petites moyennes et grandes, œuvrent sans relâche depuis des siècles au rayonnement d'un spiritueux non délocalisable, à forte valeur ajoutée et étendard du savoir-faire français, Ce même savoir-faire que nos politiques et hauts fonctionnaires aiment d'ailleurs à offrir lors des dîners et rencontres avec leurs homologues étrangers. Les entreprises en ont plus qu'assez d'être taxés d'irresponsables alors qu'elles sont les victimes de conflits qui ne les concernent pas.
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Patricia Gaborieau Le 27 mars 2025 à 17:21:39
Il importe de rappeler ici que NOUS NE JOUONS PAS » les victimes, NOUS SOMMES les victimes collatérales de contentieux commerciaux qui ne concernent pas notre filière ! Monsieur DEMARTY considère que la Commission Européenne a bien fait d'agir comme elle la fait et que les coupables sont ailleurs (tiens la filière c'est bien commode). Rappelons tout de même que si le contentieux Acier/ aluminium mis en suspend en 2021 avait été résolu plus tôt (avant les élections américaines) le sujet du bourbon n'aurait pas été à l'origine des menaces qui pèsent sur nos filières. En 4 ans rien n'a été fait ! Concernant les véhicules électriques Chinois que l'Europe entend les taxer dans quel est objectif ? permettre aux constructeurs Européens de rattraper leur retard sur la technologie des véhicules électriques ? empêcher les constructeurs automobiles chinois de vendre ? préserver l'industrie automobile européenne ? Rien de tout cela ne se produit : les constructeurs de véhicules électriques chinois continuent bien de vendre, certes avec des marges réduites, mais ils vendent. Mieux, ils vont installer des usines en Europe pour éviter les taxes et pendant ce temps le marché Chinois se ferme au Cognac c'est une région entière, tout un éco système qu'on a choisi délibérément de sacrifier ! le Cognac ne fait pas le poids pour convaincre nos politiques de trouver des solutions. Alors facile aujourd'hui d'accuser la filière d'avoir eu trop d'appétit, les difficultés actuelles sont bien l'œuvre de conflits géopolitiques et de politique maladroite qui méconnaissent totalement les intérêts économiques locaux.
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Florent Morillon Le 27 mars 2025 à 10:06:55
Diagnostic sur les plantations nouvelles complètement erroné. Quand on plante 1 ha à Cognac, les eaux de vie produites arriveront sur les marchés 7 ans plus tard en moyenne pour un VS. Sur l'ensemble des plantations obtenues, seuls 2000 ha sont concernés à ce jour. Donc aucun lien de cause à effet avec la situation actuelle ! Même si les marchés ont baissé après le covid, comme pour la plupart des filières, les expéditions de cognac ont baissé de 60% sur la Chine depuis l'application des taxes provisoires, et de nombreuses annulations de commandes tombent en ce moment côté US, suite à l'annonce de la menace des 200% de taxes. Alors nous ne jouons pas les victimes, nous sommes les victimes collatérales de décisions européennes sur des sujets qui ne nous concernent pas !
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Raphaël Delpech Le 27 mars 2025 à 06:28:20
Nous observons le monde de nos vignes sans être naïfs. Nous savons qu il est tentant, quand on veut atteindre la France et l'Europe, de cibler le Cognac, ou les vins et spiritueux . La question pourtant n'est pas là. Elle est de savoir pourquoi on nous surexpose autant. Pourquoi tout semble mis en œuvre pour faire de nous des paratonnerres permanents et pratiques sur lesquels la foudre tomberait toujours. Cet arbitrage européen - que Monsieur Demarty semble justifier tout en le regrettant - nous ne pouvons pas l'accepter, parce qu'il condamne nos filières et nos territoires. Nous demandons une prise de conscience et un changement d'approche. Si pour contester la légitimité de cette démarche il était envisagé de nous opposer un intérêt européen que nous ne comprendrions pas, un petit rappel s'imposerait. Le rêve européen coule dans nos veines. L'histoire du Cognac est européenne. Les noms de nos maisons de négoce en témoignent. Ces familles et leurs descendants ont toujours en retour contribué, par leur action et leur engagement concrets, à resserrer les liens commerciaux, économiques et culturels entre nos nations. Aucun hasard à ce que nous soyons la patrie du visionnaire Jean Monnet, homme de Cognac et du Cognac, dont nous honorons l'héritage et la mémoire et à qui l'Europe doit tant. Nous sommes viscéralement Européens et nous le resterons, sans avoir à apporter sur ce point d'autre justification que ce que nous sommes et avons fait. Et nous garderons la ferme conviction, dans notre petit bout de territoire, que l'Europe solidaire et forte que nous avons toujours voulue ne devrait pas abandonner ses enfants.
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Jean-Luc Demarty Le 26 mars 2025 à 22:24:43
Je ne tiens nullement des propos moralisateurs. Le marché du cognac s'est retourné bien avant les mesures chinoises et les probables mesures de Trump. Le marché américain a baissé de 30% en 2023 et le marché chinois s'est retourné avant toute mesure restrictive. Cela confirme la justesse de mon diagnostic sur les nouvelles plantations. Une décision à l'unanimité n'est pas une garantie de pertinence.
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Florent Morillon - Président du BNIC Le 26 mars 2025 à 17:18:39
Cher Monsieur Demarty, Je ne peux pas vous laisser dire que les Maisons ont été irresponsables avec les plantations nouvelles. Je vous rappellerai que chaque demande de la région de Cognac a été adoptée à l'unanimité des familles de la viticulture et du négoce. Aujourd'hui, nous n'avons pas un problème de production mais de commercialisation, dû à des décisions politiques européennes, qui engendrent ces taxes, et qui mettent en danger des filières centenaires comme les nôtres, avec 70 000 emplois concernés. D'autres régions viticoles n'ont pas planté, et sont malheureusement dans la difficulté aussi. Nos filières viticoles ne supportent plus d'être prises en otage sur des sujets qui ne les concernent pas, et d'entendre en plus des propos moralisateurs ! Florent Morillon
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