n dix ans, la production de blanc a triplé en AOC Beaujolais Villages et plus que doublé en Beaujolais, et pourtant : cette couleur ne représente encore que 4 % de la production totale du vignoble, soit autour de 24 000 hl en 2023. L’interprofession du beaujolais espère tripler ce volume d’ici cinq à dix ans. Mais pas question de faire n’importe quoi, ni techniquement, ni commercialement. Pour Sébastien Kargul, vice-président de l’Inter Beaujolais, « il y a deux enjeux principaux : l’identité que l’on donnera à nos blancs notamment par rapport à nos voisins du Nord, et leur qualité technique. Lorsqu’on manque de précision sur un vin rouge, on évoque parfois la patte du vigneron ou la marque du terroir… Mais un chardonnay ne tolère pas l’imprécision. »
Pour encourager les vignerons à faire plus de blanc et à le faire bien, la Sicarex Beaujolais et l’IFV organisaient une soirée technique « Juste le blanc » au château de Corcelles, à Villié-Morgon (69), le 21 janvier. L’affluence était révélatrice de l’intérêt des vignerons pour ce sujet, abordé sous toutes les coutures par une succession d’experts - du matériel végétal au choix du bouchon, en passant par le marché.


Ce dernier semble porteur, dans un contexte général de déconsommation de vin rouge. « La demande mondiale de vin blanc a augmenté de 10 % depuis les années 2000, et le beaujolais exporte peu de blanc : il y a donc un terrain d’opportunité à l’export, analyse Anaëlle Joret, responsable de l’observatoire économique d’Inter Beaujolais. En France aussi, la consommation a muté et le blanc est apprécié par toutes les générations, même si les millénials concentrent beaucoup d’opportunités. Le beaujolais blanc a la chance de reposer sur un cépage connu, qui rayonne au-delà de notre territoire. C’est un vin qui se prête à une consommation décomplexée. Mais il ne faut pas en faire la version "cheap" de chardonnay plus prestigieux ! »
Une autre erreur contre laquelle met en garde Nadine Gublin, œnologue-conseil en Bourgogne, serait de vouloir faire un vin de cépage. « On serait rattrapés tôt ou tard sur les marchés, par d’autres régions du monde capables de faire du chardonnay moins cher ou avec des artifices que nous n’avons pas. Alors ne mettez pas du chardonnay n’importe où ! Vous êtes dans une région de terroirs, faites-le s’exprimer dans les vins. » Elle recommande d’ailleurs d’éviter les sols profonds qui donneraient « beaucoup de lourdeur et peu de complexité ».


C’est ce que fait Jean-Paul Brun depuis plus de quarante ans dans le beaujolais des Pierres dorées, animé par des motivations commerciales et agronomiques. « Le blanc permet de proposer une gamme plus complète aux clients, explique le vigneron. Et le chardonnay est légitime sur nos sols calcaires en coteaux, peu profonds. » Il produit un blanc élevé onze mois en fût, mais celui qu’il élève en cuve lui semble le plus représentatif du beaujolais, car « plus proche du terroir et plus accessible en prix [12 € vs 18 € prix particulier] ». Il est confiant : « Nous avons une autoroute pour vendre du blanc car le beaujolais est connu partout et nous sommes moins cher que le bourgogne. Mais il y a du travail car pour les négociants, le blanc c’est mâconnais, le rouge c’est beaujolais : à nous de changer la donne ! »