vant d’évoquer votre Foire Aux Vins (FAV) d’automne 2024, l’enseigne Lidl a été particulièrement ciblée en début d’année pour son offre en 4+2 d’un Bordeaux à 1,89 € en FAV de printemps. Quel bilan en tirez-vous ?
Johann Boluda : Pour info, nous ne sommes pas les moins chers, de loin, sur ce cadre-là. On nous cible beaucoup, mais quand vous regardez les prix qui sont pratiqués ailleurs, les 1,66 € ou autres sur les catalogues, je pense que notre 1,89 est loin d'être le moins cher, et nous n’avons pas de négoce [NDLA : Carrefour a proposé l’offre à 1,66 € avec son négoce Johanès Boubée]. C’est toujours pareil, on a tendance à prendre Lidl pour l'épouvantail de ce côté-là.
Il y avait déjà eu en 2021 un enjeu bordelais avec une bouteille à 1,69 €.
Mais c'était pareil. Quand vous regardiez le reste du marché, on était loin d’être le moins cher. C'était déjà le cas. On n'a jamais été les moins chers sur ces offres-là, en fait on ne fait que répondre à une demande du consommateur qui est là.
D’après les chiffres récents de Nielsen, les premiers prix dans le linéaire vin sont ceux qui décrochent le plus…
Ce n’est pas vrai. Je ne le ressens pas dans mes ventes en tout cas. Actuellement, tout ce qui n’est pas cher se vend bien. On a baissé des prix sur la vallée du Rhône, du coup ça a progressé. A date, tout ce qui n’est pas cher marche, et ce n’est pas valable que pour le vin, mais pour tous les produits.
Pour vous, il y a toujours un marché volumique demandeur de prix d'appel ?
Nous faisons ce que fait le marché. Quand il n’est pas cher, nous sommes au même niveau. Nous sommes calés sur le marché. Nous n’avons pas la volonté de casser le marché. Enfin, ça c'est ce que les gens pensent, et les vignerons aussi, parce qu'ils n’ont pas forcément la notion du marché et parce qu'il y en a [NDLA : d’autres distributeurs] qui sont plus discrets et qui font ça régionalement. Nous, c'est tout de suite visible parce qu'il y a un tract national. Mais quand vous regardez les tracts qui sont régionaux, vous voyez des trucs des fois, mais vous hallucinez. In fine, en termes de prix, il faut regarder précisément le marché. Parce que si on décroche, vous perdez votre image prix; parce que le client se dit : "bah Lidl, il est beaucoup plus cher que le reste du marché, ce n'est pas cohérent". Donc, il faut que l'on soit aligné. Alors vous voyez, je ne vais pas au moins cher, je ne suis pas 1,66 €. Mais effectivement, ça ne leur plaisait pas [NDLA : aux vignerons de Bordeaux], donc nous allons voir l’accord qu'on l’on aura avec eux.
Dans le cadre des discussions sur le rémunération du vignoble, et l'application d'Egalim, entamées avec la réunion entre la filière girondine et la grande distribution le 8 avril dernier à Bordeaux, et qui continuent désormais dans le comité de liaison entre le comité national des interprofessions du vin (CNIV) et les fédérations du commerce (FCA et FCD) ?
Nous n’avons pas eu de discussions complémentaires depuis le 8 avril. Nous ne sommes pas à la FCA et à la FCD. Je n’ai pas eu d’autres informations.
Lors de la réunion du 8 avril, il avait été évoqué l’enjeu des prix de la prochaine FAV, des vignerons demandant qu’il n’y ait plus de prix inférieurs à 3 €. Trouvera-t-on de tels prix dans votre catalogue (qui n’est pas encore diffusé) ?
Ce que nous avions dit le 8 avril, c’est que les achats ont déjà été faits pour l’ensemble de la filière. On conclut la majorité des choses en octobre-novembre. Jusqu'à Pâques 2025, j'ai déjà tout acheté.
Donc dans le futur catalogue Lidl, y aura-t-il de nouveau petits prix, inférieurs à 3 ou 2 € ?
Je vais regarder ce que fait le marché. Je n'ai pas encore défini les premiers prix.
Votre prix de vente n’est pas dépendant de celui d’achat ?
Non, le prix de vente n’est pas dépendant de l’achat vous savez. Il y a des marges obligatoires, c’est fonction après de ce que fait le marché. Forcément, si l’ensemble des achats sont à la baisse, les prix vont baisser. C’est comme ça que ça passe, malheureusement ou heureusement pour le consommateur, car à date, il y avait des prix hors-Bordeaux qui étaient montés très hauts, avec des régions qui avaient pas mal exagéré, ce qui avait ralenti les ventes.
Dans votre catalogue de FAV d’automne 2024, aurez-vous des Bordeaux à moins de 3 € qui un symbole fort pour les représentants du vignoble ?
