L’export reste notre avenir, ne lâchons rien ! » martèle Gabriel Picard, le président de la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux de France (FEVS), lors d’une conférence de presse particulièrement offensive ce 11 février sur le salon Wine Paris (porte de Versailles). Dans un appel aux gouvernants français et européens à soutenir franchement la filière, le négociant bourguignon alerte sur l’érosion de l’excédent commercial national des vins et spiritueux, tombant à 14,3 milliards € (-3,4 %). « L’excédent s’effrite. On était à plus de 15 milliards € d’excédent en 2022 » pointe Gabriel Picard, rappelant que le secteur « fait partie des rares postes excédentaires », avec « un écart qui se creuse » derrière l’aéronautiques (28,7 milliards €, -6,8 %) et les parfums et cosmétiques (17,3 milliards € +5,5 %). Depuis 2022, la filière a perdu 29 millions de caisses à l’export, elle est « touchée, mais pas coulée » analyse le président de la FEVS.
Après « une année compliquée marquée par un net repli des ventes », les exportations de vins et spiritueux sont tombées en 2024 à 173,9 milliards de caisses pour un chiffre d’affaires de 15,6 milliards d’euros rapporte Gabriel Picard, soit des baisses de 0,1 % en volume et 4 % en valeur. Les vins représentant un volume stable de 124,1 millions de caisses (+0,7 % par rapport à 2023) pour 10,9 milliards € exportés (-3 %), ils accusent une baisse de facturation liée à une évolution du mix précise Antoine Leccia, le PDG du groupe Advini.


Le négociant languedocien notant que la chute des ventes de champagnes pèse fortement dans cette chute (3,9 milliards € d’export, -8 %) avec un impact additionnel de la déconsommation de vins rouges (notamment les Bordeaux, -8 % en valeur) et une correction plus globale des prix après l’inflation de 2023 (« il y a un effet prix négatif les clients demandent des baisses de prix »), tandis que les vins blancs sont en progression (notamment pour la Bourgogne grâce aux volumes plus abondants des millésimes 2022 et 2023).
Également en repli, l’export des spiritueux tombe à 46,6 millions caisses pour 4,5 milliards € (-1,8 % et -6,5 %) du fait de la chute des ventes de cognacs, accusant le coup en Asie entre contexte économique morose (immobilier, emploi…) et mesures chinoises antidumping (un cautionnement bancaire pour les cognacs et armagnacs), malgré le rebond aux États-Unis. Ce dernier marché ayant connu une reprise conséquente pour les vins et spiritueux grâce à la reconstitution des stocks et un stockage préventif face aux menaces de taxes de Donald Trump. La crainte de tarifs douaniers brutaux pouvant tout faire basculer.


Après « plusieurs années où l’on commentait des records comme acquis », Gabriel Picard n’y va pas par quatre chemins : « il faut prendre conscience que quelque chose se passe, et ce n’est pas agréable. On peut parler de déconsommation sur certains produits, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire » plaide avec un optimisme combatif le négociant, appelant à garder foi dans l’avenir. Du moins si les pouvoirs publics s’en mêlent. Pour réunir « les conditions [nécessaires] au rebond, il faut que les lignes bougent » prévient Gabriel Picard, qui appelle à commencer par être fort chez soi : « une condition qui n’est pas suffisante, mais est nécessaire. Si notre "industrie" est fragilisée dans son propre pays, il est difficile de la promouvoir à l’export. Ça paraît l’évidence, ça ne l’est pas. »
Alors que les sujets d’Intelligence Artificielle et de relocalisation industrielle occupe les politiques économiques, encore faut-il ne pas oublier ou sacrifier celles en place prévient le président de la FEVS, partageant sa frustration d’échanger avec des politiques et administrations n’ayant « pas conscience de ce que l’on fait et ce que l’on représente ». Concrètement, le dépôt parlementaire d’une « loi transpartisane pour durcir la loi Evin » ne passe pas pour Gabriel Picard : « on a déjà la loi la plus dure au monde. Il y a d’autres idées à avoir. Consolidons l’industrie, donnons confiance aux entrepreneurs… C’est le cœur de notre message : pas de posture inutile et de sujets inappropriés qui vont à l’encontre du développement responsable de nos industries. »
Même message pour les positions diplomatiques françaises : la FEVS attend du gouvernement une visite en urgence du premier ministre Français Bayrou en Chine pour résoudre le conflit avec la Chine (comme promis et confirmé par le président Emmanuel Macron), mais aussi de ne plus prendre de positions politiques pouvant exposer la filière (le contre-exemple étant les déclarations de ministres sur l’enquête européenne visant les voitures électriques chinoises). De même pour les accords de libre-échange, qu’il s’agisse du CETA avec le Canada ou du Mercosur avec l’Amérique latine : si d’autres filières agricoles s’y opposent, la filière vin est clairement preneuse pour diversifier ses marchés et être moins dépendantes de la Chine et des États-Unis.
En l’état, s’il n’y a pas d’accompagnement politique majeur, le président de la FEVS note que « l’effet domino a déjà commencé » et s’aggravera : « si nos débouchés export se ferment, il y aura un vrai sujet quand on prend le million d’emplois directs, indirects et élargis ». Ne demandant pas de fonds de compensation face aux mesures de rétorsion (préférant lever les barrières douanières), Gabriel Picard appelle à un traitement de choc de la filière : « c’est une très bonne chose de soutenir les plans d’arrachage et de distillation, ça fait baisser la température. Mais s’il n’y a pas de plan on ne va pas passer notre temps à faire baisser la température. Il faut construire une vrai stratégie pour opérer. Sinon cela revient à arroser le sable, dont il ne pousse pas grand-chose… » Pointant que « 76 % de la valeur des exportations de nos produits se fait hors d’Europe », Gabriel Picard plaide pour une prise en compte politique des intérêts de la filière avant qu'il ne soit vraiment trop tard : « nous n’avons pas l’intention de devenir une filière assistée. Qu’ils nous aident à ne pas être assisté. Ça devrait être entendable par les politiques. »
* : Réglementairement, la mise en place du QR Code informant les consommateurs sur la nutrition doit permettre d’« accélérer plutôt que de freiner » soupire Gabriel Picard, évoquant la demande européenne d’afficher la mention "ingrédients" dans la langue du pays ou l’exigence française d’afficher le terme "nutrition".
Les données douanières publiées par la FEVS permettent de faire le tour du monde des premiers acheteurs de vins français en valeur :
1. Les États-Unis avec 2,3 milliards €, +8 % pour 19,5 millions de caisses, +11 %. Une performance à « corriger » par un phénomène d’accordéon des stocks prévient Gabriel Picard, pointant un phénomène inverse à 2023 (où les ventes avaient chuté) avec depuis novembre « des expéditions de précaution » face aux menaces de taxes.
2. Le Royaume-Uni : 1,4 milliard €, -4 %, pour 14,8 millions de caisses, +5 %. « Le marché se tient depuis le Brexit, avec une forme de résilience et de stabilité » commente Gabriel Picard.
3. L’Allemagne : 727 millions €, -8 %, pour 17,3 millions de caisses, -1 %. Une érosion à l’image des marchés européens note Gabriel Picard.
4. Belgique : 607 millions €, -5 %, pour 12 millions de caisses, -2 %.
5. Japon : 605 millions €, -5 %, pour 5,4 millions de caisses, +2 %.
La Chine arrive dixième avec 331 millions €, -17 %, pour 4,2 millions de caisses, -18 %, entre difficultés économiques et retour concurrentiel des vins australiens après la levée des taxes punitives.