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"Désolé c’est un Bordeaux", ce vigneron dit "fuck" au bashing
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Et il n'est pas le seul
"Désolé c’est un Bordeaux", ce vigneron dit "fuck" au bashing

Agacé par les préjugés sur les vins bordelais, Alain Tourenne met les pieds dans le plat avec une cuvée à l’ironie douce-amère. Les étiquettes décalées se multiplient actuellement dans le vignoble girondin pour montrer que sa production AOC est aussi plurielle que moderne.
Par Alexandre Abellan Le 10 décembre 2024
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Malicieux, Alain Tourenne jette un pavé dans la mare : avec force, pour faire sourire… Et changer les clichés sur les bordeaux ? - crédit photo : Château Beynat
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’étiquette interpelle, à dessein : "Désolé c’est un Bordeaux" annonce la cuvée 2022 du château Beynat (25 hectares de vignes bio à Saint-Magne-de-Castillon), ajoutant sur la contre-étiquette un explicité : "fuck le Bordeaux Bashing, Bordeaux a changé, changez avec lui". Avec cette cuvée éphémère, le vigneron Alain Tourenne transforme l’agacement de situations vécues en arme marketing différenciante : « quand je fais déguster des vins chez un caviste à Paris, il y a toujours un client qui arrive et quand on lui propose de venir déguster un Bordeaux, il dit "non, pas un Bordeaux !" Je propose alors de goûter, il dit "mais ça, ce n’est pas du Bordeaux !" » rapporte le vigneron, notant à regret que « certains ont une image de Bordeaux qui n’est pas celle de Bordeaux… Au moins, je ramène déjà un consommateur au bordeaux. J’ai dû dire une fois "désolé, c’est un Bordeaux" et j’ai gardé la phrase, à la fois dérangeante et très polie. Mais j’ai rajouté "fuck", ça veut dire arrêtez ! »

Habitué des cuvées décalées en fin d’année (comme "2020 dégage"), le vigneron affiche cette fin 2024 sa fatigue : « ça fait plus de 20 ans que le vin de Bordeaux est au purgatoire. Il faut regarder ce qui est fait et qui est différent de ce qui a été reproché à nos vins : trop chers, trop boisés… » En colère, Alain Tourenne veut être positif : il ne va rien casser, si ce n’est le cliché qui colle aux vins de Bordeaux. Par son ironie, il veut en rire et démontrer que les vins bordelais sont tout sauf monolithiques. 100 % merlot à 24 € le magnum, son vin en AOP Castillon Côtes de Bordeaux s’inscrit dans l’air du temps : élevage en amphore, rondeur de l’équilibre, tanin soyeux… « C’est le vin que l’on doit faire pour être rond et plaisant, tannins soyeux… » explique celui qui propose une petite vingtaine de cuvées pour répondre aux différents moments de consommation (lors de la reprise du domaine il y a 16 ans, il y avait trois étiquettes dans la gamme). S’il exprime un coup de gueule (« ça va, lâchez-nous, c’est pénible » avec le Bordeaux bashing), il souligne ne pas être le seul à offrir des vins décalés et modernes en appellation.

Je fais ce boulot, et alors ?

En témoigne Amandine Noriega, à la tête de la maison Berneuilh (40 ha à Porte-de-Benauge), qui lance la cuvée "Joyeux Bord’elle", une étiquette moderne dans son packaging (l’étiquette reprenant les tatouages floraux de la vigneronne), son identité (un vin de femme mais pas féminin) et son caractère (un Bordeaux charpenté). Résolument transgressif, son vin prend le contre-pied de l’image traditionnelle bordelaise : « j’ai voulu m’affirmer. Je fais ce boulot, et alors ? C’est mon petit coup de pied dans la fourmilière » explique-t-elle. Travaillant depuis trois ans sur ce projet avec une parcelle dédiée, elle présente cette fin d’année son millésime 2023 en AOC Bordeaux (70 % cabernet sauvignon, 28 % merlot et 2 % malbec) avec un vin léger en alcool (11,5°.alc) mais pas en structure (étant légèrement toasté après 4 mois de staves).

« Ce n’est pas vin léger d’apéro. C’est ma carte de visite avec une belle bouteille et un prix haut de gamme (30 €) » explique Amandine Noriega, qui ne compte pas produire cette cuvée tous les ans (représentant 7 000 bouteilles sur un vignoble pouvant en produire 300 000). Avec son « truc chiadé » (décliné en mugs et autres produits dérivés), la vigneronne veut participer au mouvement de modernisation du vignoble girondin : « se réinventer et tirer Bordeaux par le haut. Je suis ancré dans une maison traditionnelle de production de vins, mais on peut y faire des pépites. À Bordeaux, nous sommes multiprofils et multiterroirs. Chaque consommateur peut trouver son vin à Bordeaux. »

Bordeaux claret

Partageant cette approche mosaïque de Bordeaux, Noémie Tanneau, à la tête du château Saint-Ferdinand (7 ha à Lussac-Saint-Émilion) passe à l’AOC pour sa production de vins rouges légers. Depuis deux en vin de France (sans indication géographique), la vigneronne veut lier modernité des vins rouges frais et historicité du Bordeaux claret. Une appellation encore en gestation, mais dont la renaissance annoncée démontre que l’« on peut faire plein de truc à Bordeaux : être fun » résume Noémie Tanneau, qui veut basculer ses vins rouges légers dans cette mention complémentaire de l’AOC Bordeaux.

