Dans le vin il y a la sagesse, dans la bière il y a la liberté, dans l'eau il y a les bactéries » disait Benjamin Franklin. Pour son autoproclamé "jour de la libération" ce 2 avril, le président américain Donald Trump annonce des droits de douane réciproques qui devraient faire se retourner dans sa tombe un père fondateur aussi œnophile. Attendues avec angoisse par les exportateurs de vins et spiritueux, les annonces du président des États-Unis tombent ce 2 avril depuis la roseraie de la Maison-Blanche où il a signé dans la foulée un ordre exécutif actant dès ce début avril des « demi-droits de douane » aux « nations qui nous ont mal traité » commercialement, comme « nous sommes des types sympas » il s’agirait de « tarifs réciproques justes ».
Brandissant un panneau alignant les tarifs imposés aux biens américains selon les calculs de son administration (« en incluant les manipulations de taux de change et les barrières commerciales » dont la TVA), le président américain annonce ainsi des tarifs réciproques de 20 % pour les produits de l’Union Européenne (à partir d’un calcul de 39 % de tarifs) qui entreraient en vigueur ce 9 avril (d'après la Maison-Blanche). Parmi les autres vignobles mondiaux, l'Afrique du Sud serait ciblée par des droits de 30 %, l'Argentine, l'Australie, le Chili et la Nouvelle-Zélande par des taxes de 10 %, De manière globale, tous les pays auront un minimum de 10 % de droits de douane supplémentaire pour l’accès au marché américain (en vigueur dès le 5 avril). Dans tous les cas, « il faut payer pour avoir le privilège d’accéder à notre marché » lance Donald Trump lors d’une heure de discours assez confus (allant du coq à l’âne, du conflit entre la Russie et l’Ukrain aux enjeux du Sénat américain).
S’ils sont confirmés pour les vins et spiritueux spécifiquement, ces droits supplémentaires sont dans les clous des taxes récemment évoquées à Washington. Ils sont surtout, au soulagement de la filière, bien loin des 200 % de droits de douanes annoncées par Donald Trump le 13 mars dernier en mesures de rétorsion au projet européen d’imposer 50 % de tarifs aux bourbons présenté le 12 mars dans le conflit sur l’acier et l’aluminium. Un chiffon rouge qui a particulièrement attiré l’attention de Donald Trump sur les vins et spiritueux. Pris en otages alors qu’ils sont extérieurs au dossier regrette l’ensemble de la filière, ce qui a conduit l’Union Européenne à temporiser et décaler ses mesures de rétorsion.


Concrètement sur le premier marché importateurs des vins français (2,3 milliards € en 2024, +8 % par rapport à 2023, pour 19,5 millions de caisses, +11 %), des droits additionnels de 20 % sur les vins et spiritueux français pourraient générer 800 millions d’euros de pertes avance un communiqué de la Fédération des Exportateus de Vins et Spiritueux (FEVS). Dans un communiqué évoquant également « un coût total estimé à plusieurs centaines de millions d’euros pour la filière » française de taxes à 20 %, Jérôme Bauer, le président de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC), pointe que « certaines entreprises pourront peut-être s’adapter en rognant sur leur marge et trouver un accord avec leur importateur : encore faut-il tenir sur la durée. » Ce qui avait été fait lors des taxes punitives dans le cadre du conflit Airbus/Boeing (de 25 %, ciblant une partie des vins et spiritueux français d’octobre 2019 à mars 2021) et ayant contribué à réduire de moitié les expéditions à l’époque (-600 millions €/an).
Touchant cette fois la totalité des vins et spiritueux français, les nouvelles taxes Trump ciblent un ensemble d’opérateurs (y compris ses fournisseurs et prestataires) qui sont déjà en difficulté, les crises se cumulant depuis 2019 : climatiques, économiques… et géopolitiques. « Pour les eaux-de-vie (Cognac et Armagnac), c’est une catastrophe d'une ampleur inimaginable. En addition du conflit avec la Chine, ces taxes vont mettre en très grande difficultés notre filière, avec un risque de cessations d’activité en chaîne en Charentes notamment » déclare Anthony Brun, le président de l’Union Générale des Viticulteurs de l’AOC Cognac (UGVC). « Cet affrontement tarifaire ne fait que des perdants͕ tout autant en Europe qu'aux Etats-Unis͘. D'ailleurs͕ nos homologues américains, avec lesquels nous travaillons depuis des décennies, portent également ce message auprès des autorités américaines » pointe Gabriel Picard, le président de la FEVS.


