e n’était pas la foule des grands jours. Alors qu’une bonne centaine de personnes était attendue pour manifester à l’appel du collectif Viti 33 aux aurores ce jeudi 14 novembre à Planète Bordeaux, le siège de l’AOC Bordeaux à Beychac-et-Caillau (Gironde), on comptait au pic de l’action une trentaine de participants sur le parking de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) : un tiers de membres et sympathisants du collectif (essentiellement de l’Entre-deux-Mers), un tiers d’élus du bureau de l’ODG (organisant presque une contre-manifestation) et un tiers de journalistes (presse écrite, radio et télé). Une forme de rendez-vous manqué avec la base vigneronne, mais ce n’est pas faute de mal-être dans le vignoble bordelais, comme en témoignent des participants.
« Nous sommes en difficulté à 300 %. Nous étions dans l’orange, nous sommes dans le rouge » partage un jeune vigneron de Saint-Émilion faisant état de « vins [qui] ne se vendent plus : rien ne sort depuis les vendanges. Plus une bouteille, même les grands crus sont concernés ». Alors que la forte inflation sur les coûts de production n’a pas été répercutée sur les prix de vente, « on crève la dalle. Pour payer les fournisseurs, on a vendu 20 000 € de matériel viticole. On réduit les coûts de partout » poursuit le vingtenaire de la rive droite, qui était des manifestations du début d’année, mais a l’impression que le collectif Viti 33 s’attaque aux mauvaises personnes en ciblant l’ODG, alors que ses problèmes quotidiens sont la conquête de marché (notamment à l’export), la pression des normes environnementales (ne prenant pas en compte les efforts), l’impasse de la transmission (face à l’impossibilité de s’endetter pour racheter un vignoble dont la rentabilité est incertaine).


Porte-parole du collectif Viti 33, Didier Cousiney, balaie l’idée de division entre collectif et AOC : « on est tous des viticulteurs : ils ont voulu la place, nous on ne la veut pas. Nous sommes là pour :iguillonner et proposer ». Le maire du Pian-sur-Garonne indique également ne pas être surpris par la faible affluence à la manifestation : « les personnes qui arrachent et celles qui vont arracher n’en ont plus rien à faire. Ceux qui restent se disent que ça ne sert plus à rien de manifester comme les précédentes actions n’ont abouti à rien en début d’année. » Revendiquant l’impulsion ayant permis d’avancer sur l’arrachage (manifestation du 6 décembre 2022 à Bordeaux avant le dispositif sanitaire girondin obtenu en 2023 et l’outil national de 2024) et les discussions sur Egalim avec la grande distribution (« on a bloqué des négoces, ça nous amène à une action en justice de Castel, on a bloqué des plateformes de la grande distribution, on a obtenu la réunion avec la GD du 8 avril et la suivante du 10 décembre »), le collectif avance lors de sa manifestation 14 propositions pour autoriser des Organisations de Producteurs permettant un prix rémunérateur des vins, obtenir une année blanche de charges bancaires et MSA en 2025, pour indexer sur la valeur des vins AOC les Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) au Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB)… Alors que la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, est attendue sur le salon Vinitech (26-28 novembre à Bordeaux), Didier Cousiney ne cache pas sa lassitude pour obtenir des avancées : « mais que faire de plus ? Quoi faire ? Avec qui ? »
Il faudrait jouer plus collectif pour Stéphane Gabard, le président de l’ODG, qui craint que des manifestations divisant la production puisse noyer ou diluer le message alors que les constats sont partagés. Comme sur la revendications du prix rémunérateur. « Il y a un effet ciseau entre une production moindre et une moins bonne valorisation. Avec l’inflation, l’équation devient insoluble. Très peu de viticulteurs vivent de leur métier » pointe-t-il, alors qu’il « ne pense pas quelques centimes et euros de plus sur le prix de vente vont changer les volumes consommés, alors que c’est indispensable pour continuer à produire. Chaque matin, les vignerons paient pour travailler, avec du capital familial, de l’endettement… Nous avons beaucoup d’exemple de décapitalisation pour durer encore quelques mois. »


