a récolte 2024 aura été dans le vignoble du Beaujolais la plus faible des vingt dernières années. Toutefois le généreux millésime 2023 avait rempli les caves. Et aujourd’hui, c’est bien le marché, plus que la production, qui préoccupe l’interprofession des vins du Beaujolais (InterBeaujolais), réunie en assemblée générale le 6 février.
La situation actuelle n’a rien à voir avec celle qu’a connu le vignoble à une époque pas si lointaine : « Il y a quinze ans, nous étions encore en crise profonde avec une image qui n’était ni moderne, ni qualitative : tout a changé, a souligné le président Jean-Marc Lafont. Les prix de nos vins ont progressé de +1,6 €/col en grande distribution et plusieurs vins de chez nous sont cités dans des classements internationaux, alors que le beaujolais ne représente que 0,5 % de la production mondiale. » Il y voit le résultat d’un travail colossal réalisé conjointement par les vignerons, caves coopéatives et négoces du Beaujolais, mais pas un aboutissement : « Nous sommes à mi-chemin du redressement de notre vignoble », estime-t-il, érigeant les enjeux de qualité en « priorité absolue ».
« Nous évoluons désormais dans une catégorie de vins mieux valorisés et plus exigeants : on n’a plus droit à l’erreur », justifie-t-il. A la vigne, il souhaite « poursuivre les replantations pour rendre notre vignoble plus mécanisable, plus rentable et plus durable », mais aussi faire plus de place au chardonnay pour répondre à l’appétence du marché pour les blancs.
Côté vente, la poursuite des efforts commerciaux mettra l’accent sur l’export. « Le marché mondial est immense et nous n’exportons que 20 % de nos vins : montons à 35 % et tous nos problèmes seront réglés », a lancé le président, tout en fixant « à moyen terme » un objectif plus raisonnable de 30 % d’export.
L’interprofession veut en même temps relever le défi de la déconsommation en France. Pour mieux appréhender la nouvelle culture du vin, elle avait invité Gaspard Jaboulay, d’IFOP Opinions, à présenter la synthèse de trois études qualitatives nationales réalisées entre 2022 et 2024. Alors que le vin « suscite toujours une image très positive chez les Français », ils sont de moins en moins à en consommer, résume ce dernier. Il y a ceux qui n’y pensent pas : parce que les burgers et ramen ont remplacé la blanquette de veau, que les cocktails instagrammables inodnent davantage les réseaux sociaux, que la bière -moins chère et plus fraîche- est plus visible en terrasse… En bref, parce que le vin est devenu invisible. Et il y a ceux qui ne s’identifient pas à un consommateur de vin, parce qu’ils pensent ne pas avoir les codes de la dégustation, ou parce qu’ils associent le vin à la maturité et que le passage à l’âge adulte est moins clair aujourd’hui qu’il y a trente ans. Et il y a les préoccupations santé qui ont fait naître les dry january et dérivés.
Pour Gaspard Jaboulay, il faut d’abord briser le cercle vicieux de l’invisibilité : que le vin soit présent dans les fast-foods, que les étiquettes le rendent plus instagrammables… Ensuite, il faut élargir les contextes de consommation : en changeant la communication mais aussi les formats – à l’ère de l’individualisme, il ose ainsi évoquer le vin en canette... « Aujourd’hui, on s’identifie à ce que l’on consomme, conclut-il. Il faut donc faire attention à la façon dont on parle du vin. Et ne pas le laisser trop attaché à une image de la France d’avant… »
Face à ces nouvelles tendances, le vignoble beaujolais a des atouts. « Nous ne sommes pas les plus mal lotis : nous avons des vins accessibles permettant une consommation décomplexée estime Jean-Marc Lafont. Nous devons poursuivre la modernisation de nos appellations, et explorer de nouvelles choses pour parler aux jeunes. » Mais pas question de renier le patrimoine culturel… Pour preuve, sur ces bonnes paroles, la nouvelle équipe de présidence et direction d’InterBeaujolais se faisait introniser en grande pompe par le très traditionnel ordre des compagnons du beaujolais.