Nous en avons toujours eu en dessous de 3 €. Et on en a à 28 € en Bordeaux : il y a de tout chez moi. Et toute le monde a acheté, tout est conclu déjà en fonction des volumes que l'on a en face. Il ne faut pas se leurrer, à plus de 3 € vous ne vendrez pas le même volume de vins de Bordeaux, il va falloir arracher beaucoup beaucoup plus. Moi, à 3 € je ne suis pas capable d’en vendre le même volume.
Il y a donc un vraiment un seuil psychologique du vin à 3 €, ou même 2 € ?
A 2 € c'est plus facile, mais à 3 € c'est compliqué. C'est toujours pareil, il faut savoir ce que l'on veut. Moi, je n'ai pas de problème si tout le monde se met à ce prix-là. Je suivrai. Mais je ne veux pas encore être le seul qui le fait et se retrouve décalé. Ce n’est pas faisable,
Actuellement, est-ce que vous maintenez vos achats de vins de Bordeaux pour Lidl (France et autres pays européens) à Bordeaux ? On entendait cette hiver une rumeur disant que Lidl était mécontent d’être pointé du doigt et allait supprimer tous ses achats…
J’ai toujours une demande en vins de Bordeaux, donc je n'ai pas de raison d'arrêter. De gens disent qu’il y a du Bordeaux bashing, mais je ne le vois pas : mon consommateur, il continue à boire du Bordeaux. Il y a un consommateur pour toutes les catégories, nous avons eu des vins allant de 1,89 à 29 €, mais ils ne sont pas sur la même masse de volume. C'est la seule différence…
Avec les campagnes d’arrachage en cours et à venir, la restructuration du vignoble girondin veut répondre à la consommation "moins, mais mieux".
Je suis d'accord avec eux sur le principe, Bordeaux a un bon rapport qualité prix. Ça n’empêche pas les négociants qui m’appellent tous les jours pour savoir ce que l’on fait de leurs volumes. Moi, je ne peux pas faire. En foire aux vins c’est compliqué, en fonds de rayons c’est difficile, l'export s'est arrêté…
Si vous êtes critiqué, vous êtes aussi la planche de salut par défaut…
C'est toujours un peu le pareil : on ne nous aime pas, mais on sait nous retrouver quand il y a besoin. Les Bordelais, notamment, nous avaient quand même bien oublié pendant la période où ça allait très bien en Chine et que les prix n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. On l'oublie vite aussi. Je n'ai pas de rancune ni quoi que ce soit. Au contraire, je suis très fan du Bordeaux, j’y trouve de très bon rapport en qualité-prix.
Vous annoncez cette FAV 112 références quand il y en avait 160 l’an passé. Cette rétraction est-elle l’effet de la déconsommation de vin ? Partez-vous du principe que le linéaire vin va forcément se rétracter à l’avenir, ou croyez-vous qu’il est possible de renverser la tendance en luttant contre ?
On peut toujours lutter. Vous savez que la tendance sur les rouges est notable depuis quelques années. On a beau faire ce que l'on peut tous, ça reste quand même notable. En FAV, nous avons continué à progresser en volume et chiffre d’affaires parce qu'on était plus jeune [sur cette opération]. Nous bénéficions de la progression de l’enseigne : comme on gagne des clients, vous progressez sur la FAV, ce qui aide. Je sens moins la déconsommation que d'autres enseignes qui sont bien installées depuis plus longtemps.
Dans ce cas, pourquoi diminuer le nombre de références si vous êtes en progression ?
Nous avons bien perdu en volumétrie sur la dernière FAV, il ne faut pas se le cacher, mais nous sommes stables en chiffre d'affaires. Je ne fais que revoir ce périmètre en 2024 [pour le rendre] un peu plus tranquille avant de pouvoir repartir de plus belle les années suivantes. Les vins rouges diminuent, les rosés augmentent avec les effervescents, mais vous ne pouvez pas changer trop rapidement d’offre. Nous avons des clients qui ont un certain âge et qui achètent toujours du rouge. Et l’on a une nouvelle clientèle plus jeune qui cherche des choses pour l'apéritif. Il faut avoir les deux offres. Donc je réduis, mais je ne prends pas un gros trop gros virage non plus. Sinon, je vais perdre des gens. Réduire le nombre de références m'a permis de diminuer la part du rouge et je vais augmenter ma part de rosé : nous étions à zéro référence en FAV il y a encore quelques années, nous sommes maintenant à 20.
Concernant les performances des vins rosés l’an passé en FAV d’automne, ces bonnes ventes témoignent-elles d’une sensibilité ponctuelle à la météo ou d’une consommation de fond ?