« Il faut améliorer Egalim » appuie Bernard Farges, membre du bureau de l’ODG Bordeaux et vice-président du CIVB, pointant que l’interprofession bordelaise porte le sujet avec celle rhodanienne (Inter Rhône) et qu’il y a un consensus entre production, négoce et distribution : « nous sommes tous d’accord pour qu’il n’y ait pas de vente à perte. Sauf que l’on peut aujourd’hui produire à perte. Le contrat amont doit être réformé pour que les viticulteurs ne perdent pas d’argent » explique Bernard Farges. Le président du Comité National des Interprofessions du Vin (CNIV) notant qu’il faut également « sécuriser le contrat aval après le jugement Rémy Lacombe pour savoir ce que signifie "faire pratiquer un prix abusivement bas" et définir ce qu’est "un prix abusivement bas". Il faut aussi sécuriser les indicateurs, pour que les interprofessions puissent parler de prix. Ce n’est pas Egalim qui fera vendre plus de vin, mais fera plus vendre à prix indécent » Concernant les demandes de soutien des trésoreries, « on demande toujours l’année blanche » pointe Bernard Farges. Après les annonces d’aides aux trésoreries de la ministre dans l’Aude la semaine dernière, Bernard Farges souhaite que le prêt garanti court terme bénéficie de la bonification la plus élevée possible et que le prêt de consolidation garanti par l’État s’inscrive dans le plus long terme (10 à 12 ans). Des sujets qui pourront être évoqués lors de la visite attendue de la ministre au salon Vinitech, comme la mise en place d’un calendrier pour Egalim.
Chamaillé de la table-ronde
Faible par sa mobilisation et les températures de novembre, la manifestation matinale sur le parking de Planète Bordeaux s’est transformée en table-ronde au chaud dans l’ODG. « Nous sommes là parce que vous êtes nos représentants, vous devez prendre les problèmes à bras le corps » lance Didier Cousiney, expliquant que la crise ne peut plus durer : « des parents ont payé des produits traitements de certains, d’autres ont bénéficié de cagnottes d’amis... Que peut-on faire tous ensemble pour sauver ce qui peut l’être ? » Plus vindicatif, Bastien Mercier, membre du collectif, attaque l’ODG et ses décisionnaires : « le travail n’est pas fait, c’est mou. Il faut que vous assumiez vos responsabilités s’il n’y a pas d’avancées. J’ai l’impression d’entendre des propos de mauvaise campagne électorale. »
Face aux critiques, « nous ne sommes pas attentistes ni conciliants » se défend Stéphane Gabard, qui ne le cache pas : les membres du conseil d’administration ne sont pas mieux lotis que les autres et subissent la crise dans leurs entreprises et leurs vies personnelles. « On est tous dans la même merde » réagit Stéphane Héraud, membre du bureau de l’ODG et président de la fédération des caves coopératives de Gironde. « Vous n’êtes pas responsable du fonctionnement du monde » souligne Renaud Jean, membre du collectif, ajoutant : « je ne pense pas que membres de l’ODG ne travaillent pas, le problème vient du manque de retour » sur ce qui est travaillé, ce qui avance et sur ce qui ne peut aboutir. Renaud Jean reprend ainsi la proposition de révision des CVO : « pour l’AOC Bordeaux, 7 % de notre chiffre d’affaires part en CVO avec les prix actuels. Pour d’autres appellations plus valorisées, cela représente à 1-2%. Si tout le monde était à 3,5 %, il y aurait une forme de justice et de justesse. »
« Ce n’est pas une mauvaise proposition, elle est logique. La pression CVO est actuellement plus forte sur l’appellation régionale que sur d’autres. C’est un fait » réagit Stéphane Gabard, qui explique la non-reprise de cette demande par le financement de 19 millions € du plan d’arrachage sanitaire sur la réserve du CIVB : « notre appellation va s’en servir plus que d’autres, qui acceptent de participer à son financement ». En somme, ce n’était pas le bon moment pour réviser les CVO explique Stéphane Héraud. Pour Bernard Farges, le sujet des CVO étant pertinent dans la situation actuelle, « on va y travailler, OK ».


Ramenant les échanges sur les critiques d’inefficacité du travail de l’ODG, Céline Wlotstowicer, membre du bureau, point que « quand on parle on ne fait rien » et cite l’action du syndicat viticole pour participer à la simplification de son cahier des charges : un travail ingrat et laborieux, qui a peu mobilisé dans le vignoble, le groupe de travail n’ayant pas fait le plein. Pourtant, « c’est un boulot de fond. Il faut se mobiliser, plus on sera dans les groupes de travail, mieux ce sera. Dans certains, réunions je me demande où sont les vignerons » regrette Céline Wlotstowicer. Au-delà du moindre engagement constaté des adhérents au sein de leur ODG, il y aura l’impact de la réduction des services par la réduction des moyens et des personnels.
« Que devient l’ODG quand il passe de 2 millions à 800 000 hl ? » pose crûment Renaud Jean. Travaillant sur un nouveau plan stratégique, Stéphane Gabard indique que l’ODG va « prendre en compte la diminution du potentiel de production et ce que l’on veut maintenir [comme services] pour l’avenir. Ce n’est pas une petite décision de changer et réduire des missions. » Clôturant la réunion à midi, Renaud Jean pointe qu’il reste « beaucoup de choses à faire : il vous appartiendra de nous rendre compte des avancées. » En termes de revendications, c’était la foule des grands jours.
« Merci de nous accueillir dans notre maison » grince Didier Cousineyr à l’ouverture de la table-ronde, avant 10h.