Pour le Comité Européen des Entreprises Vins (CEEV), il s’agit d’« un coup dur pour le commerce du vin entre l'Union Européenne et les États-Unis » (4,88 milliards d'euros de vins européens expédiés). En l’état, « le marché américain du vin est fondamental pour la viabilité économique du secteur vitivinicole de l'Union Européenne » déclare Marzia Varvaglione, la présidente du CEEV, pour qui « il n'existe pas d'autre marché du vin susceptible de compenser la perte du marché américain ».
Ce qui pousse la filière européenne à demander une action diplomatique rapide de Bruxelles pour négocier une levée de toutes taxes. « Ces droits de douane resteront en vigueur jusqu'à ce que le président Trump détermine que la menace posée par le déficit commercial et le traitement non réciproque sous-jacent est satisfaite, résolue ou atténuée » indique la Maison-Blanche ce 2 avril. « Il est encore temps de négocier. Nous encourageons avec force la Commission européenne à ouvrir des négociations justes et apaisées pour nous permettre d’obtenir une baisse de cette taxation afin de maintenir les flux commerciaux plus que jamais nécessaires dans le contexte que nous vivons » plaide Jérôme Bauer. Le vigneron d’Alsace confirmant qu’« à court-terme, nous ne pourrons pas palier les déficits commerciaux par une ouverture sur des marchés de substitution. »
Proposant un « agenda positif » pour maintenir des échanges transatlantiques fructueux, la FEVS milite pour la suppression de tous droits de douanes sur les vins, comme cela est le cas pour les spiritueux. « Nous avons proposé à la Commission européenne un Reciprocal And Fair Trade Agreement on Wines andSpirits͘ » indique Gabriel Picard, pour que « les vins participent à la construction d'une relation commerciale positive entre les Etats-Unis et l͛'Union européenne ».


Après des mois de menaces (latentes depuis la campagne électorale de 2024, formalisées depuis février dernier), l’annonce de Donald Trump est encore floue, mais a au moins la vertu de mettre un terme aux incertitudes qui pèsent déjà lourdement sur l’activité. Il y a déjà des expéditions suspendues, les opérateurs américains ne voulant pas voir arriver des containers commandés avant les taxes qui seraient imposés à un taux pouvant rendre les palettes invendables. « On constate depuis plusieurs semaines des annulations ou blocages de commandes auprès des exportateurs » témoigne Jean-Marie Garde, le président de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB, Bordeaux expédiant 30 millions de bouteilles et 435 millions € sur le marché américain, sa première destination export).
Si la filière américaine de distribution alerte Washington sur les effets néfastes sur l’emploi et l’activité de la moindre hausse de taxes, l’administration Trump réfute en bloc. « Malgré la rhétorique des politiciens et des médias, des études ont montré à maintes reprises que les tarifs douaniers sont un outil efficace pour atteindre des objectifs économiques et stratégiques, tout comme ils l’ont fait lors du premier mandat du président Trump » répond ce jour la Maison-Blanche dans un plaidoyer prodomo sur les effets bénéfiques des taxes, ajoutant que « pour la première fois depuis des décennies, les États-Unis connaîtront un commerce équitable alors que le président Donald J. Trump annonce des tarifs douaniers pour uniformiser les règles du jeu pour les travailleurs et les entreprises américains ». Une vision défendue par Donald Trump, indiquant que toutes les critiques exprimées ces prochains jours sur sa stratégie seront à disqualifier comme elles viennent de personnes s'étant trompées sur le commerce international par le passé : l'occasion de reparler de fake news pour le président américain.
Tout l’espoir des opérateurs français est désormais que les négociations entre l’Union Européenne et les États-Unis soient fructueuses pour lever ces taxes et permettre le partage entre les nations de bonnes bouteilles. Car « le vin c'est la preuve que Dieu nous aime et aime nous voir heureux » disait Benjamin Franklin.