Il n’y a pas très longtemps, il faisait moche et les ventes de rosés ont quand même bien fonctionné : il y a quand même une demande. Je pense que c'est une solution pour Bordeaux. Quand on dit vin de Bordeaux, tout le monde pense vin rouge, mais on peut très bien y faire de très bons rosés. C'est juste qu'il y a une méconnaissance des clients et un manque de communication. Je pense que le rôle des interprofessions est de communiquer pour ne pas s'appuyer uniquement sur les enseignes qui sont là pour vendre le produit aux consommateurs.
Bordeaux affiche de bons rapports qualité-prix en vins blancs, qui sont relativement accessibles par rapport à des régions comme la Bourgogne*. La Provence a réussi à faire sa mue sur les vins rouges. Je pense qu’il y a certaines régions qui sont un peu plus à la peine. Je pense notamment à la vallée du Rhône et Bordeaux. Vous pouvez sortir de très bons vins blancs en Ventoux ou autre, mais ce n'est pas ce qui est connu sur vos terroirs, parce qu'il n’y a pas de domaines très connus. Il faut que les interprofessions aident à ces changements, parce que les vignerons subissent et n’ont pas ces connaissances. J’entends que c’est compliqué pour eux. Quand ils voient des prix qui sont bas, je peux comprendre que ça les énerve parce qu'ils n’arrivent pas à en vivre. Le problème à date, c'est le volume. Il y en a trop et pour les écouler, le consommateur n’est pas prêt à payer 4 ou 5 €. Ça ne marchera pas. Moi je n'y crois pas. Nous n’avons aucune envie de voir des gens mourir, mais nous sommes obligés de vendre ce que veut le consommateur. Je pense qu’il y a une méconnaissance de l’interprofession de ce qu’est la réalité de la vente.
Je pense qu'il faut une réflexion globale. C’est bien que la réunion du 8 avril ait eu lieu pour avoir une discussion ouverte entre toutes les parties. Il faut que tout le monde mette la main à la pâte. Mais j’y ai entendu pendant la réunion qu’ils en vendraient autant, mais beaucoup plus cher. Pour le coup, je n’y crois pas dans la base de volume actuelle. C’est toujours une question d’offre et de demande. On sait très bien ce qui coince, c'est quand vous arrivez aux périodes de vendanges et qu’il faut libérer des cuves. Moi je veux-je veux bien tout faire. Si le marché vend à ce prix-là, pas de problème. Mais je ne vendrai pas le même volume. C’est sûr. J'ai suffisamment d'expérience, ça fait 10 ans que je fais ce métier-là.
Quelles sont les niveaux de sensibilité aux prix de vos consommateurs ?
Des fois, ça ne se joue à rien pour le seuil psychologique. Vous êtes à 2,99€ vous passez à 3,10 € en vous disant que ce n’est rien. Mais le consommateur, pour lui, c'est déjà tout et il n’ira pas. Ça s’arrête des fois c'est violent hein, c'est -30 % de volumes. Si vous passez à une tranche au-dessus, on a toujours l'impression que ce n'est rien, mais si : c'est très marqué.
Vous proposez un blanc-de-noirs de merlot sans alcool cette FAV…
C’est du Bordeaux [à la base]. C'est un laboratoire, je ne vais pas mettre 25 références de vin sans alcool. Je sais que des collègues [distributeurs] ont mis 8 ou 9 références dans leur catalogue parce que quand vous étiez à Wine Paris [en février dernier], c'était la grosse tendance. Sauf que le segment est encore très petit. Ça ne pèse pas grand-chose et je ne pense pas que ça va se révolutionner rapidement. C'est bien d'y aller pour voir ce que ça dit. Je pense que Bordeaux est bien armé pour faire ce genre de choses. J'ai essayé plusieurs fois d’essayer d'autres choses sur le bordeaux et c'est compliqué. Quand vous sortez du côté traditionnel, les gens n’y vont pas.
Ce qui pèche aussi à Bordeaux, c’est que l’on est en appellation, avec des contraintes et des cahiers des charges qui compliquent quand même pas mal les choses. Le salut passerait par une IGP plus forte, s’ils arrivent à trouver un nom plus fort. Pour moi, l’IGP Atlantique ne l'est pas. On l’a essayée plusieurs fois, ça n’a jamais été un franc succès. Il faudrait faire les mêmes prix, mais sur une IGP qui soit forte et qui soit connue du consommateur. Ça fait longtemps que j'entends cette histoire d’IGP bordelaise…
Vous avez évoqué Bordeaux et les Côtes du Rhône parmi les vignobles rouges en difficulté, mais pas le Languedoc ?
Le Languedoc profite de prix qui sont plus bas, parce que ce sont des gammes en IGP majoritairement, ils ont plus de flexibilité.
* : En appellations Chablis, « quand je suis arrivé chez Lidl, on les vendait 5,99 €. Et là, en petit Chablis on est à 9,99 €. Il y a quand même un delta… C'est sans commune mesure » note Johann Boluda.