es mauvais comptes font les mauvais amis. Une quinzaine de vignerons bordelais étaient réunis à l’appel de la Confédération Paysanne de Gironde ce frais lundi 16 décembre devant le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) pour assister à son assemblée générale et alerter sur la dégradation de la situation économique de la filière vin particulièrement forte en Gironde. « Ici Vigneron.nes en faillite. Nous demandons des comptes » résume un panneau rageur. « Nous sommes à la veille du crash système. Qu’arrivera-t-il quand les flots de vins issus des liquidations judiciaires vont submerger le marché ? » s’emporte déjà Dominique Techer, porte-parole Confédération Paysanne de Gironde, avant de rentrer dans la grande salle du CIVB. « Il est temps de remettre les mandats en jeu » lance le vigneron de Pomerol.
Aure salle, autre ambiance. Chauffée au soleil de décembre, l’assemblée générale du CIVB attend son ouverture sous le patronage du message de sa nouvelle campagne "Ensemble : Construire notre avenir". Dans cette lignée unitaire, Allan Sichel, président du CIVB, reconnait dans son discours les difficultés individuelles tout en appelant à l’unité : « encore une année qui s'achève dans un contexte de crise, une conjoncture chaotique, qui n'épargne aucun vignoble. […] Les procédures de liquidation judiciaire sont rares, mais elles existent, et dernièrement, certains stocks de vins de Bordeaux bradés dans le cadre de ventes aux enchères ont fait la une des journaux*. » S’affirmant combatif, Allan Sichel affirme que « sur tous les fronts, nous posons des jalons pour avancer vers des perspectives moins sombres et nous rapprocher du rebond ».
Rebond
Le négociant cite ainsi les avancées des plans d'arrachage (celui sanitaire régional et celui national définitif) pour annoncer que « selon les projections, en 2025, notre vignoble compterait autour de 91 000 hectares de vignes, contre 103 800 en 2023. Nous aurons ainsi atteint l'objectif que nous nous étions fixé : celui de réduire fortement notre potentiel de production. » À cette baisse structurelle s’ajoute la faible récolte du millésime 2024, « inférieure à 3,5 millions d'hectolitres » qui permettrait « vraisemblablement [de] nous rapprocher de l'équilibre dans les mois qui viennent, avec un volume de récolte inférieur à nos ventes ». Un rééquilibrage quantitatif, tout en étant qualitativement plus en ligne avec le marché, ces vins 2024 ayant « avec de la fraîcheur, un degré d'alcool modéré, et pourront être bus sans attendre. En somme, des caractéristiques attendues par le consommateur aujourd'hui » pointe Allan Sichel, qui rappelle le lancement en 2024 de la nouvelle image de marque collective ("Ensemble, tous singuliers" en France et "Join the Bordeaux Crew" à l'international) et les investissements pour conquérir de nouveaux consommateurs (de Bordeaux Fête le Vin aux festivals de musique en France, en passant par des partenariats avec Konbini ou Spotify).
« Bien sûr, nous n'avons pas la solution miracle pour relancer la consommation de vins - surtout celle de vins rouges. Mais dans tous les domaines, nous menons des actions qui s'avèrent payantes » assure Allan Sichel, qui reconnaît qu’au-delà de ces actions de promotion, « bien sûr, il y a encore un sujet fâcheux: celui de la rémunération de nos acteurs. Des transactions à vil prix sont encore constatées, et c'est inacceptable. Dans le cadre du travail engagé sur les lois Egalim, nous avons bâti des propositions interprofessionnelles, dont la première est de garantir le revenu du producteur dans le cadre du contrat 'amont' qui le lie au premier acheteur. » Pour parfaire son bilan, le président du CIVB rappelle travailler sur des « coûts de production ou prix de marché » du contrat amont avec l’interprofession des vins du Rhône (Inter Rhône), ainsi que « sur la consolidation du contrat aval » avec le négoce national (UMVIN) et sur le dialogue avec la grande distribution (après un cycle d’échanges inédits cette année).
Invités donneurs de leçon
Allan Sichel ayant évoqué comme « invitée d’honneur » la délégation de la Confédération Paysanne présente lors de l’assemblée, c’est son seul porte-parole, Dominique Techer, qui a porté les revendications du syndicat minoritaire. Comme à son habitude, étant le poil à gratter de l’institution depuis des années. CIVB auquel il reproche d’être « dirigée depuis 20 ans par la même équipe » dont la stratégie est « validée par l’État » et dont « l’équipe dirigeante peut être considérée comptable du bilan ». Rappelant être venu en 2011 avec d’autres vignerons demander en assemblée générale « la régulation des cours du vrac », Dominique Techer reproche au CIVB de ne pas avoir réagi dès mars 2018 et la chute des ventes de Bordeaux.