« Je fonce ! Les vignerons de Bordeaux sont encouragés à essayer des trucs. Le cahier des charges se modifiera certainement, je verrai selon l’évolution. J’ai envie de faire partie des vignerons moteurs qui testent et retestent » indique la vigneronne qui a défrayé la chronique en 2023 après la dégustation de son vin par le roi Charles III, et qui souhaite logiquement s’orienter vers le claret, « vin rouge adoré des Anglais » ayant participé à la fortune des vins de Bordeaux. Ayant lancé des réflexions sur l’inclusivité dans la filière vin, la vigneronne n’a pas encore de nom et d’étiquette pour sa cuvée de claret 2024.

Bordelo-bordeluche 

Produisant du claret depuis 2023, Joël Duffau, à la tête du château La Mothe du Barry (34 ha en bio allant descendre à 22 ha, à Moulon) a opté pour l’écoconception (bouteille allégée, absence de capsule…) et l’alliance entre tradition et modernité (une gravure du porte de Bordeaux et le colibri cher à Pierre Rabhi). Pour le vigneron de l’Entre-deux-Mers « bordelo-bordeluche », le clairet a tout de l’évidence historique en Gironde, la quête d’une rosé typé provençal en AOC Bordeaux ne faisant pas grand sens pour lui.

La couleur du clairet pouvant rebuter les consommateurs, « cachotier », il a opté pour une plus grande extraction sous la dénomination de "French claret", embouteillant le tout dans un flacon à teinte verte pour 7,5 € : « les gens ne nous attendent pas là-dessus, mais aiment de plus en plus les choses gouleyantes, les vins de copains faciles à boire… C’est vraiment un vin plaisir. » Proposant aussi bien des vins sans sulfites ajoutées que des pet’nat’, le vigneron en est persuadé : « Bordeaux n’a pas fini de faire parler de lui ».

Bénéfice/risque

Mais proposer des étiquettes décalées et des produits originaux n’empêche pas de sentir passer le boulet de la crise. Ayant signé la cuvée à succès "Test covid", Jean-Christophe Mauro, propriétaire de la Chapelle Bérard (68 hectares en bio à Saint-Quentin-de-Caplong), concède avoir levé le pieds sur toutes les originalités face aux difficultés qui se cumulent :  entre faibles récoltes et conjoncture compliquée, il est difficile de ne pas être dans la nasse à Bordeaux. Pour lui, « dans une période de récession, les clients reviennent presque automatiquement sur du classique. Il est plus difficile de vendre du décalé » rapporte-t-il. Reconnaissant pourtant que « dans une période désaffection du produit, il faut se permettre d’être transgressif pour bouger… »

Ayant lui-même réduit la voilure (avec l’arrachage de parcelles trop humides notamment), Alain Tourenne croit dans l’essai pour répondre à la demande des clients. Ne serait-ce que par expérience. « J’étais dans la filière dans les années 1980. Il n’y avait pas de contact direct avec le consommateur, l’interface du négoce ne permettait pas de savoir pourquoi ça s’arrêtait d’un coup. Ceux qui ne s’en sortent pas trop mal dans le vin aujourd’hui (et encore, il est dur d’en vivre) écoutent les consommateurs » note le vigneron, appelant à l’expérimentation : « on ne vendange qu’une fois par an. Lâchez-vous, donnez-vous la possibilité de faire des choses différentes. » L’un de ses projets est de proposer des vins à faible teneur en alcool (à 8,5°alc.) et avec des cépages exotiques (notamment de la vallée du Rhône : rousanne, marsanne, grenache blanc, picardin…). Des produits qui seront pour le coup hors AOC : trop Bordeaux-line.

 

La cuvée d'Amandine Noriega. Photo : maison Berneuilh.

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Tous les commentaires (2)
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Stéphane Boutiton Le 10 décembre 2024 à 16:31:15
Bravo Alain! Pas étonné de ta prise position que j'approuve. En ce qui concerne de ne pas faire la différence entre un rosé et un clairet, c'est comme ne pas faire la différence entre un pinot noir et un cabernet sauvignon...il suffit de goûter!
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Raffard jean Philippe Le 10 décembre 2024 à 09:39:24
La créativité débridée n'inspire pas confiance. C'est triste à dire, mais les cuvées décoiffantes proposées ici relèvent plus de l'incantation que de la stratégie commerciale. Juste un exemple, comment voulez vous que l'amateur s'y retrouve entre : « le Bordeaux rosé et le Bordeaux clairet. Le Bordeaux rouge et le Bordeaux claret (prononcer clarette)" ? Ceux qui ont voulu cette différenciation aberrante ont fait plus de mal à Bordeaux que les afficionados Bordeaux bashing. Génération Vignerons
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