i la Suisse possède plusieurs vignobles, le Lavaux reste assurément l’un des plus admirables. Un vignoble aux pentes abruptes, prémisses des Alpes, qui plongent dans le lac Léman. Ces terrasses chargées d’histoire, désormais inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO, sont constituées de parcelles entrecoupées de murs en pierre et de chemins que l’on peut arpenter pour aller déguster divers chasselas. Très apprécié des locaux, ce cépage dénommé fendant dans le Valais, occupe 70% de la surface du Lavaux.
Parcelles de vignes aux pentes abruptes (Photo Q. Davi)
Il est tellement important qu’un conservatoire mondial lui est dédié à Rivaz, au cœur du vignoble, sur les rives du lac. Sur 4800 m2, ce conservatoire entretient 380 clones de ce cépage. Et comme il ne suffisait pas au « roi des cépages », un second lui est consacré à 30 km de là, à Mont sur Rolle, sur un terroir différent. Les Suisses y cherchent des clones qui préservent l’acidité ou tolérants à l’oïdium ou mildiou.
Chez Obrist & Cie, un négoce basé à Vevey, le chasselas représente 90% des blancs. Cette société possède 50 hectares et en loue 35 entretenus par 15 tâcherons.
Léonard Pfister, oenologue chez Obrist & Cie (Photo Q. Davi)
Pour Léonard Pfister, l’œnologue, « le chasselas est une éponge à terroir, peu aromatique mais d’une grande finesse ». Pour révéler son potentiel, il utilise des levures sélectionnées pour produire des blancs aromatiques comme Levuline C19 ou Zymaflore X5. Et il surveille les vinifications de près car « le chasselas est très sensible aux faux goûts et peut se révéler réducteur », dit-il. Par la suite, il conserve un maximum de CO2 dissous jusqu’à la mise en bouteilles, ce gaz participant à la fraîcheur de ce cépage dont les vins ont tendance à avoir un pH assez élevé.
Depuis peu, Léonard Pfister s’interroge sur l’impact du réchauffement climatique. « Nous observons une recrudescence de l’oïdium du fait de la hausse des températures et un débourrement de plus en plus précoce laisse craindre une hausse de la fréquence des gels de printemps alors que nous n’en avions pas avant 2017. La solution serait de monter en altitude, mais alors l’effet adoucisseur du lac serait moins prononcé. »
À 10 minutes de là, à Puidoux, Arthur Duplan, pilote les vignes et les vinifications du Domaine de la Tour de Marsens, célèbre pour sa tour carrée plantée à quelques pas du lac et datant du Moyen Age. Encadrant cette tour, les deux hectares du domaine sont morcelés en 66 parcelles en terrasse d’un seul tenant et accrochées à des pentes des plus de 50%. À l'image du reste du Lavaux, ce domaine comprend 80% de chasselas. Les 20 % restants sont du gamaret, un cépage rouge.
Arthur Duplan presse ses chasselas le plus vite possible après la récolte puis les vinifie en dessous de 20°C pour obtenir des arômes fermentaires « C’est un cépage très fin à vinifier qui donne des vins légers dont nous aimons travailler les lies. Il faut le surveiller pour limiter l'amertume et la réduction », précise-t-il.
Arthur Duplan (photo Q. Davi)
Arthur Duplan explique qu’en 2013, ses vignes ont subi une légère sécheresse qui a conduit à un blocage de la maturité et à des pertes de récolte modérées. « Même ici, le réchauffement impacte la viticulture, contrairement à ce que l’on pourrait penser », assure-t-il. Ces conditions climatiques ont donné des raisins très mûrs au détriment de la vivacité. Mais Arthur Duplan ne s’inquiète pas outre mesure. « Le chasselas est cépage d’avenir car malgré le réchauffement, il reste peu sucré à la récolte. Cependant nous réfléchissons à bloquer la fermentation malolactique pour continuer à proposer des vins d’apéro, sur la fraîcheur. »
La cave de l'hôpital à Vevey est déjà passée à l’acte. Pour la première fois l’an dernier, elle a produit des chasselas sans fermentation malolactique. Comme les pH étaient hauts et l’acidité faible, Christophe Landry, le maître de chai, a bloqué la seconde fermentation sur quelques cuves. Après assemblage, il a ainsi pu obtenir des cuvées vives et fraîches sans ajout d'acide tartrique. Pour le reste, il explique comment il travaille. « La vendange est égrappée en partie puis foulée. Nous gardons 30 à 60% de rafles pour drainer les jus car le chasselas se compacte rapidement au pressurage. Le débourbage se fait par flottation. Bien que les moûts soient de plus en plus riches en sucre, nous chaptalisons régulièrement pour obtenir des vins titrant 12,5 % vol. »
Cave de l'hôpital à Vevey (photo Q. Davi)
Après un premier soutirage en fin de fermentation alcoolique, les vins restent sur lies fines, sans soutirage, jusqu'en février afin de préserver au maximum le gaz carbonique dissous qui donne leur caractère aux blancs de Lavaux. « S'il n’y a pas de réduction, les vins sont seulement collés et soutirés une fois avant la filtration pour la mise en bouteille. Le niveau de gaz carbonique est rajusté au dernier moment avant le tirage.
Si la population suisse augmente, la consommation de vin local recule. Plusieurs facteurs sont en cause comme les campagnes de sensibilisation à la consommation d’alcool, l'essor des brasseries artisanales ou les importations massives de vins étrangers. Après avoir réalisé un travail d’approfondissement sur la crise viticole vaudoise, Clément Gaillard, 18 ans, caviste à la maison Obrist à Vevey et fils la maison Gaillard et fils à Epesses, a décidé de créer l’association des jeunes vignerons de Lavaux. Sous sa présidence, il regroupe 18 fils et filles de vignerons destinés à reprendre le domaine de leurs parents. Début 2023, il leur propose de créer « Coup de blanc », un assemblage de leurs meilleurs chasselas. Il collecte 120 litres de chaque domaine qui seront mis en bouteilles et vendus dans les caveaux des membres, au profit de l’association. L’initiative connait un succès médiatique et commercial. En septembre dernier, les jeunes avaient vendu les trois quarts des 2600 bouteilles qu’ils ont tirées, 20 CHF le col, dont 2 CHF reversés à l’école de viticulture de Changins afin de soutenir la recherche et la formation.