Appelant à « un plan B sans le CIVB », le vigneron de Pomerol note que « ce sont tous les maillons de cette filière qui déposent maintenant le bilan, les uns après les autres : domaines viticoles mais aussi fournisseurs, prestataires et même laboratoire œnologique. Dans beaucoup de coopératives, les répartitions versées aux adhérents ont fondu. Des vignes sont arrachées jusqu'à Pessac-Léognan. » Appelant à la dissolution du CIVB, le porte-parole ajoute que son équipe doit permettre sa « refondation » en quittant leurs fonctions.
Membre du bureau de la Confédération Paysanne de Gironde et adhérent du Collectif Viti 33, le vigneron Thomas Fonteyreaud ajoute ne plus avoir confiance dans les dirigeants du CIVB : « quand je vois le temps que vous avez mis à réagir et à prendre le vent dans le bon sens, pour parler de régulation, pour réagir sur les arrachages. Au lieu de dépenser 460 millions € dans la distillation, on aurait pu faire un plan d’arrachage qui n’aurait pas été limité à 80 millions et on serait à un équilibre bien meilleur aujourd’hui et on aurait pu sauver un certain nombre d’entre nous qui coulent. »
Plus modéré que le porte-parole de la Confédération Paysanne, le vigneron de Verdelais précise ne pas « vous imputer les crises économiques (Trump, Chine…) », mais pour lui « vous n’avez pas fait le job : vous avez laissé faire le marché » alors que des indicateurs économiques alertaient depuis longtemps sur l’absence de rentabilité du vignoble bordelais (indicateurs CIVB et référentiel de la Chambre d’Agriclture de Gironde). Pour Thomas Fonteyreaud, président de l'ADAR de Langon, « je ne vous fais pas confiance. Depuis plus de 12 ans on décapitalise sur 30 000 hectares ». Tout en continuant en à restructurer et investir critique pour sa part Dominique Techer.
Défendant son bilan plus que ne répondant aux interpellations, Allan Sichel pose d’abord ne pas remettre « en cause la détresse », pour dire qu’il ne peut « pas entendre » qu’il aurait « fallu faire ci ou ça » a posteriori. « Peut-être aurait-il mieux valu de l’arrachage à la distillation, mais ce n’était pas possible à l’époque. Tout le monde a avancé d’arrache-pied » pour obtenir une forme d’arrachage compatible avec la réglementation actuelle : « Bordeaux a été le premier à le faire : ce n’est pas satisfaisant, d’accord. Mais je ne peux pas entendre qu’il aurait fallu faire ci ou ça » après coup.
Vice-président du CIVB mis en cause par Dominique Techer, Bernard Farges a présenté ses points de clarification : « ce n’est pas à l’intérieur du CIVB que les décisions se prennent. La distillation, ce n’est pas le CIVB. La restructuration et les investissements chai, ce n’est pas décidé au sein du CIVB. » Et le viticulteur de Mauriac de rappeler que des essais de régulation des prix ont déjà été tentés par le passé (come la SAS Mercure), que l’arrachage était évoqué dès 2019 par l’AOC Bordeaux (ainsi que le déclassement de vin)… « Il n’y a pas d’un côté les viticulteurs qui savent ce qui se passe dans leurs exploitations et de l’autre ceux qui ne savent pas ce qui se passe chez eux parce qu’ils siègent au CIVB » plaide Bernard Farges, réfutant l’idée que l’institution puisse être « hors-sol ».
Intervenant à la suite, Renaud Jean, membre du collectif Viti 33, porte la demande de Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) calculées en fonction des cours pour le vin en vrac. Un sujet évoqué récemment par les instances viticoles, mais qui n’a pas eu de réponse lors de cette assemblée générale interprofessionnelle.
* : Suite à des échanges avec les administrateurs judiciaires et les tribunaux, Allan Sichel indique que « nous réfléchissons à des pistes qui permettraient de mieux encadrer les ventes judiciaires de vin en AOP, et de limiter ce genre de procédures en aiguillant, en amont, les entreprises en difficulté vers des procédures amiables. »

Une pancarte de la Confédération Paysanne annonce : « ici assemblée générale du Civb. Ils ont ruiné les Vigneron.nes ! »

Venu à la rencontre des manifestants avant le début de l’assemblée général, Allan Sichel a invité ceux le souhaitant à venir assister à la réunion du conseil




